Du 28 au 31 octobre, la CFTC a tenu à Strasbourg son 50ème congrès confédéral. La « guerre des chefs » est désormais réglée. Mais les débats de fond sur le positionnement à venir n'ont pratiquement pas été menés. Par delà les élections prud'homales du 3 décembre prochain, c'est le dossier de la représentativité qui inquiète dirigeants et militants.
Le 49ème congrès de la CFTC, en 2005, s’était déroulé dans un grand calme. Le rapport d’activité avait été voté à 97,6 % des voix et Jacques Voisin réélu président avec 89,7 % des mandats.
Jacques Voisin, président de la CFTC
Cette année, à Strasbourg, le 50ème congrès n’a pas eu la même bonhomie. Le rapport d’activité n’a été voté que par 64,9 % des voix tandis que Jacques Voisin amorce un troisième et dernier mandat de président avec 60,6 % des voix (le mieux élu de la liste ne recueillant que 66,6 %). Même en 1999, congrès qui fut le théâtre d’affrontements et d’une rivalité entre deux prétendants au poste de président, le mieux élu du conseil confédéral avait recueilli 77,4 % des voix et Alain Deleu, était réélu président avec 72,6 % des voix.
Pour sa part, le nouveau secrétaire général, Philippe Louis, a été élu 22ème sur 22 postes à pourvoir, avec 52,1 % des voix, même s’il devance Joseph Crespo qui, avec 44,6 % des voix, manque son entrée au Conseil confédéral.
- La bataille pour la présidence -
C’est dire si, cette année, l’empoignade fut rude. Elle opposait Jacques Voisin et son bouillant challenger, Joseph Crespo, président de la fédération de la métallurgie.
Mettant en avant la réorganisation de la CFTC et la dynamisation des fédérations et des unions régionales autour de critères de développement, Jacques Voisin installait son renouvellement de mandat dans le discours de la continuité et des résultats obtenus. Avec plus de 2 points par rapport au scrutin de 1997, le score de la CFTC aux élections prud’homales de 2002 montrait une progression intéressante, à 9,7 % des suffrages exprimés. Cette progression s’observe aussi aux élections des comités d’entreprise : 2,3 % en 1966-1967 (au lendemain de la scission avec la CFDT), 4,3 % en 1986-1987, 4,8 % en 1996-1997, 5,7 % en 2000-2001, 6,8 % en 2005-2006. Quoique lente, la progression est réelle, alors que les autres confédérations font du sur place.
Pour Joseph Crespo, cette assurance tranquille ne suffit pas à répondre aux enjeux à venir. Redoutant avec Jacques Voisin « une mort lente et assurée » pour la CFTC, le challenger revendiquait une rupture qu’il entendait incarner.
Une bataille pour la présidence suivit, qui vit s’exprimer de nombreux et violents affrontements entre les deux camps, jusqu’à l’accusation - réciproque - d’avoir reçu (l’un pour la confédération, l’autre pour la fédération de la métallurgie) des chèques venant de l’UIMM. Dans le débat actuel sur l’argent de l’UIMM, la confrontation fit quelque peu désordre.
La maîtrise des mandats au congrès fit l’objet d’une discrète mais sévère empoignade. Alors qu’en 2005, 4269 mandats étaient recensés, seulement 3238 ont été validés en 2008, en dépit d’une légère progression des effectifs.
Cette bataille pour le pouvoir aura brisé des amitiés et ralenti l’ardeur collective à la préparation des élections prud’homales du 3 décembre prochain.
Elle aura surtout empêché que s’exprime clairement le débat véritable que doit gérer la CFTC, concernant son avenir : celui de son positionnement.
- Questions sur la représentativité -
Les nouvelles règles de la représentativité syndicale se mettent en place, telles que définies par la loi du 20 août 2008. Pour exister dans les entreprises, une organisation syndicale devra recueillir au moins 10 % des voix aux élections professionnelles. Dans les branches, la barre est à 8 %. En dessous de ces seuils, la capacité à négocier et signer des accords disparaît et, avec elle, une grande partie de l’utilité du syndicat.
Malgré sa progression aux élections CE-DP, la CFTC n’est pas assurée d’atteindre ces seuils avant plusieurs années. En interne, les équipes CFTC s’interrogent sur les réponses à apporter à ce défi et envisagent bien souvent des alliances avec d’autres syndicats.
Au niveau confédéral, le discours est à la confiance et à la conquête. « Cette représentativité, nous allons la conquérir avec les dents » a lancé Jacques Voisin aux militants, écartant tout rapprochement avec d’autres organisations.
Prudente, la motion d’orientation envisage une révision de ce discours, prévoyant « un diagnostic complémentaire et l’analyse qui en découlera au plus tard d’ici la fin du 1er trimestre 2009 », afin de « prévoir un temps de réflexion sur les modalités de mise en œuvre des décisions qui découleront de cette analyse ». Le propos est suffisamment obscur pour que, déjà, certains y voient les prémices d’un rapprochement inter-syndical. Avec qui ? Sur quelles bases ? Dans quelles conditions ?
Faute d’avoir été abordées en congrès, les questions restent entières. Les démarches entreprises en ce moment par les cheminots CFTC vers Force ouvrière aussi bien que vers l’UNSA en vue d’une alliance électorale (et plus si nécessité ?), pour les élections de mars 2009 illustrent la réalité et l’actualité de la question. Dans de nombreuses entreprises, les mêmes interrogations traversent les esprits.
- Quelle spécificité CFTC ? -
La question des alliances renvoie à celle, plus profonde, de la spécificité et des valeurs CFTC.
Née en 1919 en référence explicite à l’encyclique Rerum novarum (1891), la CFTC a modifié ses statuts en 1947. Elle s’est alors « déconfessionnalisée », tout en gardant une référence affichée aux « principes de la morale sociale chrétienne ». Ces statuts sont toujours ceux de la CFTC, alors que la CFDT, issue de la scission de 1964, en a adopté de nouveaux, qui ont effacé cette référence. La perte de contact avec les milieux d’Eglise (lesquels ont longtemps appuyé la CFDT plutôt que la CFTC et continuent à le faire), la raréfaction des viviers de recrutement (la J.O.C., jadis lieu de formation de jeunes militants CFTC, s’est appauvrie et s’est éloignée d’elle tandis que les mouvements chrétiens apparus dans le sillage des encycliques sociales de Jean-Paul II n’ont toujours pas engagé leurs adhérents vers la CFTC) et, plus encore, la montée de l’indifférence religieuse dans la société privent la CFTC de sources militantes et de sang nouveau.
En dépit de l’utilisation de mots-clés et de la revendication d’un syndicalisme de « valeurs », les militants CFTC éprouvent souvent des difficultés à dire en quoi leur projet se fonde sur les principes d’action sociale chrétienne, principes auxquels ils sont moins formés et familiarisés que par le passé.
La mise en avant d’un syndicalisme « constructif » ou bien « réformiste » peut alors conduire la CFTC à des rapprochements aux allures de fusion. Le rapprochement UNSA-CGC actuellement en cours lui ouvre la possibilité d’entrer dans cette dynamique. Mais d’autres rapprochements sont envisageables, avec la CFDT, qui n’a jamais abandonné l’idée d’une réunification (plus de 40 ans après la scission de 1964), ou même avec FO, dont le réformisme séduit bien des dirigeants CFTC, par delà son positionnement laïque.
D’autres formules existent, qui passent par une analyse des évolutions syndicales en Europe ou par une définition plus précise de ce que peut être une alliance (qui n’a pas forcément à déboucher sur une fusion). Auquel cas, le maintien d’une ligne d’indépendance peut être défendue.
Dans son discours de clôture du congrès, Jacques Voisin précise : « Nous pouvons envisager, dans les entreprises et les administrations, des partenariats ponctuels sur des projets concrets et des revendications précises dans le respect de chacun ». Il précise « deux conditions impérieuses : que les bases de cette coopération soient nettement définies dès le départ et que les "alliances ponctuelles" ne nuisent jamais au pluralisme ni n’affaiblissent la place de la CFTC dans les entreprises ».
- Un débat toujours à faire -
Dans l’immédiat, les élections prud’homales occupent toutes les énergies. Ces élections sont importantes pour la CFTC, qui ambitionne 15 % d’audience. Elle serait, en fait, bien heureuse de dépasser le seuil symbolique de 10 %.
Mais ce scrutin, pourtant significatif (tous les salariés du secteur privé vont s’exprimer le même jour), n’est pas celui retenu pour mesurer la représentativité. La loi du 20 août 2008, inspirée par une alliance MEDEF-CGT-CFDT, lui a préféré les élections CE-DP. Précisément là où la CFTC a encore trop de chemin à faire, en trop peu de temps.
Le 50ème congrès s’est achevé en mettant un terme à la bataille pour le pouvoir. Il s’est aussi achevé sans avoir ouvert le débat sur le positionnement à venir. Au lendemain des élections prud’homales, la question surgira à nouveau. Inévitablement.
A lire aussi dans Les Études sociales et syndicales : La CFTC en bref, le 17 octobre 2008. CFTC : un 49ème congrès tranquille, le 25 novembre 2005. De la CFTC à la CFDT : histoire d’une transformation, le 10 novembre 2004. La CFTC après son 48ème congrès confédéral : que signifie "constructif" ?, le 6 décembre 2002, par Patrick Chalmel.
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