Le 26 novembre 2020, patronat et syndicats de salariés (sauf CGT) ont annoncé la signature d’un nouvel accord national interprofessionnel (ANI) sur le télétravail.
Pas de révolution mais une révision bienvenue de l’accord de 2005 qu’analysent ici deux spécialistes du sujet. Xavier de Mazenod anime le site « Zevillage repenser et transformer le travail ». Bernard Gauriau est professeur de droit à l’université d’Angers.
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1. Les neufs points de l’accord
par Xavier de Mazenod
Le confinement du printemps et son « télétravail obligatoire » ont, notamment, poussé les syndicats à demander une renégociation des conditions du télétravail fixée par l’Accord national interprofessionnel de 2005 jugé dépassé. D’autant que l’accord-cadre européen sur le numérique du 22 juin 2020 (qui aborde le sujet du télétravail) faisait obligation d’adapter l’accord dans le droit national de Etats membres.
Alors que certains spécialistes craignaient un retour en arrière sur le télétravail, le texte de l’accord a sagement repris l’esprit de l’ANI de 2005 en le modernisant. En particulier pour insister sur la nécessité de faire du télétravail un projet d’entreprise concerté et sur le contexte de télétravail forcé comme ceux que nous avons connu en 2020.
Cet accord n’est pas contraignant comme le craignait le Medef qui ne souhaitait pas ajouter des contraintes aux entreprises. Pour lui, le dispositif juridique existant protégeait déjà les salariés. La tonalité générale de l’accord est d’ailleurs très pédagogique.
Autre point d’achoppement, l’indemnisation des télétravailleurs, partant du principe que si les périodes de télétravail s’allongeaient, les entreprises devaient financer, au moins en partie, l’équipement à domicile (siège, ordinateur,…), et la consommation d’électricité. Cela, au passage posait le problème du BYOD (Bring Your Own Device, l’usage de son matériel personnel). Le principe d’indemnisation a été retenu dans l’accord, sans toutefois lui donner un caractère contraignant.
Dans le projet d’accord proposé à la signature des partenaires sociaux, le préambule insiste sur les bénéfices environnementaux du télétravail grâce à la réduction des déplacements. Mais il attire aussi l’attention sur l’augmentation de consommation énergétique induite par l’utilisation accrue des outils numériques.
Plus curieusement, si l’accord reconnaît le bénéfice du télétravail pour les territoires il est ambigu vis-à-vis du coworking qui n’est pas clairement présenté comme une opportunité pour les entreprises : « Si les territoires peuvent bénéficier d’un avantage compétitif en offrant des conditions d’accueil optimales au sein, par exemple, de tiers-lieux (accessibilité tarifaire, qualité de l’animation et des infrastructures de l’espace de co-working, mixité des espaces offrant des relations avec des pépinières d’entreprises, etc.), le développement du télétravail peut générer des impacts négatifs sur l’environnement direct des entreprises à même de le développer. »
-Un accord en neuf points-
Les détails de l’accord télétravail proposé le 26 novembre 2020 se répartissent en neuf points.
1- Le télétravail dans l’entreprise
Intégration du télétravail dans le fonctionnement de l’entreprise
L’accord reconnaît le développement du recours au télétravail et invite donc les entreprises à réfléchir aux conditions de sa mise en place.
Une analyse des organisations du travail au sein de l’entreprise visant à articuler de manière optimale le télétravail et le travail sur site est utile, dans le cadre du dialogue social et professionnel mis en place par les entreprises.
Télétravail et préservation de la cohésion sociale interne
Une vigilance particulière doit être portée à la préservation de la cohésion sociale interne, aux conditions de maintien du lien social entre les collaborateurs, au regard de la distanciation des rapports sociaux, voire de perte du lien social inhérente à l’utilisation des outils de communication à distance.
Télétravail et attractivité de l’entreprise
L’accord télétravail reconnaît que le télétravail peut constituer un critère et un atout pour renforcer l’attractivité de l’entreprise confrontée à des difficultés récurrentes de recrutement, et un outil de fidélisation des salariés, notamment dans certains bassins d’emploi.
Cette modalité d’organisation du travail peut être prévue dès l’embauche du salarié ou mise en place en cours d’exécution du contrat.
2. La mise en place du télétravail
Rappel des fondements juridiques du télétravail
L’accord confirme les dispositions de l’ANI de 2005 et des dispositifs juridiques postérieurs.
Le télétravail est mis en place dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il existe.
En l’absence d’accord collectif ou de charte, la mise en place du télétravail est possible par accord de gré à gré entre le salarié et l’employeur.
L’accord ou la charte précisent :
les conditions de passage en télétravail et les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail ;
les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail ;
les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ;
la détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail ;
les modalités d’accès des travailleurs handicapés à une organisation en télétravail.
Afin d’être mis en place de manière efficiente et pérenne, le télétravail doit s’intégrer dans une organisation du travail adaptée. Une analyse préalable des activités éligibles facilite sa mise en œuvre.
En cas d’un risque majeur ou de pandémie, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail. Dans ce cas, la décision relève du pouvoir de direction unilatérale de l’employeur.
Faire du télétravail un sujet de dialogue avec les salariés et/ou leurs représentants
Un dialogue social et des négociations de qualité constituent un gage de réussite de la mise en place d’un dispositif de télétravail adapté aux besoins spécifiques de l’entreprise, permettant de concilier efficacement les intérêts de l’employeur et des salariés.
Définition des conditions d’accès au télétravail hors circonstances exceptionnelles et cas de force majeur
L’accord modifie certaines disposition de l’ANI de 2005 sans toutefois en changer l’esprit ;
double volontariat. Dès lors qu’un salarié informe l’employeur de sa volonté de passer au télétravail, l’employeur peut, après examen, accepter ou refuser sa demande.
forme de l’accord. Tout salarié qui accède, d’un commun accord avec l’employeur, au télétravail régulier est informé par écrit des conditions de mobilisation et de mise en œuvre de cette forme de travail, en fonction du lieu d’exercice du télétravail.
Refus du télétravail. l’employeur motive son refus d’accéder à une demande de recours au télétravail formulée par un salarié, si le télétravail a été négocié dans l’entreprise et que le salarié demandeur occupe un poste télétravaillable ou s’il est salarié en situation de handicap ou aidant un proche. Dans les autres cas, l’employeur est invité à préciser les raisons de son refus.
Période d’adaptation. En cas d’accord du salarié et de l’employeur pour recourir au télétravail de manière régulière, une période d’adaptation est aménagée.
Réversibilité du télétravail régulier. Si le télétravail ne fait pas partie des conditions d’embauche, le salarié ou l’employeur peuvent convenir d’un accord pour y mettre un terme. Si non, le salarié peut ultérieurement postuler à tout emploi vacant, s’exerçant dans les locaux de l’entreprise et correspondant à sa qualification.
3. L’organisation du télétravail
Rappel des principes fondamentaux et des dispositions légales et conventionnelles applicables
les dispositions légales et conventionnelles applicables aux relations de travail s’appliquent aux salariés en télétravail
le maintien du lien de subordination entre employeur et salarié est maintenu en télétravail
la durée du travail et le temps de repos sont identiques qu’il soient exercés sur site ou en télétravail
le contrôle du temps de travail, le respect du droit à la déconnexion et de la vie privée : l’employeur fixe, en concertation avec le salarié, les plages horaires durant lesquelles il peut le contacter, ; La mise en place du télétravail prend en compte le droit à la déconnexion, lequel doit faire l’objet d’un accord ou d’une charte traitant de ses modalités de mise en œuvre
équipements et usage des outils numériques. Qu’il s’agisse d’outils fournis par l’employeur ou d’outils personnels du salarié, l’usage des outils numériques est encadré par l’employeur, dans le respect du RGPD, des prescriptions de la CNIL, et des mesures nécessaires pour assurer la protection des données personnelles du salarié en télétravail et celles traitées par ce dernier à des fins professionnelles.
la prise en charge des frais professionnels. Le principe selon lequel les frais engagés par un salarié dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail doivent être supportés par l’employeur s’applique à l’ensemble des situations de travail.
le droit à la formation. Les salariés en télétravail ont le même accès à la formation et aux possibilités de déroulement de carrière que s’ils n’étaient pas en télétravail.
La fréquence du télétravail, hors circonstances exceptionnelles et cas de force majeure
La fréquence du télétravail est déterminée par accord entre l’employeur et le salarié, conformément, le cas échéant, aux dispositions de l’accord collectif ou de la charte, relatifs au télétravail en vigueur dans l’entreprise.
La communication au sein de la communauté de travail
La communication est un facteur essentiel du maintien des relations au sein de la communauté de travail, notamment lorsqu’il s’agit d’articuler travail sur site et télétravail.
Les règles en matière de santé et sécurité en cas de télétravail
Il est rappelé que, en fonction des spécificités de chaque entreprise, le recours au télétravail peut être un moyen de limiter certains risques en cas de circonstances exceptionnelles, et notamment en cas de pandémie.
évaluation des risques professionnels. Le télétravail est une modalité d’organisation du travail qui peut faire l’objet d’une évaluation des risques professionnels adaptée. Cette évaluation des risques peut notamment intégrer les risques liés à l’éloignement du salarié de la communauté de travail et à la régulation de l’usage des outils numériques
Information du salarié. L’employeur informe le salarié en télétravail de la politique de l’entreprise en matière de santé et de sécurité au travail, en particulier, des règles relatives à l’utilisation des écrans de visualisation et de recommandations en matière d’ergonomie.
Accident de travail. Le télétravail étant une modalité d’exécution du contrat de travail, la présomption d’imputabilité relative aux accidents de travail s’applique également en cas de télétravail.
4. L’accompagnement des collaborateurs et des managers
Adaptation des pratiques managériales
Le télétravail repose sur un postulat fondamental – la relation de confiance entre un responsable et chaque salarié en télétravail – et deux aptitudes complémentaires – l’autonomie et la responsabilité nécessaires au télétravail.
Formation des managers et des collaborateurs
La montée en compétences des managers et des salariés aux évolutions managériales et d’organisation du travail engendrées par le télétravail est un moyen d’en assurer une mise en place réussie. Il est recommandé que les managers soient, dès leur prise de poste, formés aux modalités du management à distance et à la prise en compte des particularités de l’hybridation de l’organisation du travail : articulation et concomitance entre télétravail et travail sur site.
Prise en compte des situations particulières
les nouveaux salariés. L’intégration réussie des nouveaux embauchés demande une attention particulière qui peut nécessiter d’être renforcée dans le cadre du télétravail pour garantir l’inclusion dans la communauté de travail et la bonne appréhension du poste de travail et de son contenu
Les alternants. Si la pratique du télétravail est permise pour les alternants, celle-ci peut être adaptée pour garantir l’encadrement des missions de l’alternant par le manager, et la continuité de la relation avec le tuteur ou le maître d’apprentissage.
Les salariés en situation de handicap. La pratique du télétravail peut être utilisée comme un outil de prévention de la désinsertion professionnelle pour les salariés en situation de handicap ou atteints d’une maladie chronique évolutive ou invalidante
Les aidants familiaux. Le télétravail peut être mobilisé pour accompagner le travailleur dans son rôle d’aidant familial
Les salariés en situation de fragilité. Mise à disposition de tous les salariés, y compris ceux en télétravail, des contacts pertinents (numéros verts, contacts d’urgence) afin que les salariés en situation de fragilité (notamment ceux exposés à des risques de violences intra-familiales, d’addictions, etc) puissent y recourir.
Préservation de la politique de gestion des ressources humaines
égalité femmes-hommes. Le télétravail ne doit pas être un frein au respect de l’égalité entre les femmes et les hommes
gestion des carrières des femmes et des hommes. La pratique du télétravail ne peut influencer négativement sur la carrière des femmes et des hommes
gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences peut intégrer le télétravail afin d’assurer une cohérence entre l’évolution des modes de travail et le développement des compétences
Avril-mai 2020 : le télétravail fait l'actualité
5. La préservation de la relation de travail avec le salarié Maintenir le lien social L’éloignement des collaborateurs et la distanciation physique des équipes de travail du fait du télétravail ne doit pas conduire à un amoindrissement du lien social
Prévenir l’isolement La prévention de l’isolement participe à la fois de la santé au travail du salarié en télétravail et du maintien du sentiment d’appartenance à l’entreprise.
6. La continuité du dialogue social de proximité en situation de télétravail Rappel des règles en vigueur en matière de dialogue social, d’exercice du droit syndical et de la représentation du personnel Les règles collectives de travail légales et conventionnelles s’appliquent pleinement en cas de recours au télétravail.
Organisation matérielle de la continuité du dialogue social en cas de télétravail Le développement du télétravail régulier, occasionnel ou en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure nécessite d’adapter les conditions de mise en œuvre du dialogue social dans l’entreprise, ou dans la branche professionnelle, afin que celui‐ci puisse s’exercer dans des conditions efficaces et satisfaisantes pour tous – employeur, salariés et leurs représentants.
7. La mise en œuvre du télétravail en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure Anticipation des mesures pour la continuité d’activité Il est important de prévoir dans l’accord ou, à défaut, la charte relatifs au télétravail, lorsqu’ils existent, les conditions et modalités de mobilisation du télétravail en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure.
La prise en compte du contexte Pour faire face par exemple à des situations de pandémie, de catastrophes naturelles, de destruction accidentelle des locaux de l’entreprise, il peut être indispensable de recourir au télétravail dans l’entreprise pour permettre la continuité de son activité et la protection des salariés.
Mise en place du télétravail Pour faire face à des circonstances exceptionnelles ou un cas de force majeure, la direction de l’entreprise, en lien avec les services de ressources humaines lorsqu’ils existent, veille à mettre en place une organisation du travail adaptée et à se mobiliser pour assurer la continuité de l’activité et répondre aux attentes des salariés.
Consultation du CSE En conséquence, les modalités habituelles de consultation du CSE, lorsqu’il existe, sont adaptées aux circonstances exceptionnelles ou au cas de force majeure : le CSE est consulté dans les plus brefs délais sur cette décision.
Information des salariés Il est rappelé que, compte tenu des circonstances de sa mise place, le principe de double volontariat ne s’applique pas au recours au télétravail en cas de circonstances exceptionnelles et de cas de force majeure.
Organisation du télétravail Il est rappelé que les règles d’organisation du travail applicables au télétravail régulier ou occasionnel, ont vocation à s’appliquer également au télétravail en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure.
organisation matérielle, prise en charge des frais professionnels et équipements de travail. En cas de besoin et avec l’accord des salariés, l’utilisation de leurs outils personnels est possible en l’absence d’outils nomades fournis par l’employeur
modalités d’organisation du dialogue social / exercice du droit syndical en cours de télétravail. Il est rappelé l’importance de préserver les missions et le fonctionnement des instances représentatives du personnel lorsqu’elles existent, et, à cet égard, l’obligation d’appliquer les règles de droit commun
application des règles de droit commun en matière de relation de travail. Il est rappelé que les règles de droit commun relatives à la relation de travail s’appliquent aux situations de télétravail, y compris en cas de circonstances exceptionnelles et cas de force majeure.
8. Comité de suivi paritaire
Compte tenu de l’évolution continue des pratiques s’agissant de recours au télétravail, les organisations de salariés et d’employeurs signataires conviennent de mettre en place un comité de suivi paritaire de l’application du présent accord, constitué de représentants des organisations de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel.
9. Durée, règles de révision et de dénonciation, extension de l’accord
L’accord est conclu pour une durée indéterminée. Il pourra être révisé et dénoncé selon les dispositions en vigueur prévues par la loi à la date de révision ou de dénonciation.
Les positions syndicales
Après des négociations difficiles et une réticence du MEDEF qui ne souhaitait pas alourdir les obligations des entreprises, un texte commun de 19 pages a été élaboré et accepté par tous les partenaires sociaux, à l’exception de la CGT. Pour justifier son refus de signer, la CGT explique que « les droits nouveaux attendus par les télétravailleuses et les télétravailleurs sont absents de ce texte : droit à la déconnexion, sécurité des données, mesures en faveur de l’égalité femme/homme, situations particulières (aidants familiaux, travailleurs en situation de handicap), les cas de force majeure (crise sanitaire) ne sont pas définis ».
De son côté, la CFDT se félicite que « ces principes fondamentaux pour protéger la transparence des décisions sont inscrits dans l’accord soumis à validation. Ils s’accompagnent d’autres éléments permettant une mise en œuvre qui doit tenir compte des réalités de chaque entreprise. Car c’est bien dans chacune d’entre elles que se jouera, sur la base de ces préconisations, la qualité des conditions de mise en place du télétravail. Même si la CFDT aurait préféré un accord normatif, les avancées obtenues grâce à notre abnégation et à nos propositions permettent d’offrir un cadre plus clair au télétravail. »
Pour la CFTC, « ce projet d’ANI a le mérite de réunir dans un même texte toutes les dispositions sur le télétravail et d’éviter une inutile superposition. Ainsi, il comporte notamment un volet sur le télétravail applicable en « cas de circonstances exceptionnelles » (le COVID nous ayant malheureusement montré qu’il était parfois nécessaire de s’adapter dans l’urgence). Si la négociation a été parfois « compliquée », la CFTC ne peut que constater à la lecture de la dernière version du texte, qu’il reprend beaucoup de ses propositions. L’ANI renforce le dialogue social et la préservation de la santé, de la sécurité au travail des salariés et il intègre la prise en compte des frais professionnels. »
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2- Trois idées-clé à travailler
par Bernard Gauriau
La crise sanitaire a favorisé le développement du télétravail pour préserver le salarié contre le risque de contamination par la Covid-19. Préconisé et encouragé par le ministère du Travail, il a puisé sa justification dans les circonstances exceptionnelles attachées à l'état d'urgence, lequel a pris fin le 10 juillet 2020 à minuit, et le 18 septembre dernier en Guyane et à Mayotte. Réinstauré le 17 octobre, l'état d'urgence a été prolongé par la loi du 4 novembre 2020 jusqu'au 1er avril 2021.
De nombreux accords, inspirés sans doute par la situation d'état d'urgence, fournissent désormais une assise juridique à un mode d'organisation du travail qui pourrait durer.
En temps normal, le télétravail se justifie par l'économie de déplacements qu'il favorise, le cadre plus calme et plus confortable qu'il procure, une meilleure conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle voire une plus grande productivité pour l'entreprise.
Les travers et risques associés au télétravail ont été pris en compte par les accords d'entreprise dont beaucoup rappellent que la mise en place du télétravail ne saurait remettre en cause la préservation du lien social avec l'entreprise ni celle de la santé du salarié. L'hyper-connectivité peut en outre engendrer stress et fatigue (travail sur écran). Le document unique a dû, bien sûr, être mis à jour pour tenir compte des risques associés à la pandémie et aussi aux moyens mis en œuvre pour y faire face, singulièrement lorsque le télétravail est l'un d'entre eux. Bien qu’elle soit canalisée par le numérique, la relation de travail qui unit le télétravailleur et son employeur s’affiche naturellement.
L’accord de principe d’une majorité d’organisations syndicales représentatives sur le nouvel ANI « pour une mise en œuvre réussie du télétravail », du 26 novembre 2020 va-t-il changer quelque chose ?
Du diagnostic à l’accord
Les partenaires sociaux ont mené, de juin à septembre 2020, un travail de diagnostic sur la question, tant pour « répertorier les enseignements à tirer de la première période de confinement qui a donné lieu à un recours très important à une forme de télétravail » que pour « identifier les enjeux et questions qui se posent dans la perspective d’un développement potentiellement plus important du télétravail dans le cadre de l’activité « normale » de l’entreprise, ou en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure ». Les conclusions auxquels ce travail a abouti ont reçu un avis favorable de la CFDT, CFTC, CFE-CGC, FO d’une part, et du MEDEF, CPME et U2P d’autre part.
Après un rappel de l’état de droit existant (et notamment de l’ANI de 2005 parfois totalement occulté par certains sites officiels), le nouvel ANI envisage un grand nombre de questions posées par le télétravail et sans doute se livre-t-il à un inventaire très complet sur le sujet dans ses aspects proprement juridiques. On relèvera notamment un important chapitre sur l’accompagnement des collaborateurs et des managers. On reconnaît également bon nombre de stipulations présentes dans les quelque 11000 accords d’entreprise relatifs au télétravail publiés sur Légifrance
Trois rubriques retiennent ici notre attention qui ont trait à la place de l’homme dans la communauté de travail.
Expérimentation
Une première rubrique appelle les acteurs de l’entreprise à « être attentif (s) à ce que le développement du télétravail ne soit pas source de difficultés entre les salariés qui peuvent en bénéficier et les autres ou encore source d’une distanciation sociale accrue voire d’une perte de lien social entre des salariés et leur communauté de travail ».
Si on laisse de côté l’hommage ici rendu à la quête d’égalité (qui, si elle est appréhendée isolément, est sans doute la pire et la meilleure des choses que la France ait inventée), il s’agit d’éviter non pas « que le monde se défasse », comme disait Camus, mais du moins que la cohésion sociale interne ne s’effrite. L’ANI appelle ainsi de ses vœux une phase d’expérimentation et de bilan avant de poursuivre plus avant l’expérience dans chaque entreprise. A la vérité, bien des accords ont organisé, ces dix dernières années, des périodes probatoires qui s’inspirent d’un esprit de prudence afin d’interrompre le télétravail pour tel salarié qui n’assume pas son autonomie ou tel autre qui, à l’usage, découvre qu’il ne bénéficie pas des conditions matérielles pour télétravailler sans heurts pour lui-même et la cellule familiale (conjoint également télétravailleur, enfants en bas âge…).
Communiquer
Une deuxième rubrique rappelle que « la communication est un facteur essentiel du maintien des relations au sein de la communauté de travail, notamment lorsqu’il s’agit d’articuler travail sur site et télétravail ». La liberté d’expression (individuelle et collective) doit être ici garantie, non pas simplement parce qu’il s’agit d’une liberté fondamentale, mais parce qu’elle contribue là encore à maintenir la communauté de travail lorsque la distance s’insinue entre les collègues qui fréquentaient hier le même bureau ou arpentaient les mêmes couloirs. La machine à café a des vertus professionnelles sous-estimées et l’éloignement ne permet plus les confidences personnelles qui, une fois glissées à l’oreille du collègue, favorisent une meilleure entame de la journée de travail.
Maintenir le lien social
La dernière rubrique qui nous semble ici essentielle porte enfin sur « les risques d’isolement en télétravail et de perte du lien vis-à-vis de la communauté de travail ». L’ANI veut à la fois « maintenir le lien social » et « prévenir l’isolement ». On perçoit ici les exigences associées à la préservation de la santé physique et mentale du salarié, qui s’imposent à l’employeur au titre de ses obligations légales (art. L.4121-1 et s c. trav). Des procédures d’alerte auprès du manager doivent être mises en place (là encore, nombreux sont les accords d’entreprise qui y ont déjà songé).
Le MEDEF annonce que cet ANI n’aura pas de force juridique contraignante, ce qui juridiquement est assez curieux, avouons-le. Un ANI ne peut s’excuser d’être ce qu’il est, c’est-à-dire l’accord collectif placé tout au sommet de la hiérarchie des conventions et accords collectifs. Il a vocation à être déposé auprès des services centraux du ministre chargé du travail, à la direction générale du travail et d’entrer en vigueur. Il peut même être l’objet d’un arrêté d’extension. Sinon, autant ne pas le signer et lui conserver une valeur symbolique, pédagogique, ou encore en faire une « position commune ». Sans faire preuve d’angélisme ou d’une naïveté excessive, on peut toutefois le regretter.
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