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Aux origines des congés payés

Les congés payés ont été installés dans la loi en 1936. Pas plus que les délégués du personnel, cette grande novation sociale ne figurait dans les revendications de la CGT au moment du Front populaire. La pratique des congés payés existait déjà, en France et en Europe.


Sans conteste, les congés payés restent aujourd’hui la réforme la plus connue du gouvernement du Front populaire, celle qui contribue le plus à sa gloire, celle aussi qui semble le plus caractéristique de son esprit, l’expression, le couronnement d’un profond mouvement des masses, et pourtant, paradoxalement, elle fut une improvisation de la dernière heure d’hommes politiques et de responsables syndicaux qui ne s’étaient nullement préparés à sa réalisation aussi rapide.


Les congés payés ne figuraient pas dans le programme du Rassemblement populaire, définitivement adopté en janvier 1936, et l’on n’en trouve pas trace non plus, ce qui est plus étonnant encore, dans le Plan de rénovation économique et sociale de la C.G.T., dont la rédaction avait été achevée en juin 1935 et que le XXIIIème Congrès confédéral avait « ratifié » en septembre de la même année.

- Silence syndical -

Ces silences surprennent d’autant plus que deux institutions où étaient représentés les syndicats ouvriers avaient inscrit, dès 1935, la question des congés payés à l’ordre du jour : l’Organisation internationale du Travail à Genève et le Conseil supérieur du Travail en France.

Comme chaque année, la Conférence internationale du Travail, en quelque sorte l’assemblée générale de l’O.I.T., allait se tenir à Genève en juin 1935, et « la Voix du Peuple », organe de la CGT, en avait préparé les débats, en publiant les résultats d’une enquête du BIT sur ce sujet : en Europe, en 1926, environ 19 millions d’ouvriers (40 % de l’effectif total) bénéficiaient d’un congé payé soit en vertu de lois, soit en vertu de conventions collectives. « A ce nombre devraient être ajoutés les salariés qui en bénéficient simplement en raison d’une coutume établie. » (o.c. février 1935)


Les indications fournies pour la France étaient des plus sommaires : « Aucune loi n’existe concernant les ouvriers ou les employés privés. Toutefois, il est des contrats collectifs fixant les congés annuels payés dont la durée est très variable. »


La Conférence de Genève consacra l’essentiel de son temps à la réduction de la durée du travail, et elle adopta même pour en traiter la « procédure d’urgence » (ainsi que pour le travail des jeunes). Autrement dit, elle adopta un projet de Convention internationale visant à faire adopter la semaine de quarante heures par tous les États membres. La question des congés payés, jugée moins importante, fut soumise à la « procédure ordinaire », plus lente, de la double discussion : la Conférence arrêta les bases d’un questionnaire destiné aux gouvernements des États membres et, par 107 voix contre 15, décida d’inscrire la question à l’ordre du jour de la prochaine session, en juin 1936.



Conclusion du rédacteur de la Voix du Peuple (juillet 1935) commentant ces décisions de Genève : « Il est donc permis d ’envisager pour un avenir proche la généralisation d’un système de congé annuel déjà largement pratiqué, soit en conséquence de lois, soit en vertu de conventions collectives ou de coutumes. » (p.519)


Manifestement, la revendication n’était pas très vigoureuse. Rien de comparable avec l’énergie déployée pour obtenir naguère la journée de 8 heures, désormais la semaine de 40 heures.


Lors de sa XXXIXème session annuelle, (18-22 novembre 1935), le Conseil supérieur du Travail eut à donner son avis sur les congés payés.


Les membres patrons, « tout en admettant le principe des congés payés » demandèrent qu’« en tous cas, la plus grande élasticité fut laissée aux diverses natures d’entreprises lorsque le moment paraîtrait économiquement opportun, pour concilier les intérêts de chaque profession avec la charge des congés payés, compte tenu des coutumes et usages établis ».



Le projet de vœu, proposé par les membres ouvriers et adopté par 29 voix (27 ouvriers et deux autres membres), les membres patrons s’étant abstenus, souhaitait que : « Les employés et ouvriers de l’un et l’autre sexe des catégories suivantes aient droit à un congé annuel payé par l’employeur : a. les apprentis et ouvriers de moins de 18 ans, b. les femmes, c. l’ensemble des ouvriers et employés de l’industrie, du commerce, des professions libérales et de l’agriculture. »

La durée du congé et les conditions d’ancienneté requises, variables selon les catégories, devaient être pour « les employés, ouvriers des industries, commerce et professions libérales, de six jours ouvrables après une année de présence, douze jours après deux années » cette durée étant portée « pour les femmes à dix-huit mois après cinq ans de présence ».


- Une revendication récente et molle -


La revendication était toute récente et ne pouvait s’appuyer sur une longue tradition syndicale, mais surtout elle ne suscitait guère d’enthousiasme parmi ceux qu’elle concernait le plus directement : les ouvriers de l’industrie privée. Dans leur immense majorité, ils étaient incrédules, pour ne pas dire hostiles et, même si cela avait été alors dans son style habituel, la C.G.T. aurait été incapable de provoquer un mouvement de masse pour faire pression sur le Parlement et le Gouvernement en faveur d’une loi sur les congés payés.


Sauf erreur, ce fut, dans la C.G.T., la Fédération des ouvriers des métaux et similaires de France qui inscrivit la première à son programme - dès 1923 - la revendication des congés payés pour tous les salariés.


Deux ans après la Fédération des Métaux, la confédération, lors de son XVIIIème Congrès, (Paris, 26-29 août 1925), adopta à son tour cette revendication des « vacances payées », sur un rapport de Raymond Froideval, des Serruriers de Paris.


Le 3ème Congrès de la C.G.T.U. qui se tint quelques jours après celui de la C.G.T., du 26 au 31 août 1925, tout encombré qu’il fût de débats d’ordre « organisationnel » et politique, trouva cependant quelques instants pour voter à la hâte avant la clôture et pratiquement sans débat, une longue « résolution sur les 8 heures, la semaine anglaise de 44 heures et le congé annuel payé ».


De son côté, la CFTC avait aussi, mais de façon timide encore, exprimé un tel souhait. Du 16 au 19 mars 1919, se tint à Paris, 5, rue Cadet, au siège duSyndicat des Employés du Commerce et de l’Industrie, une conférence internationale des syndicats chrétiens de Belgique, d’Espagne, de France, d’Italie, de Lituanie, de Pologne et de Suisse, qui jeta les fondements de la Confédération Internationale des Syndicats Chrétiens (C.I.S.C). Sur proposition de la délégation française, la Conférence adopta un long document en forme de charte comportant après un préambule doctrinal, un programme revendicatif.


Au chapitre II, « Protection légale des travailleurs. A. Durée du travail », on lisait : « - Établissement pour tous les travailleurs d’un congé annuel payé . » C’est, semble-t-il, la première apparition en France, de la revendication des congés payés universels.


La C.F.T.C ne se constitua que huit mois plus tard (1-2 novembre 1919) et tint son premier congrès confédéral les 23 et 24 mai 1920. Le programme adopté, qui, il est vrai, s’en tient à l’énoncé des principes généraux, ne reprend pas explicitement la revendication des congés payés (« Les conditions normales du travail - salaire, durée du travail, hygiène, assurance etc., - doivent donc assurer au travailleur la satisfaction de ses légitimes besoins matériels, intellectuels et moraux dans le domaine individuel, familial et social. ») . (Textes cités d’après Jules Zirnheld, président de la C.F.T.C : « Cinquante années de syndicalisme chrétien » Paris - Editions Spes, 1937, pp. l90 et 195.)



- Une loi qui dort -


Lorsque le congrès C.G.T. d’août 1925 avait officiellement adopté la revendication des congés payés, la réforme était déjà entrée dans la voie de la réalisation.


Ministre du Travail, de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance Sociale (du 17 avril 1925 au 18 juillet 1926), dans cinq gouvernements successifs (cinq gouvernements en quinze mois !), Antoine Durafour (1876 - 1932) était décidé à conduire une politique constructive en matière de législation sociale. Il était acquis de longue date à l’idée des congés payés. Dès son arrivée au gouvernement, il fit entreprendre par les services du ministère une enquête « dans les établissements industriels et commerciaux qui accordent des congés payés à tout ou partie de leur personnel ouvrier », puis, après avoir précisé la démarche à suivre avec une délégation de la C.G.T., grossie de responsables des deux fédérations qui avaient les premières entamé la campagne pour les congés payés, les Métaux et le Bâtiment, il déposa, le 11 juillet 1925, un projet de loi en ce sens.


L’exposé des motifs constatait que « les travailleurs intellectuels, les fonctionnaires de l’État, des départements et des communes, de nombreuses catégories d’employés de commerce et de bureau jouissaient depuis longtemps de congés annuels payés, c’est à dire qu’ils étaient autorisés à suspendre totalement leur travail chaque année pendant un nombre de jours déterminé, tout en continuant à percevoir leurs traitements ou leurs salaires. Ces congés, appelés "vacances", résultent de mesures législatives ou administratives ou sont accordés par l’usage. »


Que le ministre ait cru nécessaire de donner une explication aussi élémentaire en dit long sur l’impréparation des esprits à l’idée de congé payé.


Si la majorité des employés du secteur privé bénéficiait déjà de congés, si le nombre des catégories qui n’en bénéficiaient pas dans ce même secteur diminuait sans cesse, le mouvement en faveur des vacances payées était « de date récente », et en dépit d’importants résultats (ainsi, « à Millau, en vertu d’une convention intersyndicale, intervenue en 1925, les ouvriers occupés dans l’industrie de la ganterie bénéficient d’un congé annuel de douze jours payés »), la progression demeurait très lente. (La Voix du Peuple, janv-févr. 1926, p. 23).



Ces congés avaient été établis soit par décision unilatérale de la direction, soit à la suite d’un accord professionnel. C’était le cas des quelque 15.000 ouvriers et ouvrières occupés dans les 234 maisons adhérentes à la Chambre syndicale de la Couture parisienne (patronale), laquelle avait conclu à ce sujet en avril 1913 une convention avec les syndicats féminins de l’habillement et le syndicat professionnel du vêtement.

- De 1925 à 1936 -

Avec la lenteur qui a caractérisé longtemps le travail parlementaire lorsqu’il s’agissait de lois dites « ouvrières » ou « sociales », l’étude du projet Durafour traîna. Il fallut attendre six ans pour que la discussion s’engageât au Palais-Bourbon. La loi fut votée le 2 juillet 1931, mais elle alla dormir dans les cartons du Sénat. Elle n’en était pas encore sortie en mai 1936.


Sans doute, l’hostilité des Chambres de Commerce et des syndicats patronaux (les premières alors plus influentes que les seconds) était-elle pour beaucoup dans cette inertie du législateur, mais, du côté syndical, on ne consacrait pas non plus une énergie farouche à la promotion de la réforme. Certes, il n’est pas un congrès de la C.G.T. durant cette période, de 1925 à 1933, qui n’ait consacré un peu de son temps à voter une résolution en faveur des vacances ouvrières mais, de toute évidence, la confédération se préoccupait davantage soit de l’application de la loi sur la journée de 8 heures, soit de la revendication de la semaine de 40 heures (pour s’en tenir au domaine de la durée du travail), peut-être parce que cela lui paraissait plus important, sans doute aussi parce qu’elle devait en matière de congés payés secouer l’inertie des ouvriers au moins autant que celle des parlementaires. Ne lit-on pas dans le rapport d’activité présenté au congrès confédéral de 1931 que « pour obtenir les vacances pour tous les travailleurs, il faudra que les salariés de l’industrie privée manifestent un désir plus audacieux de les obtenir » (C.G.T., Congrès de 1931, p. 34).


Le rapport constatait toutefois que « la propagande confédérale qui répandait l’idée de cette réforme n’était pas sans quelques résultats. L’idée fait lentement, mais sûrement son chemin et déjà certaines industries bénéficient de dispositions qui consacrent le principe des vacances annuelles ».

Ce n’est qu’au Congrès de 1933 que le Bureau confédéral se croira autorisé à constater que l’idée des vacances ouvrières avait fait « un large progrès dans l’esprit de la population » et que le principe n’en était plus « contesté par personne ».


Encore n’est-il pas sûr qu’il ne faille pas voir dans ces affirmations optimistes un peu d’auto-persuasion.


A Millau, un contrat syndical pour les vacances


En 1926, le Bureau confédéral de la CGT diffusa auprès des syndicats confédérés, afin qu’il leur servît d’exemple et qu’ils en pussent faire état dans leur propagande, le texte d’une « convention intersyndicale de congés payés » conclue en septembre 1925 à Millau (Aveyron) entre le syndicat C.G.T. des Cuirs et peaux et l’Union patronale de la Ganterie millavoise (Intersyndicale signifie ici entre syndicats patronal et ouvrier). Le ministre du travail Antoine Durafour fit état de ce contrat dans l’exposé des motifs de son projet de loi du 11 juillet 1925.

Convention intersyndicale de congés payés

Un congé payé de 12 jours par an est accordé au personnel employé en ganterie. Ce congé doit être pris dans des conditions telles que la production en souffrira le moins possible et qui sont les suivantes :

I- Périodes de chômage. Les congés devront être pris plus particulièrement dans les périodes de chômage, entendant les périodes de morte saison.

II- Périodes normales. Il sera établi, d’accord avec le personnel et le patron, un tableau de roulement qui permettra de fixer d’une manière juste et équitable l’ordre des congés. Les absences, toutefois, ne devront jamais dépasser, pour une spécialité déterminée, le huitième du personnel, à moins d’une acceptation expresse du patron.

III- Congés intercalaires. Les congés pourront être pris soit d’une manière consécutive, soit par intervalles, après entente entre les patrons et les intéressés.

IV- Règlement du gain réalisé. Le paiement des journées de congé sera égal à la moyenne des gains journaliers de l’intéressé durant une année. Pour déterminer cette moyenne, I’ouvrier et l’ouvrière posséderont un carnet où seront inscrits tous les gains réalisés dans un même atelier. Au moment où l’intéressé prendra son congé, les sommes touchées par lui dans l’année seront additionnées. Le chiffre obtenu divisé par 300 (nombre de jours ouvrables de l’année) donnera le gain moyen de l’intéressé. Le patron remettra alors à l’ouvrier ou à l’ouvrière, pour constituer sa solde de congé, 12 fois ce gain journalier moyen. Dans le cas de congés intercalaires, il sera procédé au règlement de la solde de congé de la manière suivante, étant entendu que chaque mois de travail donne droit à un jour de congé : Pour un jour de congé au bout d’un mois de travail, diviser le montant des salaires par 25 et multiplier le produit par 1. Le présent contrat aura, à titre d’essai, une durée de deux ans, les deux parties contractantes se réservant le droit de le dénoncer au bout de ce délai, avec préavis de trois mois, pour y apporter toutes modifications qui, à l’usage, auraient pu être reconnues nécessaires. Date d’application, 1er janvier 1926. Date de départ pour le calcul du salaire moyen, 1er juillet 1925. La Voix du Peuple. janvier-février 1926, p. 48.

On remarquera, dans ce contrat proposé comme modèle, le souci d’épouser la vie de l’entreprise : pas de fermeture, congés pris par roulement sans que jamais le nombre des absents soit de nature à gêner le fonctionnement de l’entreprise, congés pris de préférence dans les périodes de morte-saison. Des contrats analogues avaient déjà été signés sous l’égide de la Fédération nationale des Cuirs et Peaux (C.G.T.) dans la chaussure à Nancy et Dijon (« La CGT et le Mouvement syndical », Paris 1925, p 366).



Dans le langage du travail, un « pont » désigne un jour qui relie un jour férié à un week-end et qui n’est pas travaillé, permettant ainsi un repos de quatre jours consécutifs. Si deux jours séparent le jour férié du week-end, on parle alors d’un viaduc. A Millau, les gantiers ont dès 1925 organisé les congés payés. On ne parlait pas encore de viaduc. Celui de Millau (d’une autre nature !) n’a été inauguré qu’en décembre 2004.

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