Le secrétaire général de la CGT n'est plus membre des instances dirigeantes du PCF. Quel sens accorder à ce départ ?
On ne peut que se réjouir d’apprendre que le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault ne compte plus désormais parmi les membres du Conseil national du Parti communiste français, - le Conseil national, c’est-à-dire l’ancien Comité central, un titre qui avait quand même plus de gueule, et pas seulement aux yeux de ceux qui connaissent l’histoire du mouvement révolutionnaire en France. Déjà, Louis Viannet, qui précéda Thibault comme secrétaire général cégétiste, avait un certain jour cessé de cumuler les fonctions de membre du Bureau politique du parti (devenu Bureau national) et de secrétaire général de la CGT. Il était descendu, dans le parti, de ce Bureau national au Conseil national, ce qui faisait toujours de lui un dirigeant du Parti mais à un niveau inférieur. Thibault l’avait rejoint dans cette instance. Il n’y figure plus désormais. Le dernier congrès du parti n’a pas été appelé à renouveler son mandat. Sans doute reste-t-il membre du parti, mais il n’en est plus officiellement l’un des dirigeants.
Ainsi, l’une des exigences que les défenseurs de l’indépendance syndicale avaient imposées aux communistes de la CGTU lors de la réunification syndicale de 1936 (le non cumul de fonctions dirigeantes à la tête de la CGT et à celle d’un parti politique - le PCF en l’espèce -) se trouve aujourd’hui satisfaite, apparemment du moins.
- Un vrai départ -
On pourrait en effet suspecter Thibault de n’avoir abandonné le Conseil national du PC qu’en apparence et de continuer à assister aux séances de cet organisme sans figurer sur la liste publique de ses membres. C’est ce que fit Benoît Frachon (pour ne citer que lui) pendant plus de dix ans, mais c’était en un temps où les disciples de Lénine et de Trotski, les complices de Staline pratiquaient l’ " amoralisme révolutionnaire " sans aucun scrupule de conscience, les pires manquements à la morale courante, dite " bourgeoise " pour les besoins de la cause, constituant autant de titres de gloire s’ils avaient été commis pour le service du parti, à qui l’Histoire, avec une majuscule, avait confié le soin de conduire l’humanité vers la terre promise du socialisme. Il se trouvait d’ailleurs dans les rangs du parti des hommes qui se délectaient de la déloyauté, de la fourberie que leur imposait le service du parti et qui, si l’on ose ainsi parler, par tempérament personnel, en rajoutaient. C’était le cas d’un Duclos, le cas aussi d’un Frachon.
Tout donne à penser que Thibault n’est pas de cette étoffe-là, si peu qu’il soit connu, malgré des années déjà de vie publique. Au demeurant, s’il en avait l’intention ou s’il en avait reçu l’ordre, il lui serait beaucoup plus difficile qu’à Frachon, Monmousseau ou Mauvais de participer clandestinement aux réunions des instances dirigeantes du Parti, car au temps de Frachon ils étaient bien peu nombreux (et fort mal écoutés) les hommes politiques, intellectuels et journalistes qui osaient regarder d’un peu près ce qui se passait entre le PCF et la CGT, mais ils sont légion aujourd’hui à le faire, maintenant que l’Union soviétique n’est plus et que le PCF flotte à la dérive, sans autre force, dans les parties qui en ont encore, que celles qui ont la rigidité cadavérique.
Faut-il ajouter que, si c’était le cas, si la non-reconduction de Thibault au Conseil national du PCF n’était qu’un leurre, on serait en droit d’y voir cependant d’y voir un signe positif en faveur de l’idée d’indépendance syndicale ? La Rochefoucauld n’a-t-il pas dit que " l’hypocrisie était un hommage que le vice rend à la vertu " ?
- D’autres dirigeants CGT restent dirigeants du PCF -
Toutefois, sans déprécier la portée au moins symbolique de ce désengagement de Thibault, il faut avouer qu’il n’apaise pas toutes les craintes et n’ouvre guère de perspectives, car il n’a pas été l’effet d’une révolte de la CGT contre la sujétion qui lui est imposée depuis plus de cinquante ans, ni même de la volonté personnelle de Thibault de revenir à une règle fondamentale du mouvement syndical français.
Ils sont encore nombreux en effet, les dirigeants de la CGT, les membres de sa Commission exécutive par exemple, à être membres du Conseil national du parti, et c’est le cas aussi de deux membres du Bureau confédéral, Jacqueline Lazarre et Christiane Puthaud. Sans doute peut-on expliquer cette différence de comportement par le manque de discipline, le PCF et la CGT elle-même donnant de plus en plus l’image, aux yeux de ceux qui les ont connus jadis et même naguère, de la célèbre cour du roi Pétaud. Il reste qu’on ne peut pas parler de règle quand il existe tant d’exceptions et de si graves, et qu’il faut bien conclure d’une part que le PCF n’a pas encore abandonné la pratique du noyautage que Lénine avait imposée dès 1919 à tous les partis qui voulaient entrer dans son Internationale communiste, d’autre part qu’il n’y a pas encore à la CGT une majorité capable de soustraire la confédération et les organisations confédérés à la tutelle du parti, ou décidée à le faire.
- C’est le PCF qui a décidé pour Thibault -
La plus inquiétant est ailleurs. Il est dans les lettres qu’ont échangées les deux protagonistes, Robert Hue et Bernard Thibault, et dont l’Humanité du 19 octobre 2001 a donné l’essentiel.
On y voit en effet que ce n’est point Thibault qui a pris l’initiative de son retrait. Il pense toujours quant à lui - il l’a écrit - que des militants syndicaux, exerçant une fonction élective dans leur organisation syndicale " disposent d’une totale liberté de s’engager dans le parti de leur choix, d’y prendre éventuellement des responsabilités, dès lors qu’elles s’exercent dans un état d’esprit qui respecte les règles de vie du mouvement syndical ", ce qui est très exactement ce qu’ont rejeté pendant plus d’un demi-siècle Frachon d’abord, Séguy après Frachon, Krasucki après Séguy. Hue d’ailleurs a renchéri sur Thibault, soulignant " le formidable atout " que représente pour le Parti " la participation de militants syndicaux, y compris investis de responsabilités [syndicales] dans les organes de direction du PCF ".
La doctrine n’a donc pas changé, au moins dans son énoncé traditionnel qui laisse croire que le cumul des fonctions, quand il se produit, résulte de la volonté personnelle des militants, non des directives du parti et que les communistes entrés dans la CGT y exercent leur action syndicale tout à fait indépendamment des ordres du parti. Thibault pense donc toujours et Hue avec lui qu’il aurait parfaitement le droit de rester dans la direction du parti.
Seulement, il est apparu à Robert Hue - c’est du moins ainsi que nous sont présentées les choses - que " cette conception ancienne " qui voulait que " le premier responsable de la CGT et beaucoup de ses dirigeants, dès lors qu’ils étaient communistes, appartiennent aux organismes de direction du Parti " n’était pas ou plus aussi profitable qu’elle l’avait été, et qu’elle gênait notamment la démarche qui doit " permettre l’émergence d’un parti communiste moderne et novateur ".
En conséquence, Hue et Thibault se sont mis d’accord pour que la reconduction du mandat de Thibault ne soit pas proposée au congrès communiste, et Thibault a tenu à redire dans sa lettre à Hue et à la direction nationale du PCF qu’il ne " s’estimera pas moins communiste au motif qu’il ne sera plus élu au Conseil national ".
Ainsi, sans la demande du Parti ou sans son accord, Thibault n’aurait pas renoncé à ses fonctions politiques. C’est le Parti qui a, comme toujours, décidé pour lui.
Comme on serait plus convaincu s’il était sorti en cassant les vitres, ou parce que la Commission exécutive de la CGT ou son CCN lui avait demandé de reprendre son indépendance.
Il faudra d’autres propos et d’autres actes pour nous prouver que Thibault s’est rallié vraiment à l’idée et à la pratique de l’indépendance des organisations syndicales à l’égard des partis politiques, à commencer par le sien.
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