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CGT : l’installation difficile de Philippe Martinez

Le 3 février 2015, la CGT vient de se doter d’un nouveau secrétaire général et d’un nouveau Bureau confédéral. La succession de Thierry Lepaon aura été laborieuse. La nouvelle équipe va devoir préparer le prochain congrès confédéral, prévu au printemps 2016.


Du 28 octobre 2014 (date à laquelle l’hebdomadaire « Le Canard enchaîné » a publié une première série d’informations sur le train de vie du secrétaire général de la CGT) jusqu’au 3 février dernier, la CGT aura vécu une des périodes les plus tristes et agitées de sa vie interne.


Progressivement acculé à la démission, Thierry Lepaon, secrétaire général nommé en mars 2013, a jeté l’éponge le 7 janvier, indiquant à la Commission exécutive confédérale réunie ce jour-là « qu’il y aura un nouveau secrétaire général de la CGT la semaine prochaine ».



Philippe Martinez

La succession ne s’est pourtant pas faite aussi vite. Le 13 janvier, en effet, se tenait le Comité confédéral national (CCN), habilité à désigner le secrétaire général et le Bureau confédéral, à choisir au sein de la commission exécutive confédérale (CEC). Cette dernière est composée de 56 membres (moins Eric Lafont et Thierry Lepaon, démissionnaires, l’un le 9 décembre, l’autre le 7 janvier). Cette CEC forme le vivier où le CCN doit choisir les membres du nouveau Bureau (voir Les Etudes sociales et syndicales du 12 janvier 2015 : « Qui dirige la CGT ? »).


Etant établi que les 10 membres du Bureau confédéral installés en mars 2013 ne seraient pas reconduits, même en partie, le choix devait donc être fait sur une liste de 44 noms. Il s’agissait là d’une exigence statutaire. Elle excluait d’office de promouvoir tel ou tel militant qui aurait pu occuper un poste au Bureau confédéral mais qui n’aurait pas déjà été membre de la CEC, telle que définie par le congrès de mars 2013.

- Thierry Lepaon s’accroche -

Toujours à la manœuvre et désireux de formater le nouveau Bureau à défaut de pouvoir y siéger, Thierry Lepaon obtenait, le jour de son retrait des instances, qu’un collectif de militants établisse avec lui une liste de futurs membres du Bureau, autour de Philippe Martinez. N’ayant pas prononcé clairement le mot de démission le 7 janvier, il entendait ainsi agir sur sa succession et peser sur les choix à faire. Quant à Philippe Martinez, il avait longtemps soutenu Thierry Lepaon avant de réclamer, lui aussi, son départ.



Le 13 janvier, la liste en question était présentée par Philippe Martinez au CCN. Ayant échoué à recueillir la majorité nécessaire des deux tiers des suffrages, Philippe Martinez était convié à refaire sa copie. La liste qu’il avait présentée autour de lui était donc recalée, même s’il a pu reprendre trois noms autour du sien. Le nombre de membres de la Commission exécutive susceptibles de composer le Bureau se réduisait encore un peu plus, passant de 44 à 37 environ.


Une deuxième proposition était faite au CCN du 3 février.

Le choix étant désormais resserré et l’usure des débats ayant fait son office, le CCN acceptait cette nouvelle proposition de Philippe Martinez, à 88,8 % des voix. Comme le pratique la CGT, le CCN a ensuite élu son secrétaire général, Philippe Martinez (93,4 % des voix) et son administratrice (= trésorier), Colette Duynslaeger (82 % des voix).

- Une ligne « lutte des classes » -

Le nouveau Bureau confédéral est marqué par l’absence de militants ayant affiché une position réformiste. C’est une équipe qui se caractérise par une raideur de positionnement, en grande partie influencée par le Front de gauche.



On y trouve deux groupes, au sein d’une ligne commune de « lutte des classes » : les anti-Lepaon (Joly, Lalys, Angei, Vidallet, Verzeletti) et les anciens pro-Lepaon (Duynslaeger, Gensel, Roux, Saaveda). Tendances du moment, en fait, puisque liées aux affinités établies avec ou contre un secrétaire général (Thierry Lepaon)... qui ne l’est plus.


Autre caractéristique : la parité a pu être établie avec 5 hommes et 5 femmes. Il n’en va pas de même pour les secteurs professionnels. Officiellement, à en croire les qualificatifs attribués à ces dirigeants lors de leur élection à la Commission exécutive en mars 2013, l’équilibre est presque assuré : 4 viennent du secteur privé et 6 du secteur public. Mais les dirigeants du secteur privé viennent de milieux professionnels qui ne relèvent guère du secteur concurrentiel : Denis Lalys (Pôle emploi), Marie Saavedra (sanitaire et social), Colette Duynslaeger (Fédérations des activités postales et télécommunications). Seul Philippe Martinez (Renault, métallurgie) a une expérience professionnelle où ne prédomine pas la recherche du maintien d’un statut et où la convention collective est une réalité quotidienne.


Ce Bureau confédéral tant attendu va devoir agir dans deux directions : en interne, pour réduire les tensions ; en externe, pour positionner la CGT.

- Raidissement de la CGT -

Il est assuré qu’un certain raidissement du discours vers l’externe facilitera le règlement des tensions internes. La mobilisation des équipes CGT, dans les entreprises et les territoires, sur une ligne davantage « lutte des classes » que négociatrice, contribuera à souder les rangs, à faire revivre la « communion dans les luttes ».


Les premières déclarations de Philippe Martinez vont dans ce sens, notamment en prônant les 32 heures de travail hebdomadaire ou encore en ouvrant une convergence avec Force ouvrière pour des actions communes au printemps prochain.


Ce raidissement probable ne facilitera guère la tâche du gouvernement, alors qu’il valorisera les « frondeurs » au sein du Parti socialiste et soutiendra, au sein de la majorité parlementaire, les exigences du Front de gauche.


Les négociations avec le monde patronal et les relations avec les autres organisations syndicales n’en seront pas davantage facilitées.


Pour autant, ce positionnement sur le court terme n’augure pas forcément d’une glaciation durable de la CGT.

- Philippe Martinez, un pragmatique -

Le prochain congrès est dans un an, au printemps 2016. C’est un délai trop court pour créer les conditions d’une actualisation des positions CGT et l’installation d’une ligne de rénovation. Mais ce délai peut permettre de préparer la composition d’un Bureau confédéral conscient et capable des réformes internes et des évolutions doctrinales, à compter de 2016.



Philippe Martinez est un homme pragmatique, qui connait les enjeux, les forces et les faiblesses de la CGT.


Le travail d’adaptation qu’avait entrepris Louis Viannet entre 1992 et 1999 n’a pas pu être poursuivi entre 1999 et 2013 par Bernard Thibault à la hauteur du nécessaire. Le choix d’une « resyndicalisation » de la CGT reste à faire ; celui d’une évolution vers un syndicalisme plus professionnel et dégagé de toute tutelle ou préférence politique.


L’épisode Lepaon (2013-2014) aura compliqué la situation dont profitent aujourd’hui les gardiens du dogme marxiste.


Le mandat de Philippe Martinez s’annonce difficile. Pas impossible mais difficile. Le lancement d’une rénovation énergique de la CGT n’est pas envisageable avec l’actuel Bureau confédéral, qui est un Bureau de préparation du congrès de 2016. En revanche, l’affirmation d’une nécessité de changement peut prendre corps. Le congrès de 2016 s’annonce essentiel pour la CGT.


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