Le 48ème congrès de la CGT débat du système de collecte et de cotisations syndicales. En apparence, le sujet est technique. Dans les faits, il apparaît hautement sensible. Il touche à la solidarité entre fédérations de la CGT et à la capacité à se développer dans les secteurs professionnels qui en ont besoin. Il pose aussi la question de la répartition des pouvoirs au sein de l'appareil. Qui paie commande, dit-on. Bernard Thibault vient de faire passer sa réforme, votée le 27 avril (63,2 % pour).
Cette question - qui entremêle le problème des ressources, des structures mais aussi, par ricochet, de la « ligne confédérale » - est un véritable serpent de mer. Elle agite la CGT depuis des années, sans pour autant se traduire dans les faits. Derrière la question du système des cotisations c’est celle de l’organisation de la CGT, celle de son fédéralisme associatif, celle de sa cohérence et de sa dynamique, qui se trouvent posées. La CGT constitue-t-elle une confédération syndicale ou un simple agrégat de structures autonomes, plus ou moins en concurrence les unes avec les autres, peut-être même « féodales » ? Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que le communisme - qui donnait jusqu’aux années 1990 une cohérence idéologique aux organisations de la CGT - s’est effondré. Il y a plus de dix ans, Lydia Brovelli, alors administratrice de la CGT, s’interrogeait déjà : « la volonté d’autonomie, d’indépendance des organisations est si forte que, sur beaucoup de détails sans importance, nous rencontrons des obstacles, et puis, là où il serait vital, pour sa survie, que le mouvement évolue, nous nous heurtons à des blocages et l’on ne parvient même pas à discuter. Par exemple, nous réfléchissons à un nouveau système de péréquation des cotisations... ».
Depuis, les choses n’ont pas beaucoup avancé. Lors du dernier congrès, il a été décidé qu’il était urgent d’attendre... A l’occasion du congrès de Lille (2006), la direction de la CGT a relancé le processus. Quel est le problème ?
Rationaliser le financement
Il y a beaucoup d’inquiétude dans les organisations concernant la réforme du système de répartition des cotisations et donc de financement des organisations et donc du poids « politique » respectif des uns et des autres qui devrait en découler... puisque l’argent c’est en quelque sorte le nerf de la guerre. Les débats peuvent paraître assez complexes, techniques. En fait, les termes sont assez simples. Il s’agit de rationaliser le financement des diverses organisations, surtout de le rendre plus transparent, d’éviter les rétentions de ressources par certaines organisations (sinon la plupart des organisations), assurer une meilleure péréquation de ces ressources et, ce faisant, favoriser un débat entre organisations qui ne soit pas troublé par des questions de ressources mais aussi assurer le développement d’implantations nouvelles.
En particulier les reversements de cotisations des fédérations et des unions départementales à la confédération demeurent sensiblement différents (alors même que - statutairement - ils devraient être égaux). Selon les sources, les reversements des fédérations à la confédération demeurent inférieurs de 9 à 20% à ceux des unions départementales. Il y a donc, notamment, des rétentions de ressources au niveau des fédérations.
Une collecte centralisée des cotisations
Mais sous couvert de technicité, ce débat est avant tout « politique ». On débat sur les cotisations en pensant à autre chose... En outre ce débat ne paraît guère intéresser les adhérents de base. C’est un débat entre militants, et même entre militants spécialisés, professionnalisés. C’est un débat entre initiés. L’idée est simple : il s’agit de mettre en place un organe collecteur central des cotisations, lequel reversera ensuite une quote-part des cotisations à toutes les organisations (territoriales, fédérales, spécialisées) selon des proportions définies au préalable par ces organisations (en fonction de « fourchettes » définies au niveau confédéral).
Actuellement, c’est le syndicat de base qui verse aux diverses structures. Par exemple, sur 10 euros encaissés, un syndicat reversera 3 euros à son union départementale, 4 euros à sa fédération, 1 euro à son union locale (cela est variable selon les lieux et les secteurs professionnels). Puis, à leur tour, union départementale et fédération reversent au niveau confédéral et à des structures spécialisées. Ce système est très complexe et souffre du fait que les syndicats de base, puis les unions départementales ou fédérations, sont loin de procéder à tous les reversements de ressources auxquels ils sont en principe contraints. Cela engendre de grands déséquilibres, beaucoup de cavalerie, conduisant notamment à étaler les exercices financiers annuels sur 24 mois...
Nouveau système
Dans le nouveau système, les syndicats de base ne verseront plus qu’à un seul organisme qui répartirait ensuite les ressources. Certaines organisations craignent de perdre une part de leurs ressources dans ce dispositif. Une « centralisation » (« confédéralisation » excessive) de la CGT est également redoutée, les administrateurs de ce nouvel organisme devenant de fait les vrais détenteurs du pouvoir dans la CGT. D’aucuns redoutent en particulier une contamination du « modèle » CFDT puisque dans cette organisation existe un organe collecteur des cotisations. Or, le « modèle » cédétiste constitue encore bien souvent pour des militants CGT un véritable « repoussoir ». L’identité cégétiste se construit même contre celui-ci.
Pourtant, ce projet ne va pas véritablement au fond des choses. Car ce seront toujours les syndicats de base qui procéderont au premier reversement des cotisations. Or, qui peut assurer que ne perdureront pas des rétentions de cotisations à ce niveau, voire certains « arrangements » dans les champs territoriaux et professionnels ? Pour éviter ce risque, il faudrait - selon certains - que ce soit les syndiqués eux-mêmes qui versent leurs cotisations à l’organisme central de collecte. Mais cela n’est pas envisagé.
Ancien système
Réticences des fédérations
La plupart des fédérations combattent le nouveau système de répartition des cotisations. Elles craignent de perdre une part de leurs ressources, donc de leur autonomie et leur autorité politique.
Les fédérations de l’Agro-alimentaire, de la Chimie, des Cheminots, de la Poste... sont particulièrement hostiles... Cela recoupe d’ailleurs un clivage idéologique (évoqué plus bas). Par contre, la Métallurgie est favorable à la réforme.
Il existe également une tendance - chez certains - de voir dans la CGT une « auberge espagnole ». On utilise ses structures à des fins relativement étroites ou exclusives. Ces syndicats ou fédérations n’ont pas envie de payer pour les diverses structures de la CGT. Nous avons parfois parlé d’une tendance à la « fédéralisation » des structures. D’autres évoquent parfois un retour du « corporatisme ». Celui-ci
Le projet est également un peu flou concernant certaines structures telles les unions locales et les comités régionaux. Ces structures suscitent des discussions en interne. Elles se sont construites souvent « contre » des structures professionnelles, sont souvent « généralistes ». Elles peuvent donc être perçues comme étroitement « politiques » (cas de certaines unions locales qui privilégieraient un certain gauchisme tout en rejetant la mise en œuvre la politique générale de la CGT par refus d’un réformisme supposé) ou l’affaire exclusive d’hommes d’appareils (cas des comités régionaux).
Plus largement - au fil de son histoire - la CGT a empilé des structures... sans se demander si elle disposait des ressources financières - ou même militantes - pour tenir toutes ses structures. Le débat sur la répartition des cotisations est aussi un moyen de discuter de cet empilement et des rapports entre structures (dans un souci de cohérence d’ensemble). Mais, pour le moment, il n’est pas question de remettre en cause l’une de ces structures. D’ailleurs dès lors que l’on tente de discuter d’une de ces structures - unions locales ou comités régionaux par exemple - il se produit immédiatement une levée de boucliers. C’est un peu comme au PCF. Chacun sait que les cellules n’existent plus que sur le papier... mais il n’est pas question d’y toucher (et celui qui s’y était risqué - R. Hue - a perdu son leadership).
1 % du salaire net
En marge de ce débat, on rappellera que les cotisations à la CGT correspondent - en principe - à 1% du salaire net. Mais pratiquement aucune structure n’exige ce 1%, jugé trop élevé. On indiquera aussi que les cotisations sont en principe versées mensuellement par chèque ou en liquide. Dans 20 à 25% des cas, il s’agit de prélèvements automatiques. Mais ces derniers se sont assez peu développés à la CGT, pour des raisons politiques et techniques (d’ailleurs liées). Le prélèvement automatique c’est encore un choix CFDT et, de façon sous-jacente, le choix d’un syndicalisme de service, d’un syndicalisme essentiellement institutionnel (le syndicat agence sociale). De ce modèle, bien des militants de la CGT ne veulent pas. En outre le prélèvement automatique exige une comptabilité suivie, des relations « professionnelles » (et informatiques) avec les banques. De ce point de vue, il semble que la CGT ne soit pas toujours bien armée. En termes d’organisation comptable, une certaine improvisation perdure ; on gère dans l’urgence ; on ne se soucie pas de la « traçabilité » (de l’origine) des financements. Il ne semble pas toujours simple au niveau des unions départementales et des fédérations de savoir à quoi correspondent les reversements qui sont encaissés. S’agit-il de quote-part de cotisations ? S’agit-il de retour de subventions ? Désormais, les cotisations représentent moins de 50% des ressources des organisations. Cette situation peut poser la question de l’indépendance de certaines structures.
On indiquera encore que la première cotisation annuelle payée par un syndiqué est dite cotisation FNI (fonds national interprofessionnel). Cette cotisation est versée intégralement à un fonds national interprofessionnel (elle correspond actuellement à un peu moins de 10 euros). Ce fonds a servi à payer les murs de Montreuil. Il sert maintenant à leur entretien. Il alimente aussi des aides aux diverses structures de la CGT (type union départementale) qui doivent soumettre au FNI des projets. Une part du FNI alimente aussi INDECOSA (l’association de consommateurs de la CGT), l’Avenir social (une caisse de solidarité interne pour les structures ou adhérents qui seraient notamment confrontés à des catastrophes naturelles), à payer une assurance à la MACIF (couvrant les militants de la CGT).
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