{{Au congrès de la CGT, les commentaires médiatiques ont été nombreux, relatifs aux divisions internes qui se creuseraient ou aux évolutions de la confédération vers une ligne plus réformiste. La transformation de l'organisation n'a pas suscité beaucoup de débats, y compris entre congressistes. L'enjeu est pourtant de taille.}}
La réorganisation des structures militantes aura été l’un des grands enjeux de ce congrès. Le congrès de 2006 avait mis en place un système centralisé de gestion des cotisations, homogénéisant la collecte et l’allocation des ressources dans et entre les diverses organisations qui composent la CGT. C’était aussi une garantie de remontée effective des ressources pour la confédération ainsi que de plus de cohérence financière - et a fortiori politique - interne.
Objectif : relancer la syndicalisation
En ouvrant le chantier des structures, le 49e congrès entend aller encore plus loin. Cette question organisationnelle n’est pourtant pas nouvelle. Ainsi, la confédération a lancé il y a quelques années des syndicats multiprofessionnels qui doivent mieux couvrir le tissu mouvant des petites et moyennes entreprises où le syndicalisme peine à s’implanter. Cependant, les résultats sont encore limités. Ils n’ont pas permis de redresser, sauf exception locale, la courbe de la syndicalisation. Il s’agit donc de mettre en chantier des transformations et innovations plus profondes.
L’affiche du 14ème congrès de la CGT, en 1919, présentait l’organisation confédérale, telle qu’on la connaît : syndicats-fédérations- unions départementales-confédération
A plusieurs reprises au cours du mandat écoulé depuis 2006, les dirigeants confédéraux ont fait publiquement le constat que la CGT était principalement implantée dans des secteurs où les effectifs salariés déclinent (fonction publique, entreprises à statut) et peu présente sinon absente dans les secteurs en croissance d’emplois. Selon une note interne de mai 2008, la CGT constatait par exemple que cinq grandes entreprises (SNCF, EDF, GDF, RATP, La Poste) représentant 3,3% du salariat - proportion en recul - concentraient 21,2% de ses adhérents. En cherchant à innover dans son mode d’organisation, la CGT entend donc mieux coller aux réalités de l’emploi. Le document d’orientation du 49e congrès préconise une « démarche de transformation de l’organisation », sans pour autant définir un modèle pour l’avenir.
La confédération se révèle méfiante à l’égard de structures existantes qui gèleraient les évolutions nécessaires, empêcheraient l’adaptation par leur capacité de résistance.
A ce propos, Bernard Thibault déclarait lors du rapport d’activité présenté lors de l’ouverture du congrès, le 7 décembre 2009 : « Il est essentiel, voire vital, de se défaire de ces réflexes patrimoniaux comme si une organisation était propriétaire des adhérents alors que ceux-ci sont d’abord syndiqués à la CGT. Si notre fonctionnement devait rester le théâtre de ces disputes ou de ces replis, notre syndicalisme se réduirait à une cohabitation de corporatismes, qu’ils soient d’entreprises ou de statuts ».
Etonnamment, la structuration nouvelle qui est proposée ne serait plus nécessairement assise sur l’entreprise : « L’organisation des salariés ne peut plus émaner des seuls syndiqués des entreprises » mentionne le document d’orientation. Bernard Thibault se voulait toutefois plus prudent lors de l’ouverture du congrès : « Le syndicat d’entreprise reste aujourd’hui la référence au sein de la CGT ». Quel serait alors le modèle organisationnel ? Quelles seraient les nouvelles impulsions à donner ? Et n’y a-t-il pas un risque aggravé de césure avec la base ?
La confédération paraît surtout se méfier des syndicats des grosses entreprises, des « entreprises donneurs d’ordre ». Disposeraient-ils de trop de ressources qui leur permettraient de vivre en complète autonomie, sinon de se moquer des inflexions confédérales ? Ou s’agit-il de promouvoir plus de solidarité avec les entreprises sous-traitantes ? D’où la nécessité de remettre en cause des syndicats repliés sur eux-mêmes et manquant de solidarité à l’égard d’homologues plus fragiles, appartenant pourtant au même secteur économique.
Croiser les expériences
Plus largement, la confédération veut favoriser toutes les dynamiques possibles, croiser les expériences : « Les syndicats sont invités à s’interroger sur leurs périmètres géographiques et professionnels ; les décisions devant être prises dans des congrès de syndicats, avant la fin de 2011 » (selon le rapport présenté par B. Thibault).
Quelque 20 000 syndicats sont concernés, entre lesquels il faut assurer une certaine cohérence et veiller au respect des orientations confédérales. La démarche est nécessairement lourde. A la CFDT, les choses sont finalement plus simples parce que moins éclatées, plus centralisées.
On doit néanmoins se demander si la CGT de 2009 ne lorgne pas sur l’organisation cédétiste après s’être largement inspirée de son système centralisé de prélèvement des cotisations.
Au 49ème congrès confédéral de la CGT
Bernard Thibault n’a-t-il pas proposé dans son discours d’ouverture du 49e congrès de « faire du syndicat le premier niveau de « confédéralisation » [ce qui] impose [de réfléchir] sur les autres organisations de la CGT » ? Le secrétaire général de la CGT préconise plus précisément de rechercher « une meilleure imbrication entre professionnel [les fédérations] et interprofessionnel [les unions territoriales] ». Il propose « d’organiser des conférences territoriales interprofessionnelles avec les syndicats et les fédérations avant fin 2011 afin de définir l’évolution du rôle et des missions des structures et organisations territoriales UL, UD, Comités régionaux ». Comme l’Etat, la CGT cherche à remettre à plat et à penser autrement son organisation. Mais, comme pour la décentralisation, cela ne va pas sans risque.
« Confédéralisation » ou discipline interne
On doit se demander en particulier si pour la confédération CGT, les fédérations ne disposeraient pas de trop d’autonomie depuis que le PCF et la culture communiste ne sont plus là pour assurer la discipline interne et relayer fidèlement les mots d’ordre définis au sommet.
En outre, le CCN (le Comité confédéral national, qui réunit les dirigeants des fédérations et des unions territoriales) est devenu - pour les mêmes raisons - assez peu sûr sinon incontrôlable. On l’avait bien vu, en 2005, lors de la mise en minorité - qui reste historique - par le CCN du secrétaire général concernant l’attitude à adopter lors du référendum sur le traité constitutionnel européen. Cela peut expliquer en partie le projet de consolider la CE (Commission exécutive), organe plus resserré et plus étroitement dépendant du Bureau confédéral.
La transformation organisationnelle n’a donc pas pour motivation exclusive la syndicalisation. Cela touche aussi à la distribution du pouvoir dans l’organisation. De l’avis même de ses initiateurs, il s’agit de favoriser la « confédéralisation », ce qui suscite certes des critiques internes, mais se justifie aussi pour des raisons de professionnalisation de l’organisation et d’efficacité.
De ce point de vue, la CGT a bien le « modèle » CFDT en tête. L’entreprise de médiation et d’expertise qui est visée doit supplanter un militantisme plus classique, plus désordonné et, plus encore, supplanter des organisations - syndicats d’entreprise ou fédérations - qui conserveraient une trop grande autonomie quand elles ne constituent pas de petites baronnies.
Outre ces transformations organisationnelles, la CGT déplore que « des difficultés persistent dans la mise en œuvre de pratiques démocratiques fondées sur la place des syndiqués ». Cela vaut notamment pour la constitution des listes lors des élections professionnelles. Est-ce admettre en creux que ces élus CGT vivraient en vase clos ?
En fait, cette exigence démocratique dépend aussi de l’impact des nouvelles règles de représentativité syndicale. Les dirigeants CGT, bien qu’ils aient porté cette réforme (avec leurs homologues de la CFDT), en craignent certains effets pervers : trop d’indépendance des représentants syndicaux par rapport à l’organisation syndicale et à sa « ligne » parce que ces représentants doivent désormais leur légitimité du seul suffrage professionnel.
Fédéralisme ou centralisme : le débat des années 1936
Deux brochures publiées en 1937 par le Centre confédéral d’éducation ouvrière (CCEO) de la CGT permettent aux militants de se familiariser avec les structures et l’organisation interne de la CGT. Robert Bothereau (qui sera en 1948 le secrétaire général de la CGT-Force ouvrière) écrit dans l’une d’elles : « La CGT n’est pas une organisation centraliste à l’extrême. La Confédération Générale du Travail est au contraire formée sur la base fédéraliste. Dans le cadre des décisions de congrès, la plus large autonomie est laissée aux organisations internes : Fédérations, Unions ou Syndicats. La question a été agitée de nombreuses fois dans les congrès confédéraux et, encore récemment, au dernier congrès tenu à Toulouse, les deux thèses s’affrontaient. Des polémiques, auxquelles j’ai participé, s’étaient engagées à ce sujet : la CGT sera fédéraliste ou centraliste. La décision prise à Toulouse a conservé la structure de la vieille Confédération Générale du Travail et l’autonomie la plus grande possible des organisations syndicales qui la composent ». Nous le voyons : le débat actuel n’est pas nouveau. B.V.
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