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Photo du rédacteurMichèle Millot

Comment sont réglés les conflits du travail en Europe ?

Comment, en Europe, sont gérés et réglementés les conflits du travail ? Les situations sont très différentes d'un pays à l'autre, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Un regard sur les différentes pratiques s'impose.


Depuis le début de l’ère industrielle, la grève a toujours constitué l’ultime recours des salariés pour se faire entendre par leur direction.


En près de 200 ans de développement industriel, bien des choses ont changé. Les conditions de travail et de rémunération se sont heureusement modifiées, les mentalités aussi. La grève reste toujours un outil utilisable, même si dans certains pays, comme les Pays-Bas ou l’Autriche, il se rouille un peu, faute d’avoir été utilisé depuis 20, 30 ou 40 ans ! Même dans les pays à tradition plus conflictuelle, les salariés s’en servent désormais « avec modération ». Non que les raisons d’insatisfaction aient disparu, mais plusieurs facteurs sont venus modifier le paysage.


Les tentatives pour réglementer le secteur public


Avant même la création de l’Union européenne, le droit de grève était, soit reconnu par la Constitution comme en France, soit de fait comme en Belgique.


La Charte de l’Union européen ne consacre la liberté de réunion, d’association, le droit de négocier, d’agir, y compris par la grève. Sans remettre en cause ce droit, la plupart des États s’efforcent de le canaliser, en agissant sur deux plans :

- réglementer l’usage dans le secteur public,

- imposer des procédures avant déclenchement dans le secteur privé.


L’Italiedans le secteur public, est longtemps apparue comme un pionnier et un modèle. Elle a tenté de faire coexister deux droits parfois contradictoires, le droit de grève et le droit pour chaque citoyen de pouvoir circuler, se faire soigner.


Dès 1984, les trois confédérations : CGIL, CISL, UIL décident de s’autoréglementer. Elles posent le principe de l’interdiction de conflits à certaines périodes et surtout elles acceptent un préavis obligatoire de dix jours devant permettre d’ouvrir et de faire aboutir des négociations sur l’objet du litige. Plus marquant encore, les trois confédérations instaurent le principe d’un service minimum.


Malheureusement, de petits syndicats autonomes ou les groupes spontanés de base (les cobas) ne se sentent pas engagés par l’accord. Bien que très minoritaires, ils réussissent à provoquer de sérieuses perturbations. Sentant l’irritation de la population, les confédérations se tournent vers le gouvernement pour demander une « législation de soutien » qui, en 1990, reprend l’essentiel de l’accord d’autolimitation. Soucieux sans doute de la qualité de vie, la loi interdit totalement la grève pendant les fêtes de Noël, de Pâques et... pendant la période de vacances d’été.


Une Commission, l’ « Autorité de garantie pour le droit de grève » est instituée. Elle est composée de 9 membres désignés par les présidents des deux assemblées. Cette autorité examine chaque conflit. Si elle estime que celui-ci est illégal, elle peut prononcer des sanctions contre le syndicat organisateur et même contre les salariés. Dans certains cas, elle peut bloquer le démarrage de la grève. Elle refuse toujours par exemple, en vertu du droit du citoyen à se déplacer, les grèves simultanées des trains et des avions. Elle veille au respect du principe du service minimum qui doit être de 50% du service normal. Les moyens de transport doivent fonctionner de 6 à 9 heures et de 18 à 21 heures. Le service de ramassage scolaire doit être assuré au moins au tiers, ainsi que la collecte des ordures. Pendant une dizaine d’années, le système a fonctionné de manière satisfaisante.


L’arrivée du gouvernement conservateur de Silvio Berlusconi modifie le climat. Comme le reconnaît l’Autorité de garantie, la loi de 1990 a bien fonctionné jusqu’à maintenant mais, aujourd’hui, les salariés prônent des grèves dures. Les sanctions individuelles ou collectives pouvant aller jusqu’à 25000 euros pour les syndicats autonomes et les exclusions de la table des négociations n’arrêtent plus certains mouvements. Parfois, la loi est contournée. En juin 2003, 2000 salariés d’un service public sont soudain tombés malades en même temps, victimes d’insomnies prolongées, de grippes ou d’inflammation du ménisque. L’Italie retrouve une situation « à la française ».


En Espagne, le principe du service minimum est inscrit dans la Constitution, avec des « garanties nécessaires pour assurer le maintien des services essentiels de la communauté ». Mais la Cour constitutionnelle a donné une interprétation floue de cette disposition. Elle a décidé qu’« un service est essentiel non en raison de sa nature, mais de l’attente qu’il suscite dans le public ».


Le dernier conflit dans les services publics espagnols remonte à 1997. Du côté syndical, on explique que ce sont les négociations entre partenaires sociaux plus que les lois et décrets qui permettent d’aboutir à la paix sociale.


Au Danemark, les employés de la compagnie ferroviaire nationale ont le statut de fonctionnaires d’Etat, ce qui leur interdit de faire grève.


En Grèce, la loi prévoit pour le secteur public la possibilité de mobiliser le « personnel de sécurité » pour un service minimum. En pratique, ce service minimum n’est assuré que dans les hôpitaux et le contrôle aérien.


En Allemagne, comme enSuède, aucune loi ne prévoit un service minimum. En théorie, les transports peuvent être totalement paralysés. Mais les grèves y sont rares, le système de négociation fonctionnant bien. La négociation et le consentement des parties semblent le meilleur moyen d’éviter la paralysie des services publics.


En France, le système d’alerte expérimenté à la RATP puis adopté à la SNCF a permis de diviser par trois le nombre des conflits. Chez EDF, un accord entre la direction et les syndicats a évité, depuis 1979, que les conflits dans cette entreprise se traduisent par des coupures de courant.


Dans les nouveaux pays, le principe du service minimum dans le secteur public est imposé par l’Etat ou par accord tripartite.


L’Union européenn epréfère ne pas entrer dans une réglementation qui porterait atteinte au droit de grève. « La question ne relève pas d’une intervention communautaire » a déclaré Anna Diamantropoulou lorsqu’elle était commissaire aux Affaires sociales. La Confédération européenne des syndicats (CES) constate que « la tentation de régler par des lois le droit de grève dans les services publics est typique des pays de culture méditerranéenne. En Europe du Nord, les mécanismes de contrôle sont fondés sur des pratiques contractuelles ou sur le rapport de force, comme en Grande Bretagne ». De fait, lorsqu’en 2003 le gouvernement travailliste envisage de privatiser le métro, les syndicats menacent d’une grève massive et... de ne plus financer le parti travailliste ! Le gouvernement a reculé. Comme le constate un leader syndical, « la grève est devenue un objet de négociation ». La menace suffit souvent à ouvrir une négociation et à déboucher sur un compromis.


Les actions modératrices dans le secteur privé


Dans le secteur privé aussi, quelques pays ont voulu canaliser le recours à la grève. Dans certains cas, comme au Royaume-Uni, cela s’est effectué par la loi, dans d’autres comme la Suède, par l’auto-régulation contractuelle.


L’Employment Act de 1990 définir pour les syndicats britanniques ce qui est licite et illicite en matière de grève. Le syndicat doit, auparavant, consulter tous ses adhérents, puis recueillir l’accord de la majorité d’entre eux par un vote à bulletin secret.


La grève de solidarité (s’arrêter pour soutenir l’action d’autres salariés d’une entreprise différente ou d’une autre branche) est interdite dans plusieurs pays comme la France ou l’Allemagne. En Grande-Bretagne, l’interdiction est particulièrement large. A l’intérieur d’une même entreprise, les débrayages des salariés d’un établissement pour soutenir les salariés d’un autre établissement sont illégaux.


En Allemagne, les syndicats ne peuvent pas déclencher de grèves pendant la durée de l’accord régional de branche. Ce n’est qu’à l’issue de la période des négociations, lorsque la convention précédente est arrivée à son terme que le syndicat peut lancer une grève. Il doit auparavant consulter les salariés. Ceux-ci doivent se prononcer à plus de 75% pour que la grève puisse être lancée.


Les Pays-Bas ont introduit deux variantes. La « paix relative » interdit la grève sur les points figurant dans l’accord. La « paix absolue » interdit expressément tout conflit de quelque nature qu’il soit, pendant la durée de la convention.


La Suède a elle aussi choisi la voie de l’auto-réglementation. Le « Pacte de coopération » signé en 1997 est destiné à réguler la politique salariale. En cas d’échec des négociations, la commission paritaire, chargée de suivre l’application de l’accord, désigne un « Président neutre ». Celui-ci, choisi sur une liste de personnalités indépendantes, peut prolonger la période de négociation. Il a même le pouvoir de suspendre le préavis de grève pendant 14 jours. En revanche, dans ce pays, le patronat n’a pas pu obtenir l’interdiction des grèves de solidarité.


La France, l’Italie connaissent un joyeux spontanéisme. Un groupe de salariés, même sans accompagnement syndical, peut décider de cesser le travail sur-le-champ, sans préavis.


Les nouveaux pays


Dans les nouveaux pays ex-soviétiques qui découvrent la grève, celle-ci est autorisée mais strictement réglementée. Même lancée à l’initiative d’un syndicat, elle doit, dans la plupart des pays, être approuvée en assemblée générale des salariés (souvent à une majorité de 75%) comme en Estonie ou en Lituanie. Ensuite, il est nécessaire de recourir avant la cessation de travail à la conciliation, médiation ou arbitrage, Ce n’est qu’à l’issue de l’échec de ces procédures que le conflit pourra démarrer, mais en respectant un préavis de 5 à 10 jours, selon les pays. Formule originale, les grévistes doivent élire un « leader de la grève ». Celui-ci a pour mission de présenter à l’employeur, par écrit, les revendications mais aussi de « maintenir une bonne conduite des grévistes ».



Il existe donc deux situations distinctes en Europe concernant les conflits collectifs. En Allemagne, en Autriche, au Luxembourg, en Espagne, en Grèce, en Suède, en Finlande et dans les dix nouveaux pays, les salariés ne peuvent recourir à la grève qu’après le respect de règles strictes. Parfois, seul le syndicat peut déclencher un conflit dans des conditions déterminées à l’avance. Parmi celles-ci figurent l’obligation de respecter un préavis, même dans le secteur privé. Au Danemark, cette période est de 14 jours, en Suède de 7 jours. Parfois, cette restriction s’accompagne de l’obligation de saisir un conciliateur ou une instance de médiation, c’est le cas en Allemagne, tandis que le recours à la médiation est la règle en Grande-Bretagne, Irlande, Suède et dans les nouveaux pays venus de l’Est.


En revanche, en France ou en Italie, il n’existe aucune limitation ni procédure obligatoire dans le secteur privé.


Une autre démarche pour gérer les conflits collectifs passe par les tribunaux. En fait, ceux-ci sont souvent saisis pour des conflits d’interprétation d’un accord. Dans plusieurs pays, ce sont les conventions collectives elles-mêmes qui prévoient le recours à une commission paritaire composée de représentants des employeurs et des salariés. C’est comme le note le professeur A. Jacob de l’Université du Brabant (Revue Personnel, n°379, septembre 1997) : « la conséquence de la liberté contractuelle des parties et leur capacité d’interpréter le texte dont elle sont à l’origine ». En Belgique, les tribunaux ne font pas à intervenir à propos des conventions collectives.


A lire aussi dans « Les Etudes sociales et syndicales » :


- La grève, la négociation : données chiffrées, novembre 2005

- Grèves : service minimum ou négociation maximum ?, 21 janvier 2005

- La réglementation de la grève, 7 janvier 2005

- Le paiement des jours de grève, 29 août 2003

- « La grève, une histoire sociale », 21 juillet 2003

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