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Photo du rédacteurJean-Luc Vergne

Conduire le changement : le rôle du DRH

S'il est un métier où la conviction compte, tout autant que la maîtrise des techniques professionnelles, c'est bien celui de directeur des ressources humaines. La conduite du changement exige la maîtrise d'une conviction et d'une vision claire de l'entreprise. Jean-Luc vergne nous livre ici son expérience.


Fusions, acquisitions, optimisation, recentrage, changements de systèmes d’information, nouvelles stratégies. La vie des organisations est marquée par de nombreuses phases de changements et de transformations. Cela dure depuis l’origine, et quoi de plus normal ? Le Sanofi d’aujourd’hui n’a rien à voir avec les laboratoires Labaz ou Clin Midy. PSA Peugeot Citroën ne ressemble en rien aux usines Peugeot du début du siècle, etc.


Le changement est donc naturel, ce n’est pas une nouveauté ; la nouveauté, en 2013, c’est le rythme, l’ampleur, et souvent la brutalité de ces évolutions qui concernent aussi bien la stratégie, l’organisation, les systèmes d’informations, les implantations géographiques... Mais pourquoi changer ? C’est un truisme de rappeler qu’une entreprise qui n’évolue pas, ne se transforme pas et ne s’adapte pas aux évolutions de son environnement est appelée à mourir. J’ai connu de nombreux exemples de leaders qui se sont endormis sur leurs lauriers et qui ont disparu, faute d’avoir su s’adapter, anticiper, voire susciter les évolutions.


Certes, je dois reconnaître que certains chefs d’entreprise « amplifient » la nécessité et l’urgence du changement. Mais au-delà des exercices de communication, souvent destinés à la communauté financière, leur analyse est souvent étayée et justifiée. On parle ici de la pérennité de plusieurs milliers d’emplois... Ce n’est donc pas simplement de signaux qu’il s’agit.


S’il y a plusieurs manières d’appréhender le changement et de le conduire, l’idéal, à mon sens, reste l’amélioration continue, sans brusquer ni braquer les collaborateurs. C’est la mise en place, en mouvement, d’une démarche dans l’entreprise, qui lui permet d’être réactive face à l’instabilité de son environnement.


Quels sont les facteurs de changement ? Certains « conseils en management » et professeurs émérites les classent en catégories de changements opérationnels et de changements sociaux. Pour ma part, en tant que modeste DRH, je préfère me cantonner à une typologie compréhensible par les collaborateurs : facteurs externes et facteurs internes, étant entendu que les transformations ou les ruptures ne proviennent pas d’un seul, mais de plusieurs facteurs.

- Les facteurs externes, ou exogènes -

Ce sont tous ceux qui procèdent des évolutions de l’environnement économique, légal et commercial des entreprises. L’évolution des marchés, en particulier de la demande des clients dont j’ai été témoin dans l’industrie automobile (demande de monospaces, de 4X4, puis de SUV) ; les évolutions technologiques, avec par exemple l’impact des NTIC sur les offres des banques ; ou encore les évolutions réglementaires, le développement de la concurrence et l’arrivée de nouveaux acteurs, ou enfin les pressions de la Bourse ou des analystes financiers, constituent autant de facteurs exogènes du changement.

- Les facteurs internes, ou endogènes -

Ceux-ci sont par définition moins faciles à isoler et à circonscrire et découlent souvent des facteurs externes : il est évident que les changements d’orientation stratégique sont souvent causés par l’externe mais il faut bien établir une frontière, et définir ce qui influence la vie de l’entreprise de l’intérieur. Qu’il s’agisse de délocalisations de productions pour se rapprocher de nouveaux marchés latino-américains ou asiatiques, de cessions d’activités pour se recentrer sur son cœur de métier, d’OPA ou d’acquisitions à intégrer ou d’activités à externaliser, chaque action a un impact sur la vie de l’organisation. De même, les décisions de nouveaux dirigeants qui prennent systématiquement le contre-pied des décisions de leurs prédécesseurs est un grand classique, pas toujours justifié ni productif.


J’ai bien conscience que cette typologie, tirée de mon expérience, en particulier chez PSA et BPCE, est sommaire, voire simpliste. Mais n’est-ce pas la finalité de la conduite du changement que les tenants, les aboutissants et les objectifs soient connus et compris de tous ?

- Le changement, ça dérange tout le monde -

J’ai connu plusieurs formes de résistances, bien compréhensibles au demeurant, puisque tout changement, toute transformation crée des incertitudes, casse des habitudes, et remet en cause les « conforts » acquis dans une société française de plus en plus anxieuse face à l’avenir. Il ne faut pas le nier, des résistances émergent quasiment toujours, prenant des formes variées selon les individus et les groupes : inertie, zèle, discussions et ratiocinations sans fin, rébellions et/ou grèves, sabotages et macadams, démotivation, etc.


Ces résistances seront d’autant plus fortes que les dirigeants auront négligé deux facteurs : d’abord, le temps nécessaire pour comprendre et accepter le changement ; puis l’appropriation par tous les acteurs des objectifs et des processus à mettre en œuvre. Trop souvent, les dirigeants oublient que les transformations concernent et passent par les hommes et les femmes de l’entreprise. Or, les réactions de ces humains peuvent être imprévisibles. Les changements considérés comme indispensables par un comité de direction peuvent être perçus à l’inverse par les salariés comme totalement inacceptables. Et si les problèmes techniques trouvent toujours des solutions, les problèmes humains sont souvent très difficiles à surmonter, et marquent l’histoire d’une entreprise. Nous savons que, dans tous les projets, il y a une période plus ou moins importante de perte de productivité, pendant la mise en œuvre et l’adaptation : l’importance de cette perte dépendra des formes et de la vigueur des résistances. Dans certains cas, cela peut aller jusqu’à l’échec complet et la remise en cause intégrale des transformations envisagées.



Les facteurs d’échec sont classiques : non-adhésion des collaborateurs au projet, déficit d’information, de communication et de formation, manque d’implication et d’engagement du management intermédiaire... Pour y parer, il convient tout d’abord de garder présent à l’esprit que la transformation d’une organisation n’est pas la conduite traditionnelle d’un projet. Elle implique un pilotage capable de dénouer conflits et résistances, d’adapter moyens et rythmes en fonction des imprévus, et enfin de mener à terme un processus qui sera lui-même perturbé au fil des mois par... la transformation.

- Quelle conduite du changement ? -

Aujourd’hui, il s’agit d’un processus et d’un domaine qui font le bonheur et la richesse de nombreux cabinets de consultants et de formation, qui proposent aux entreprises le pilotage de leur transformation, dans des formules plus ou moins clés en main. Mais avant cela, et au-delà de ces spécialistes, je retire deux enseignements de mes expériences passées. Il est vital de commencer par procéder à un audit des points forts et des points faibles de l’organisation, afin de savoir sur quoi - secteurs, activités, éléments, compétences - l’on va pouvoir s’appuyer. A contrario, il est tout aussi vital de cerner les points à améliorer, ceux qui pourront être les premiers à craquer... _Une fois cet audit effectué, sans complaisance et sans qu’il ait nécessairement vocation à être rendu public, c’est au président qu’il incombe de bien définir la stratégie, de dessiner une vision claire de l’avenir et de définir ce que l’organisation a à gagner. Il sera bien sûr aidé en cela par son comité de direction ou comité exécutif, mais je recommande au DRH de veiller à la clarté de cette stratégie. _Je n’essaierai pas de dessiner, même à grands traits, une méthode miraculeuse, car je considère qu’il n’y en a pas. Tout doit être adapté à la culture et à l’historique de l’entreprise, aux caractéristiques de ses collectifs. Il est impératif que les dirigeants s’impliquent dans la conduite du changement sans s’écarter de la mise en œuvre des objectifs. Il ne suffit pas de définir le souhaitable puis de laisser faire : il faut s’impliquer, voire s’entêter dans la mise en œuvre effective. Soyons conscients que beaucoup de dirigeants se cantonnent, souvent avec brio, à la définition de la stratégie, en ignorant les modalités opérationnelles. C’est ainsi que nombre de grands plans n’ont jamais vu le jour.

- Les six points clés -

Sans méthode miracle, j’ai relevé des tendances de fond dans les processus. Tout d’abord, il est vital d’obtenir l’adhésion des collaborateurs. Pour ce faire, je ne peux que conseiller de les faire participer à la définition des objectifs et des moyens pour les atteindre : les participants s’approprient ainsi la solution retenue, qui n’est plus celle de la direction mais la leur. On s’assure ainsi la motivation des salariés pour le changement.


Deuxième point : il faut communiquer, communiquer, communiquer ! Passer d’une communication collective à une communication individuelle, et vice-versa : la redondance, dans ce domaine, n’est pas superflue. En effet, c’est ainsi que l’on crée l’adhésion, en valorisant les efforts consentis et les premiers résultats obtenus. En outre, nul besoin pour ce type de communication de prestations d’agences chères et complexes : c’est de communication humaine et de proximité que les équipes ont besoin.


Troisième point : il faut veiller à l’implication du middle management qui a un rôle important à jouer. Il ne doit pas rester au bord de la piscine, mais il doit s’approprier la stratégie, la relayer en traduisant la formation à son niveau et lui donner un sens.



Quatrième point : la formation est importante dans le processus, surtout lorsque ce sont des changements qui vont toucher les processus ou les systèmes d’information. Il est impératif d’apprendre aux collaborateurs les nouvelles fonctionnalités des outils informatiques.


Cinquième point : apprenez à gérer le temps. Même si le changement est une nécessité vitale pour ne pas disparaitre, attention à ne pas vouloir tout mener au pas de course ; cela entraîne incompréhension et perte de confiance de la part des équipes.


Enfin, un dernier point : veillez à ne pas attenter à la santé des collaborateurs. C’est élémentaire, bien sûr, mais cela va mieux en le disant !

- Une affaire d’hommes et de femmes, donc une affaire de DRH-

Mener à bien le changement implique la mise en place d’une équipe dédiée qui va piloter le projet. Il faut avant tout des opérationnels qui connaissent bien les métiers, les collaborateurs, et qui soient également légitimes pour faire passer des messages. Mais je considère que les DRH ont un rôle important à jouer, quel que soit le titre qu’on leur donne. En effet, ils ont aujourd’hui acquis leur légitimité sur les métiers, la formation, la gestion des carrières, la communication. Ils connaissent la population, l’histoire, la culture, les instances représentatives du personnel, les obligations légales et réglementaires... Plus que d’autres, ils sont légitimes pour orchestrer le processus de changement, régler les problèmes et conflits de pouvoir, gérer les aspects émotionnels, et prendre les arbitrages nécessaires. Ils ont cette légitimité car les changements et les transformations auront, en outre, des impacts sur tous leurs domaines. C’est ici un axe encore relativement nouveau, que les DRH se doivent d’investir afin de continuer à enrichir leur fonction.



Itinéraire d’un DRH gâté, par Jean-Luc Vergne, Eyrolles, 2013, 210 pages, 17,- €.

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