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Guy Basset

Deux livres sur Force Ouvrière

André BERGERON, secrétaire général de 1963 à 1988, livre ses Mémoires. Marc BLONDEL, en poste jusqu'à l'an prochain, prend aussi la plume pour d'écrire Force Ouvrière.



1 ’ Mémoires par André BERGERON, Paris, Éditions du Rocher, 2002, 204 pages, 18€.


Secrétaire général de Force Ouvrière de 1963 à 1988, André Bergeron, ’élu à quarante ans plus jeune dirigeant d’une organisation syndicale-, affirme son pragmatisme et ses convictions.


Dans son avant-propos, André Bergeron avoue sa dette à l’égard de son ami Claude Harmel pour ses écrits sur l’action syndicale et la philosophie de cette action : « J’ai trouvé qu’en tant qu’historien, il avait parfaitement traduit les convictions qui ont guidé mon action militante ».


Suivant un fil chronologique, André Bergeron nous retrace les principales étapes de ce qu’on pourrait appeler sa « carrière » au sein de l’organisation syndicale. Son livre s’arrête au moment où il cède la place à son successeur, même si les trois derniers chapitres ont pour objectif de prendre un peu de champ : politique contractuelle et indépendance syndicale, la secousse de 1981, l’Europe y sont les thèmes abordés.


Né près de Belfort le 1er janvier 1922, André Bergeron se trouva par le jeu des circonstances peu à peu engagé dans les rouages du syndicalisme. Il est intéressant de voir ainsi retracé, dans un terreau favorable et provincial, un itinéraire dans lequel les circonstances de la guerre n’y sont pas totalement étrangères. Mais rien ne semblait disposer André Bergeron à occuper la place centrale qu’il a eue et que tout le monde lui reconnaît dans le syndicalisme français et par delà dans la vie politique et sociale de la France pendant quelque quarante ans.


Mais plus qu’une histoire du syndicalisme Force Ouvrière, le parcours que retrace André Bergeron dans ses Mémoires est celui d’un militant et par là celui d’un homme de conviction. Il fallait, en effet, du tempérament pour décrypter à la fois les évènements et les jeux de pouvoir au sein desquels il s’est trouvé mêlé pendant cette période. C’est bien par exemple du refus de la main mise du Parti Communiste sur la CGT qu’est née Force Ouvrière. Et ce ne dut pas être sans cas de conscience que de prendre la décision de s’engager à construire, malgré les obstacles et les difficultés, un nouveau syndicat face aux luttes d’une « fraction » aux options délibérément opposées. Syndicalisme et politique sont deux entités différentes, ne cesse de réaffirmer André Bergeron. Laisser chacun à sa place permet un dialogue fructueux. Il court ainsi au fil des pages un certain anti-communisme ou du moins un positionnement ferme par rapport au communisme qui s’explique en profondeur par cet attachement à vivre un syndicalisme libéré de toute emprise politique.


Les portraits de figures politiques abondent dans le livre. André Bergeron est habitué à discuter ’parfois fermement- avec les grands. On lira ainsi avec intérêt ses souvenirs de rencontre avec de Gaulle ou avec Chirac. D’autres noms sont cités. Mais l’axe fort de l’action d’André Bergeron au sein de son syndicat reste l’action sociale, au sens large du terme. Ce sont ces réussites et ces engagements qu’il laisse en héritage et dont il est sans doute le plus fier. La construction du système de protection sociale dans le sillage de la Libération et des « trente glorieuses » reste son œuvre. La création de l’UNEDIC lui doit beaucoup.


En définitive, c’est à une relecture d’une tranche d’histoire de la France que nous invite André Bergeron dans ce nouvel ouvrage. Le « point de vue » est stimulant pour dégager les grandes crêtes. Et mesurer les conquêtes sociales.



2 ’ Qu’est-ce que FO ?par Marc BLONDEL, Editions de L’Archipel, collection « L’information citoyenne », 2002, 428 pages, 7,50€.


Après un avant propos dans lequel Marc Blondel souligne que Force Ouvrière est bien connue par ses prises de position et par la personnalité de ses différents dirigeants (cités dans un ordre chronologique inversé : Marc Blondel, André Bergeron, Robert Bothereau, sans oublier Léon Jouhaux, prix Nobel de la Paix), suit un portrait de Marc Blondel lui-même « rebelle et raisonneux ». Insistance y est mise sur la notion de fierté, valeur souvent évoquée par Marc Blondel : fierté des engagements politiques et du parcours syndical qui le conduit à un quatrième et dernier mandat à la tête de l’organisation, fierté d’avoir travaillé dans le service public et d’avoir travaillé au service de la communauté, fierté des ses origines familiales de mineur du nord. Ce plaisir d’agir ’ « mon ambition a toujours été de militer » - se double d’une fidélité : adhérent FO depuis 1958, permanent dès 1962 à vingt quatre ans. Amitiés trotskistes, sensibilité libertaire ne font pas oublier à Marc Blondel de n’ »admettre aucune vérité révélée », selon le principe maçonnique auquel il adhère.


Ce rappel d’une participation personnelle active à l’histoire de son organisation précède une « brève histoire de Force Ouvrière », due à Yvette Ladmiral, professeur de philosophie. Le rappel initial de la scission de décembre 1947 qui voit la naissance de la CGT-FO ne peut faire oublier que cette création s’est faite pour renouer avec la charte d’Amiens de 1906 consacrant l’indépendance du syndicalisme (dans le prolongement du congrès de Limoges de 1895, qui avait marqué la naissance de la CGT). La scission de la CGT se fait sur fond international : le refus du plan Marshall par les communistes et l’alignement des communistes de la CGT sur la position de Staline.


Peu après, la loi du 11 février 1950 sur les conventions collectives construit un cadre législatif solide et une référence à l’intérieur de laquelle pourra s’inscrire l’action syndicale. La négociation à tous les niveaux (entreprises, branches professionnelles, accords nationaux interprofessionnels) est privilégiée. Cette stratégie, qui n’exclut pas le recours éventuel à la grève comme moyen extrême, a permis d’importantes avancées sociales, même pour ceux qui dénigraient cette politique. Cependant, la signature d’accords ne peut faire oublier qu’il s’agit de compromis, « étapes sur la route de l’évolution sociale ». Indemnisation du chômage, retraites complémentaires pour citer deux exemples significatifs relèvent de cette stratégie.


Tout ceci se fait dans un principe d’indépendance d’action par lequel FO refuse tout lien organique et toute forme de compromission avec les organes dirigeants du pouvoir. Souci de l’indépendance et pratique réformiste pour relancer le progrès social comme élément de cohésion sociale « donnent à la confédération CGT-FO et à son histoire « consistance et unité ». Appropriation de l’histoire et ancrage dans l’histoire sont donc pour FO des maîtres mots : le chapitre sur l’histoire n’occupe-t-il pas près du tiers de l’ouvrage ?


Mais cette revendication de l’histoire n’empêche pas FO de se dire la plus jeune des organisations syndicales :33% de ses sympathisants, affirme-t-elle, ont entre 25 et 34 ans et la parité homme femme y atteindrait 44%. Ses options ainsi que son mode de fonctionnement fondé principalement sur le principe du fédéralisme et de la liberté n’y seraient pas étrangers. Les 15000 syndicats et sections syndicales prennent en charge journellement la défense des salariés et c’est en partant du désir du plus faible que doit évoluer la société. « La revendication doit être librement et démocratiquement déterminée dans toutes les instances syndicales » rappelle Marc Blondel avec la prétention affirmée de constituer aujourd’hui, face à toute autre organisation syndicale « le syndicalisme authentique ».


La volonté de faire vivre un « syndicalisme libre et indépendant » a pour conséquence tout aussi bien le refus du chèque syndical et la nécessité d’avoir des ressources propres que d’un lien avec tout parti politique même s’il affiche des idéaux sociaux proches. « Les partis politiques sont chargés d’exprimer l’intérêt général alors que nous, nous exprimons à travers le syndicalisme l’intérêt particulier de la classe salariale ». Cette position forte de liberté et d’indépendance garantit la politique contractuelle et constitue un préalable pour tout recours à une négociation qui puisse réussir, même et surtout si au départ les intérêts sont divergents. Marc Blondel juge que les autres organisations syndicales, pour des raisons parfois différentes, ne se trouvent pas dans cette liberté de manœuvre totale.


A aucun moment Marc Blondel ne parle de crise du syndicalisme, tellement il est évident que le bilan historique est positif et qu’il ne peut que continuer à être positif. Les priorités peuvent se modifier : son entretien se termine par exemple en mentionnant les stages de formation des militants et militantes sur l’égalité professionnelle, le temps de travail, les législations française, européenne et internationale à propos des discriminations concernant les femmes victimes d’exactions.


Si le rappel de l’histoire occupe une place importante dans cet ouvrage, on ne peut aussi que remarquer l’inflexion des préoccupations internationales sur la vie de l’organisation syndicale. Un chapitre particulier et deux annexes y sont consacrées sans compter les multiples références dans le corps des autres textes. FO rappelle ainsi sa solidarité avec l’UGT espagnole poursuivie par Caudillo, son engagement aux côtés de Solidarnosc ou son soutien auprès des militants chinois. Dans cette approche internationale, FO a contribué et entend bien contribuer à l’histoire de la CISL, Confédération Internationale des Syndicats Libres et s’efforce de peser de tout son poids pour le « renforcement du rôle normatif de l’Organisation Internationale du Travail, afin de lutter contre la flexibilisation croissante des législations du travail ». Cette recherche d’une véritable réglementation internationale du travail, qui intervient comme régulateur de la mondialisation, rejoint les revendications de tous les jours : liberté syndicale, liberté de travail, égalité des chances et de traitement.


A l’heure où la concurrence de la CFDT et de la CGT s’exerce de façon plus pressante dans les instances syndicales internationales (CES notamment) et dans les institutions internationales (OIT notamment), cette insistance sur l’action internationale de Force Ouvrière n’est pas neutre. L’organisation de Marc Blondel n’entend pas que sa définition la ramène au seul rôle de « syndicat de la feuille de paye ».



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