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Photo du rédacteurBernard Vivier

Dialogue social : la réforme reste à faire

La « position commune » du 9 avril 2008 sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme marque un tournant dans les relations entre acteurs patronaux et syndicaux. Mais elle ne modifie pas en profondeur le système français de relations sociales.


La semaine qui vient de s’écouler aura été marquée par une actualité particulièrement riche :

  • assemblée générale xtraordinaire de l’UIMM le 17 avril pour adopter de nouveaux statuts, pour clarifier le fonctionnement interne et pour relancer l’organisation,

  • annonce par le MEDEF, le 14 avril, des candidats à la présidence de l’UNEDIC et de l’AGIRC,

  • annonce, le 14 avril, d’un rapprochement entre la CFE-CGC et l’UNSA : une première depuis 65 ans qu’une telle décision, alors que le syndicalisme français n’avait jusqu’alors connu que des divisions et des scissions,

  • approbation par la CGT le 16 avril et refus de signer par Force ouvrière (le 14), par la CFTC et la CGC (le 17) de la « position commune » sur la négociation collective et la représentativité syndicale.

Après l’accord du 11 janvier dernier sur la modernisation du marché du travail et dans l’attente d’autres réformes importantes (retraites, formation professionnelle, assurance-chômage, etc...), l’actualité sociale ne faiblit pas.

- Un profond besoin d’évolution -

L’attention se porte en ce moment sur la « position commune » du 9 avril sur la représentativité syndicale et le dialogue social. Indiscutablement, ce texte marque un tournant significatif dans les relations sociales en France.

Il révèle, dans le même temps, une difficulté des acteurs concernés à modifier en profondeur le système syndical traditionnel.

Le besoin d’évolution est ancien et profond. L’important débat qui s’est ouvert entre partenaires sociaux et les décisions qu’aura à prendre le gouvernement en matière de négociation collective et de représentativité se trouve au confluent de trois évolutions observées depuis maintenant de nombreuses années :

  • évolutions du paysage syndical. De façon globale, la représentativité syndicale a baissé. Le nombre d’adhérents tout comme la reconnaissance par les salariés ont chuté. Par ailleurs, une atomisation du paysage syndical a fait apparaître de nouvelles organisations syndicales qui aspirent à la représentativité. Une modernisation des critères de représentativité est à entreprendre, tandis qu’une exigence grandit, relative à une plus grande transparence des comptes,

  • évolutions du droit et des relations sociales. La négociation collective connaît, singulièrement depuis le début des années 1980, des inflexions qui nécessitent de repenser les conditions de validité des accords. La « position commune » du 16 juillet 2001 (signée par 7 des 8 négociateurs), la loi du 4 mai 2004 et la loi du 31 janvier 2007 ont posé les bases des adaptations du droit de la négociation collective, adaptations qu’ils convient aujourd’hui de fixer davantage,

  • évolutions du paysage politique et social. Les grandes organisations syndicales se sont structurées dans une démarche de regroupement inter-professionnel, dans une logique confédérale. Le développement d’organisations catégorielles et de représentation plus segmentée des aspirations sociales ne se traduit pas seulement par l’émergence, sur la scène syndicale, d’organisations catégorielles. Il s’exprime aussi sur la scène politique (nouvelles organisations politiques) et dans la vie associative. La montée en puissance des ONG procède, au niveau international, du même mouvement.

- Un texte novateur -

Invités à deux reprises le 18 juin puis le 26 décembre 2007 par le gouvernement à négocier entre eux les évolutions à opérer, les partenaires sociaux se sont attelés tardivement à la tâche, le 24 janvier, pour n’amorcer la négociation véritable d’un texte que le 28 février. Cinq séances plus tard, le 9 avril, le texte final était soumis à l’approbation des négociateurs.



Le contenu ne manque pas de nouveauté, dont on mentionnera ici quelques aspects :

  • la représentativité des syndicats se trouve désormais assise sur leur audience électorale, calculée à partir des élections d’entreprise,

  • la signature des accords collectifs s’oriente vers le principe de l’accord majoritaire,

  • la présomption irréfragable de représentativité va être supprimée,

  • la capacité à négocier des accords avec des élus du personnel (et non pas seulement avec des délégués syndicaux) est élargie,

  • l’articulation des niveaux d’élaboration de la norme sociale est repensée dans le sens d’une autonomie par rapport à la puissance publique,

  • l’affirmation d’une transparence des comptes des organisations syndicales est posée.

Lorsqu’on regarde les positions des négociateurs en ce mois d’avril 2008 pour les comparer à celles des mêmes acteurs un an plus tôt, il est frappant de noter que tous, signataires ou non-signataires de la position commune, ont évolué, que quelque chose s’est passé dans le jeu traditionnel des relations sociales et des alliances, que nous vivons aujourd’hui un tournant de notre système de relations sociales.



L’esprit d’une rupture s’installe, l’ouverture à de nouvelles façons d’organiser la vie sociale s’observe, le sentiment que la négociation a fait « bouger les lignes » et a provoqué un « besoin d’air » - pour reprendre deux expressions fétiches de Laurence Parisot, la présidente du MEDEF - est réel.

Le rapprochement CGC - UNSA et les coopérations intersyndicales qui ne vont pas manquer de s’établir sont à lire comme les conséquences de cette dynamique nouvelle.

Tout ceci a été observé par les commentaires de presse, tout comme par les autorités politiques (elles sont actives, tant à l’Elysée qu’à Matignon et au ministère du travail) qui ont désormais en charge de poursuivre le travail et de transformer en mesures législatives et réglementaires un texte contractuel en bien des endroits complexe voire par endroits inutilement chargé et compliqué.

- La main tendue à la CGT-

Pour autant, les conditions d’élaboration de cette position commune tout comme son contenu donnent le net sentiment que l’essentiel de la démarche a moins résidé dans les mesures à prendre pour rénover le système de relations sociales en France qu’à opérer un changement radical dans les alliances entre acteurs.


Autrement dit, le texte apparaît davantage forgé en fonction des acteurs appelés à la signature qu’en fonction des besoins d’évolution du système.


De fait, côté patronal, l’UPA n’a pas signé, furieux de n’avoir pas pu faire adopter son projet de financement des syndicats à partir d’une cotisation des entreprises. Côté syndical, Force ouvrière, la CFTC et la CFE-CGC ont refusé le texte, en soulignant le renversement d’alliances opéré par le MEDEF.

L’essentiel est bien là, dans la main tendue largement ouverte par Laurence Parisot à Bernard Thibault.

Cette main tendue n’est pas sans rappeler celle du CNPF en direction de la CFDT dans les années 1980 et 1990, pour faciliter son « recentrage ».


Aujourd’hui, il en va de même en direction de la CGT. En plaçant la CGT en capacité de choisir une attitude de négociation et non plus de refus systématique, le MEDEF espère faciliter les efforts d’évolution de Bernard Thibault. Le contrat plutôt que le combat : tel est l’espoir affiché.



Si la CGT apparaît donc, bien plus que la CFDT, la grande bénéficiaire de ce « nouveau deal » social, elle se trouve aussi au pied du mur. Saura t’elle évoluer à la vitesse et dans les proportions nécessaires pour ne pas créer de vide dans la fabrication des accords collectifs ? Saura t’elle éviter des départs de militants, déçus par cette orientation, vers SUD ou vers des replis catégoriels ? Saura t’elle muer suffisamment pour concevoir qu’une négociation n’est pas une étape du rapport de forces et qu’un accord n’en est pas la sanction provisoire ? Saura t’elle vivre les relations sociales comme la construction d’un compromis positif et non plus comme une lutte de classes et une prise de pouvoir ?

- Un devoir de prudence -

Les réponses à ces questions demandent aujourd’hui beaucoup de prudence. Et la puissance politique aurait tort de transformer au mot le mot en mesures législatives une position commune qui relève plus du pari que de la certitude. L’audace est une qualité politique, la prudence aussi. C’est ce qu’expriment, malgré leur conservatisme apparent, les refus de signer de Force ouvrière, de la CFTC et de la CFE-CGC.

L’essentiel de la réforme reste à conduire, qui doit moins s’intéresser aux mouvements actuellement observés entre acteurs, sur fond de « meurtres entre amis », qu’aux innovations à apporter au système lui-même. Sur ce terrain, deux réflexions restent inachevées.



La première porte sur la relation Etat-partenaires sociaux, qu’avait amorcé il y a deux ans le rapport Chertier. Comment libérer les relations du travail de l’emprise de la norme étatique ? Comment confier la régulation du marché du travail aux acteurs de ce marché sans pour autant réduire la légitimité du Parlement et du gouvernement à définir et à garantir les grands équilibres du pays ?


La seconde réflexion concerne la qualité du service rendu aux salariés par le système syndical. Comment éviter l’institutionnalisation des syndicats et leur éloignement des salariés ? Comment faire retrouver à ceux-ci le chemin de l’adhésion en établissant une contrepartie tangible à leur cotisation ? Comment assurer la relève des générations syndicales et faciliter l’entrée et la sortie des mandats ? Comment asseoir la représentativité des syndicats sur une capacité gestionnaire plutôt que sur une capacité oratoire et électorale ? Comment établir leur autonomie financière en même temps que la transparence de leurs comptes ?



La position commune du 9 avril n’ignore pas ces questions, même si son enjeu véritable est celui de la nouvelle alliance avec la CGT. La réforme reste à poursuivre.

Relégitimer l’action des syndicats vise à leur faire retrouver la confiance des salariés. Il est certes nécessaire de mieux mesurer l’audience et l’influence des syndicats. Il est surtout nécessaire de vérifier que l’essentiel de la légitimité syndicale repose sur l’adhésion libre et volontaire des salariés et sur les services rendus en échange. Faute d’adhésion, des élections plaquées que des déserts syndicaux ne seraient que des leurres.

Dialogue social, négociation collective, représentativité : quelques dates clé

16 juillet 2001Position commune MEDEF - CGPME - UPA - CFDT - FO - CFTC - CFECGC4 mai 2004Loi sur la négociation collective31 mars 2006Rapport Chertier sur la modernisation du dialogue social3 mai 2006Rapport Hadas-Lebel sur la représentativité et le financement des organisations professionnelles et syndicales29 novembre 2006Avis du CES sur le dialogue social31 janvier 2007Loi de modernisation du dialogue social18 juin 2007Lettre du gouvernement aux partenaires sociaux sur la démocratie sociale26 décembre 2007Lettre complémentaire du gouvernement24 janvier 2008Ouverture de la négociation entre partenaires sociaux9 avril 2008Position commune MEDEF-CGPME / CGT-CFDT


Retrouvez le texte complet de la position commune du 9 avril 2008 sur la représentativité, le développement du dialogue social et le financement du syndicalisme

Texte complet de la position commun

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