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Dossier retraites : consultation ou négociation entre gouvernement et syndicats ?

Avant de soumettre sa réforme des retraites au Parlement, le gouvernement a lancé une consultation des syndicats. Consultation ou négociation ? Les mots ne sont pas neutres.


Depuis que le gouvernement a pris sérieusement en main le problème des retraites, on entend répéter, du côté syndical, et c’est là une protestation, que le ministre du Travail a assurément consulté les organisations syndicales, mais qu’il n’a pas accepté de négocier avec elles. Il y a bien eu consultation, mais pas négociation.


Il vaut la peine ici, même si cela paraît un peu scolaire, de bien peser le sens de ces mots.


- Consulter, c’est demander conseil -


Qu’est-ce qu’une consultation ?


Il fut un temps, où l’on désignait de ce nom l’appel que faisait un médecin à quelques uns de ses confrères pour qu’ensemble ils confrontent leurs diagnostics au chevet d’un malade à la maladie indéchiffrable et quelque esprit de malice nous inciterait à nous demander s’il ne s’agit pas dans le cas présent de quelque chose de ce genre.


En français moderne, consulter quelqu’un, c’est lui demander un conseil, un avis, le lui demander soit parce qu’à un titre quelconque, vous le jugez capable d’apporter sur un sujet qui vous préoccupe, un éclairage, une information, un jugement, une suggestion qui pourraient vous être utiles pour prendre votre décision, soit parce que la loi vous oblige à recueillir son opinion.


Mais qu’elle soit spontanée, volontaire ou qu’elle résulte d’une obligation légale, la consultation demeure une demande d’avis, sans que pourtant celui qui a procédé à la consultation soit tenu de suivre les avis, les conseils qu’on lui a donnés. Il reste maître de sa décision.


D’ailleurs, s’il ne les suit pas, s’il fait autre chose que celui conseillé par tel ou tel de ceux qu’il avait consultés, cela ne veut pas dire qu’il a dédaigné son interlocuteur, qu’il n’a tenu aucun compte de ce qu’il lui a dit : l’avis, le conseil apparemment écartés n’en auront pas moins compté parmi les éléments qui lui auront servi à prendre sa décision et ils se retrouvent toujours peu ou prou dans la décision finalement prise, même si ce n’est que sous la forme d’un renforcement des dispositions prises contre les dérives auxquelles tel conseil aurait pu conduire et qu’on aurait pas prévues si cet avis n’avait pas été formulé.


- Négocier, c’est construire un accord -


Négocier, c’est tout autre chose, et c’est tout autre chose parce qu’il y a deux ou plusieurs décideurs.


Il ne s’agit plus de recueillir des avis, de solliciter des conseils avant de prendre une décision et afin de la prendre en toute connaissance de cause. Il s’agit de se mettre d’accord entre personnes concernées par une difficulté, un problème afin de prendre en commun une décision qui conviendra plus ou moins à toutes les parties, qui sera parfois une synthèse harmonieuse, plus souvent un compromis, mais que tous les signataires devront respecter.


Quand une fédération professionnelle patronale et une ou plusieurs fédérations de syndicats de salariés de la même branche négocient, chacune s’engage à respecter et à faire respecter par ses adhérents l’accord ou la convention qui seront finalement conclus, même si cet accord ou cette convention ne satisfont qu’en partie chacune d’elles.


Peut-il en aller de même, dans le cas présent, quand l’un des interlocuteurs est le gouvernement ?


Si le gouvernement intervenait en tant que patron, en tant qu’employeur, la réponse aujourd’hui serait positive, car on finit par admettre que le gouvernement, au lieu de prendre (en fait de salaires par exemple) des décisions unilatérales, puisse négocier et conclure des conventions avec les représentants syndicaux de ses salariés, même si le budget voté par le Parlement, dont c’est une des plus précieuses prérogatives, n’a pas prévu le surcroît de dépense qu’entraînera la conclusion d’un accord salarial.


Dans le cas présent, ce n’est pas en tant que patron que le gouvernement intervient, mais en tant que responsable de l’intérêt général du pays. Il ne s’agit pas pour lui de modifier, par un accord bilatéral un accord, une convention que ses prédécesseurs ou lui-même auraient passé, jadis ou naguère, avec les représentants syndicaux de ses salariés.


Il s’agit d’obtenir du Parlement le vote d’une loi qui modifie la législation existante, car seule une loi peut modifier ou abolir ce qu’une loi antérieure a établi. Si l’on peut dire, c’est avec le Parlement, avec l’Assemblée Nationale et le Sénat que le gouvernement doit « négocier » et c’est ce qu’il s’apprête à faire si dans l’occurrence il est permis de parler de négociation, car, en définitive, c’est le Parlement qui décidera.


Tout ce à quoi le gouvernement pourrait s’engager à l’égard des organisations syndicales, c’est de défendre leur point de vue devant le Parlement et jusqu’à engager son existence ministérielle.


Ce serait en définitive une victoire de l’adocratie sur la démocratie, en grec démos signifiant peuple et ados signifiant rue, même si le cadre juridique de la démocratie parlementaire aurait été apparemment respecté.


- L’assurance-chômage résulte d’un accord -


La situation serait tout autre si, au lieu d’être fondée sur une loi (ou plusieurs), l’assurance vieillesse (pour ne parler que d’elle) avait été conçue, réalisée par une convention gérée paritairement par les représentants des organisations signataires de la convention.


C’est le cas de ce qu’on appelle l’assurance chômage. Ce n’est pas une loi qui l’a créée. Les partenaires sociaux d’alors ’ CGT mise à part qui d’ailleurs fut écartée des négociations qu’elle aurait sabotée comme c’était alors sa « ligne » - étaient convaincus par l’expérience de la Sécurité sociale qu’une convention aurait plus de souplesse et leur laisserait plus de pouvoir qu’une loi. Et c’est une convention qu’ils signèrent le 31 décembre 1958 pour fonder les Associations pour la Sécurité de l’Emploi dans l’industrie et le commerce, les Assedic.


Vertu de la politique contractuelle et de la gestion paritaire. Tout n’est sans doute pas parfait dans la gestion de l’assurance sociale. Mais songez qu’elle avait été conçue avec l’hypothèse de 500.000 chômeurs une hypothèse qui paraissait à beaucoup irréaliste, invraisemblable, mais on prenait ses précautions, on prévoyait le pire. Et le pire a été atteint et dépassé, largement dépassé, de cinq ou six fois le nombre primitivement supposé.


Pourtant, les Assedic, l’Unedic qui les coiffe sont toujours là. Elles ont sans cesse été remises à jour dans la mesure où la situation l’exigeait, et cela s’est fait sans trop de heurts, et somme toute assez facilement, bien que la plupart des aménagements apportés aux dispositions primitives ait la plupart du temps consisté en augmentations de cotisation, donc à des sacrifices financiers supplémentaires.


On peut penser qu’il en serait de même pour l’assurance vieillesse (et les assurances des autres « risques ») si elles avaient été fondées par convention entre les parties intéressées et gérées paritairement par les représentants des assurés. La loi du 5 avril 1928, créant entre autres choses une assurance vieillesse par capitalisation dont les caisses étaient gérées sous des formes diverses par les intéressés eux-mêmes.


- Les retraites ne relèvent pas d’une convention -


Hélas ! Quand s’entama la métamorphose des assurances sociales en Sécurité sociale, sous Vichy d’abord, puis à la Libération, la pensée libérale était au plus bas. On croyait toujours qu’il fallait administrer toujours plus l’économie et que l’Etat devait prendre en charge aussi largement que possible les besoins des individus.


Il y eut bien quelque résistance à l’étatisation du système. Du côté syndical, les syndicats chrétiens menèrent une assez vigoureuse bataille pour conserver la gestion des caisses de capitalisation comme de répartition, par les assurés eux-mêmes. Mais les réformistes, d’ailleurs devenus minoritaires dans la CGT, déçus par l’expérience de leur caisse de Travail pour laquelle ils avaient trop de mal à recruter des administrateurs convenables. Ils laissèrent faire ou même poussèrent à ce qui fut, quoi qu’on en ait prétendu, une forme d’étatisation des assurances sociales.


La vérité force à dire qu’au départ, les différents partenaires sociaux, et tout particulièrement les syndicats de salariés, disposaient de plus de pouvoir qu’aujourd’hui dans le fonctionnement de la Sécurité sociale. Le mauvais usage qu’ils en firent amena le gouvernement à leur en retirer la majeure partie.


En 1967, Pompidou, alors premier ministre envisagea de faire évoluer le fonctionnement de la Sécurité vers quelque chose d’analogue à la gestion paritaire de l’assurance chômage, mais il ne peut aller jusqu’au bout de son projet, le sage Bergeron lui-même refusant de le suivre jusqu’au bout parce qu’il ne pensait pas que les organisations syndicales eussent assez d’autorité morale pour faire accepter des baisses de prestations et des hausses de cotisations.


Pareille tentative d’évolution vers le paritarisme aurait-elle plus de chance aujourd’hui ? On peut répondre par la négative quand on voit les confédérations rester dans le vague quand il s’agit de préciser comment on pourrait « dégager les ressources financières » nécessaires au financement du surcroît de dépenses qu’elles proposent.

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