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Photo du rédacteurBernard Vivier

Elections européennes : les risques du repli social

En France, le climat social semble se détendre quelque peu. Mais le feu couve toujours sous la cendre. En fait, notre pays a moins à redouter les explosions que le repli social. A quelques jours des élections européennes du 7 juin, ces risques de repli touchent tous les pays de l'Union Européenne.


L’hiver et le début du printemps 2009 auront été marqués, en France, par une série de réactions violentes contre une crise venue d’ailleurs et dont nos concitoyens ont commencé alors à mesurer la gravité.


Occupations d’usines, séquestrations de cadres dirigeants, saccages de bâtiments publics ont exprimé les sentiments de colère et d’impuissance de travailleurs confrontés aux restructurations et aux licenciements plus encore qu’ils n’ont servi à obtenir des compensations financières avantageuses aux licenciements. Les récupérations politiques de ces conflits par une extrême gauche en embuscade n’expliquent pas, à elles seules, les flambées de violence.

- L’inquiétude grandit -

A quelques jours du scrutin européen du 7 juin, l’inquiétude grandit. Face à une crise dont on connaît la dimension mondiale, nos concitoyens savent les limites d’une réponse organisée au niveau de chaque État ; ils perçoivent aussi combien la réponse communautaire demeure faible et insuffisante.


Les marchés sont devenus mondiaux, les réglementations sont restées nationales et l’attente sur la capacité de l’Union Européenne à agir dans le domaine social apparaît trop forte par rapport à ses moyens réels. Dans un ouvrage publié par la Documentation française et intitulé « Le Parlement européen » (par Olivier Costa et Florent Saint Martin, collection Réflexe Europe, 160 pages, 12,-€), on apprend ainsi que la commission du Parlement européen en charge de l’emploi et des affaires sociales n’a représenté, en part du travail des dossiers traités au Parlement européen, que 3,30 % entre septembre 2004 et fin 2007.



Tout récemment, fin avril 2009, après cinq ans de négociations, une directive fixant à 48 heures maximum la durée de travail hebdomadaire dans l’Union n’a pas pu être adoptée. Tandis que l’absence d’un grand sommet européen sur l’emploi en réponse à la crise, a souligné l’absence de convergences entre les 27 pays pour une concertation sociale d’ensemble.


Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne s’inquiète d’une Europe sociale « aux abonnés absents » et lance (Le Figaro, 05 mai 2009) : « Face à la crise financière, l’Europe a su provoquer un électrochoc salutaire et entraîner le monde autour de la table du G20. Face à l’impact social de la crise économique, elle doit également être capable de provoquer un choc de confiance ».



A l’évidence, ce choc de confiance ne sortira pas des urnes le 7 juin. Dans notre pays, les choix électoraux s’établiront plus en fonction de considérations de politique intérieure qu’en fonction des orientations européennes des partis. Ceux-ci ont, il faut le dire, copieusement abîmé la dynamique européenne du scrutin lors de la composition des listes. A droite comme à gauche, les querelles de courants et de chapelles ont présidé au choix des candidats, bien plus que le profil de ces derniers et leur capacité à devenir de solides « ouvriers » de la construction européenne. C’est à peine si la figure de Daniel Cohn-Bendit arrive à se distinguer du lot, comme celle d’un militant sincère de l’Europe (le propos vise ici le personnage et non pas le contenu de son programme).


Évolution du taux de participation aux élections européennes (en %)



(1) Pays où le vote est obligatoire.

Faiblesse de la concertation entre Etats pour parler des questions sociales, faiblesse des candidats à incarner une compétence et une volonté sociale européenne : les ingrédients sont là pour provoquer tout à la fois une nouvelle baisse de la participation au scrutin du 7 juin et un regain de réflexes protectionnistes chez les travailleurs.

- Réflexes protectionnistes -

Les manifestations organisées par la Confédération européenne des syndicats le 14 mai à Madrid, le 15 à Bruxelles, le 16 à Prague et à Berlin ont réuni au total, selon les sources syndicales, près de 350 000 personnes. C’est finalement bien peu, au regard des enjeux.


Alors que l’on estime que plus de 3 millions d’emplois vont disparaître en Europe en 2009, le monde syndical se trouve confronté aux réflexes du repli qu’expriment, chacun dans leur pays, les travailleurs européens.


Dans Enjeux - Les Echos de mai 2009, Lionel Steinmann pointe justement : « La remontée en flèche du chômage a redonné aux immigrés un rôle qu’ils ont maintes fois tenu par le passé, celui de bouc émissaire ».


Du syndrome du « plombier polonais » qui a marqué la France en 2005 jusqu’aux exigences des salariés britanniques en février 2009 pour obtenir la préférence nationale en matière d’emplois (« British jobs for British workers »), en passant par les manifestations des ouvriers suédois du bâtiment bloquant en 2004 un chantier d’école conduit par une entreprise lettone, les exemples abondent de la montée du nationalisme ouvrier.



Selon un sondage publié en mars dernier par le Financial Times, une proportion importante de citoyens européens déclare qu’elle approuverait des mesures demandant aux immigrés au chômage de quitter le pays : 51 % en France, 67 % en Allemagne, 71 % en Espagne, 78 % en Grande Bretagne et 79 % en Italie.


Le phénomène est connu des historiens sociaux. En période de crise, ce n’est pas la revendication, la mobilisation et la solidarité qui traversent les rangs des travailleurs mais, tout au contraire, l’inquiétude, le repli sur soi et le rejet de l’étranger.


Sans parler de l’Europe des années 1930, de funeste mémoire, on peut évoquer la période des années 1880, où notre pays était centré, depuis le milieu des années 1870, dans une grande dépression économique.


Des manifestations se développèrent alors à l’encontre des ouvriers étrangers : bagarres sur les chantiers, grèves pour le renvoi des travailleurs étrangers, chasse aux Italiens, etc.


Dans Le Socialiste de Jules Guesde et Paul Lafargue du 13 février 1886, on lit l’importance de « la fixation internationale de la journée de travail à huit heures, de la fixation d’un minimum de salaire et de la défense aux patrons d’employer des ouvriers étrangers à prix inférieur à celui des ouvriers français. »

Mais on lit aussi dans un article intitulé « Meurent les ouvriers français ! » et sous la plume de Jules Guesde lui-même (Le cri du Peuple, 10 février 1886) : « Ils sont 80 000 ouvriers étrangers qui, travaillant à tout prix, font outrageusement baisser les salaires, quand ils ne les suppriment pas complètement pour nos ouvriers expulsés des usines. »


Les élus socialistes et républicains soutiennent alors des mesures de contrôle des étrangers et de limitation de la proportion des étrangers dans les travaux de l’Etat, des villes ou des secteurs concédés. En 2009 comme en 1887, nous sommes toujours loin d’une Internationale de travailleurs solidaires entre eux.

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