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Photo du rédacteurDominique Andolfatto

Elections prud'homales : le grand test syndical

Le 3 décembre prochain, 18,6 millions de salariés du secteur privé et 518 000 employeurs sont appelés à voter aux élections prud'homales. Six ans après le scrutin de 2002, comment va évoluer la participation électorale ? Comment vont se répartir les votes entre étiquettes syndicales ? Pour le syndicalisme français dans son ensemble comme pour chacune de ses composantes, l'enjeu est de taille.


Si ces élections n’ont pas été retenues pour déterminer la représentativité des organisations syndicales, il y a fort à parier que leurs résultats seront largement commentés pour apprécier, si ce n’est donc la représentativité au sens légal du terme, du moins l’audience et la popularité des syndicats. Il faut rappeler que ces élections demeurent la plus grande consultation sociale du pays. Elles concernent tous les salariés et leurs employeurs, hors fonctionnaires. Lors de leur modernisation et généralisation en 1979, il s’agissait d’assurer une expression en quelque sorte en grandeur nature du monde du travail.

- Quelle participation au scrutin ? -

C’est d’abord l’audience globale du syndicalisme - et à travers elle son image - qui sera appréciée, par le biais du niveau de la participation électorale. Les dernières enquêtes (par sondage) sur l’image et la popularité du syndicalisme indiquent que celles-ci seraient désormais largement positives et n’auraient pas atteint un tel zénith depuis longtemps. Qu’en est-il exactement ? Il apparaît que les résultats de ces enquêtes quantitatives dépendent souvent des questions qui sont posées et des échantillons. Certaines enquêtes qualitatives (c’est-à-dire réalisées auprès de petits échantillons interrogés de façon plus approfondie) indiquent plutôt que l’image du syndicalisme demeurerait négative, à tout le moins contestée. De ce point de vue, le niveau d’abstention aux élections prud’homales - dont les candidatures sont très majoritairement d’origine syndicale - sera éclairant et, en la matière, comme un « juge de paix ». Si ce niveau d’abstention, qui a fortement progressé depuis vingt ans, recule, les électeurs auront confirmé les résultats des enquêtes quantitatives sur l’image du syndicalisme. On pourra donc affirmer que celle-ci s’est bien redressée. Si tel n’est pas le cas, cela signifiera que la rencontre des salariés et des syndicats demeure problématique. On peut craindre, au passage, que la suppression d’une soixantaine de conseils de prud’hommes pèse sur le niveau de participation électorale.


Les enquêtes sur l’image du syndicalisme Méthodologies, échantillons, questions conditionnent les résultats54 à 62 % des salariés font confiance dans les syndicats pour défendre les intérêts des salariés (CSA, 2007 et 2008) 49 % des salariés estiment que les OS nationales représentent mal les salariés (CSA - Institut supérieur du travail, janvier 2008) Lire l’enquête 34 % des salariés estiment que les syndicats présents dans leur entreprise les représentent bien (même source) 26 % des internautes ont confiance dans les syndicats pour défendre leurs intérêts sur le lieu du travail (Expression.com, 2005) Les salariés ont une « mauvaise image » des syndicats (enquête qualitative CSA-CGT, 2008)
L’abstention aux élections prud’homales depuis 1979 (en % des inscrits)


Les résultats des principales organisations syndicales seront l’occasion d’apprécier les évolutions stratégiques respectives et les éventuelles recompositions du paysage syndical français, attendues ou prophétisées - par beaucoup - depuis longtemps.


Ce paysage va-t-il se restructurer autour des deux principales organisations - la CGT et la CFDT - signataires, avec le MEDEF, de la « position commune » sur les nouvelles règles de représentativité syndicale, transcrite dans la loi du 20 août 2008 « portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail » ? Ou, à l’inverse, ces élections seront-elles l’occasion d’une revanche des « battus » de cette « position commune » (FO, CFTC et, partiellement, CFE-CGC), même si cette revanche - si elle intervient - ne sera finalement que symbolique puisque la « représentativité » (légale) des organisations syndicales, telle qu’elle a été redéfinie dans cette loi, ne prendra pas appui sur les résultats des élections prud’homales mais des résultats des élections professionnelles, organisées dans les entreprises (élections des comités d’entreprises, voire des délégués du personnel) ?

- Compétition entre syndicats -

La mise en perspective des résultats des élections professionnelles depuis une quinzaine d’années (étude d’Olivier Jacod, du ministère du Travail, diffusée en avril 2008, voir le tableau ci-dessous) a montré que les deux principales organisations syndicales refluaient lentement aux élections des CE, surtout la CFDT (depuis 2000-2001), laquelle a perdu près de 4 points d’audience. Ce reflux est donc antérieur aux événements sociaux de 2003 qui ont particulièrement perturbé cette confédération (réforme des retraites des fonctionnaires, assurance chômage des intermittents du spectacle, affaire des recalculés de l’UNEDIC). L’enjeu des prud’homales paraît donc d’abord important pour la CFDT : ce scrutin confirmera-t-il ce reflux électoral (la CFDT a perdu au moins 10% de son audience en quelques années tant dans le secteur privé que, plus encore, dans la fonction publique) ou traduira-t-il une remontée ? A travers un discours plus offensif, mais aussi une critique ciblée du président de la République et, secondairement, de l’action gouvernementale - critique qui s’est déployée notamment lors de la publication du livre Si on me cherche, lors de la rentrée 2008 - la CFDT espère évidemment inverser cette tendance.

Audience effective des organisations syndicales lors des élections aux CE (agrégation des résultats de tel syndicat lorsque ce syndicat a présenté effectivement une liste aux élections dans l’entreprise dont les résultats sont agrégés) 1991-92 2003-04 évolutionCGT 41,1 39,5 - 1,6CFDT 39,0 35,1 - 3,9FO 27,6 25,9 - 1,7CFTC 17,0 18,5 + 1,5CGC 15,3 15,4 + 0,1Autres (dont SUD et UNSA 31,5 32,1 + 0,6

Pour la CGT, les résultats des élections prud’homales de 2008 seront un élément important pour apprécier l’impact - réel dans le salariat - de son grand virage stratégique mis en œuvre depuis la fin des années 1990. On sait que l’organisation connaît des divisions internes... même si le poids de ses « enclumes », attachés aux luttes et aux affrontements idéologiques, tend à se réduire pour des raisons générationnelles. On sait que les différents niveaux de l’organisation sont animés parfois de logiques contradictoires (comme lors du mouvement social provoqué par la réforme des régimes spéciaux de retraite, à l’automne 2007). Enfin, la confédération peine à enrayer l’érosion de ses effectifs. Les élections prud’homales permettront de mesurer l’impact de ces divisions et vicissitudes dans le salariat, notamment celui des plus petites entreprises, qui sont hors champ des élections au CE mais où, habituellement, la CGT bénéficie de solides soutiens, en raison de sa notoriété. C’est aussi son leadership par rapport à la CFDT qui sera apprécié. La CGT creuse-t-elle l’écart... alors même que la CFDT prétend compter plus d’adhérents qu’elle ? Ou cet écart se réduirait-il, ce que ne semble pas montrer les résultats des dernières élections professionnelles ?

- Quelle place pour les opposants à la « position commune » ? -

Concernant FO, c’est le bien-fondé de la stratégie plus centriste ou consensuelle de son secrétaire général, qui affronte en tant que tel ses premières élections prud’homales, qui se trouve en jeu. Pour son prédécesseur, les élections prud’homales de 2002 n’avaient pas constitué un bon millésime, au contraire des résultats obtenus lors des grandes consultations sociales des années 1970 et 1980 qui avaient permis à la CGT-FO de consolider son audience. Après l’échec relatif de sa radicalisation, FO renoue-t-elle avec un certain succès ?


Pour la CFTC, après le congrès de la division qui vient de se tenir à Strasbourg, alors même que la confédération avait besoin de fédérer toutes ses forces, mais aussi d’afficher plus de mordant, compte tenu des nouvelles règles de représentativité syndicale qui lui sont plutôt défavorables, faut-il aller jusqu’à prédire une échéance vitale ? En fait, les résultats des grandes consultations sociales ont plutôt habitué à des évolutions lentes des audiences syndicales. Mais on pourrait fort bien imaginer qu’intervienne un réalignement électoral plus brutal, comme on en voit parfois aux élections politiques, soit un affaissement brutal d’une organisation, qui serait à contre-courant des évolutions plus globales. La CFTC n’est toutefois pas dépourvue des réseaux de soutiens ni d’implantations dans les entreprises. L’étude d’Olivier Jacod, citée plus haut, montre qu’au contraire des autres confédérations, la CFTC a plutôt amélioré ses résultats dans les établissements où elle est présente. Mais cette situation a-t-elle perduré jusqu’en 2008 ? Et les déchirements qui viennent de marquer la confédération n’auront-ils pas des conséquences négatives lorsqu’il s’agira de se mobiliser pour les prud’hommes ? L’enjeu est donc de taille pour la CFTC, d’autant plus que la centrale chrétienne a placé la barre haut, se fixant 15% des suffrages exprimés (alors qu’elle n’avait pas atteint les 10% en 2002).



Pour la CFE-CGC, c’est la spécificité du syndicalisme cadre qui est en jeu. L’organisation s’interroge régulièrement sur son identité. Elle a connu aussi une guerre des chefs. Elle a vu enfin une partie de son audience ravie par la CFDT (dans la section de l’encadrement des prud’hommes). Le rendez-vous prud’homal est donc important pour faire un état des lieux précis du syndicalisme dans l’encadrement. Celui-ci y serait en progression d’après les enquêtes officielles. Les élections prud’homales permettront - ou non - de la vérifier et de préciser quelle organisation bénéficie le plus de cette - éventuelle - progression.


Pour les autres organisations, les syndicats SUD et l’UNSA en particulier, les élections prud’homales demeurent enfin un indicateur incontournable pour mesurer leur audience puisque les résultats des élections professionnelles dans le secteur privé publiés par le ministère du Travail ignorent ces organisations et noient leur audience respective dans la catégorie hétéroclite des « autres syndicats ». L’UNSA, en particulier, a fait de ces élections un levier de sa stratégie d’implantation dans le secteur privé. Cela lui avait partiellement réussi en 2002 et lui avait permis d’avoisiner les 5% d’audience. Confirmera-t-elle, voire améliorera-t-elle ce résultat en 2008 ? Le défi est de taille car la notoriété de l’organisation demeure faible, hors certains secteurs de la fonction publique et quelques entreprises publiques. D’ailleurs, à terme, elle parie plutôt sur un rapprochement - voire une fusion - avec la CFE-CGC pour pérenniser et dynamiser ses implantations.


Le défi est tout autant important pour les syndicats SUD, également peu présents dans le « privé » mais qui, en la circonstance, pourraient capter la voix de salariés déçus des évolutions de la CGT et de la CFDT. Mais, jusqu’à présent, ce type de transferts a toujours été faible.


Les enjeux seront également importants pour les organisations d’employeurs. Le niveau de participation des employeurs est également très faible à cette consultation (environ 25%) et beaucoup d’entre eux semblent, de surcroît, décidés à boycotter un scrutin qui désigne les magistrats d’une justice du travail dans laquelle ils se reconnaissent de moins en moins, au contraire d’une idéologie initiale de réconciliation sociale. Ils déplorent en effet les évolutions de la jurisprudence du travail et une juridiciarisation des relations du travail qui paraît s’accélérer... Le scrutin sera aussi l’occasion de mesurer plus précisément le soutien des employeurs aux organisations censées portés leurs intérêts, notamment le MEDEF qui connaît une certaine mutation depuis la désignation à cette tête d’une présidente en 2005, sans parler - là aussi - de déchirements internes, en lien avec l’affaire de l’UIMM.



Audience réelle des organisations syndicales aux élections prud’homales (en % des inscrits, ce qui permet de tenir compte de l’abstention)

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