{{Blocages de la production, occupation des locaux, destruction de matériel, séquestration de dirigeants d'entreprise : la violence sociale se développe ces dernières semaines, sur fond de crise économique et d'inquiétude sociale. Quelle est la logique des différents acteurs concernés ?}}
Inquiétude et impuissance face à une crise économique que l’on sait mondiale, refus qu’une logique financière vienne prendre le pas sur la logique industrielle dans le gouvernement des entreprises, indignation à l’annonce de parachutes dorés de certains dirigeants, manque de règles nouvelles sur la répartition de la richesse créée, activisme révolutionnaire de militants syndicaux et politiques décidés à en découdre avec l’économie libérale et à récupérer les mécontentements : les raisons d’une radicalisation des tensions sociales sont nombreuses et diverses.
- Des flambées de colère -
Depuis plusieurs semaines, les expressions de cette radicalisation sont mises sous le projecteur - et, de ce fait, valorisées aux yeux d’autres salariés - par une presse d’information sociale qui n’avait pas relaté de tels événements depuis longtemps.
Le 29 janvier, des ouvriers de l’usine Fulmen à Auxerre, forçaient leur directeur à participer à la manifestation nationale intersyndicale. En mars et début avril, des violences et des séquestrations de cadres et dirigeants d’entreprise ont été relatées : chez Caterpillar à Grenoble (4 cadres séquestrés), chez Sony (PDG séquestré), chez Continental dans l’Oise (directeur accueilli à coup de jets d’œufs), chez 3M à Pithiviers (Directeur séquestré), chez Heuliez, chez PPR où, le 31 mars, une cinquantaine de manifestants ont bloqué pendant une heure le président du groupe, dans un taxi parisien, avant d’être dispersé par la police.

Le Directeur de Caterpillar, séquestré pendant 24 heures sur le site de Grenoble le 30 mars 2009
Dans d’autres entreprises, comme chez Numericable, des collectifs militants coordonnent occupation des lieux et relais médiatique de leurs messages. Les techniques de déstabilisations mêlent provocations, opérations coups de poing, humour aussi, à l’école du mouvement Les désobéissants. Directions d’entreprise mais aussi syndicats traditionnels se trouvent souvent pris au dépourvu devant ces actions collectives d’un nouveau genre.
Dans la tourmente des plans sociaux qui, aujourd’hui, abîment notre appareil de production, ces actions s’expliquent aisément par le refus de décisions brutales qui, par delà les menaces sur l’emploi, viennent priver les salariés de leur fierté de travailler sur un site industriel établi et reconnu dans un territoire donné.
Les directions d’entreprise, soumises à la pression de la crise économique (dans certains secteurs industriels, c’est d’un véritable effondrement de la demande et donc de la production dont il faut parler), n’ont pas le choix : réduire les effectifs pour survivre. La préparation des suppressions d’emploi est bien souvent précipitée et la prise en compte des inquiétudes collectives négligée.
- Pas d’appel au « grand soir » -
De l’explication des actions à la compréhension et à l’approbation, la distance est grande, que ne franchissent pas les salariés. Ceux-ci savent bien l’importance de préserver et de développer l’outil de production, dans une économie de marché mondialisée qu’il importe d’organiser et de réguler et non pas de combattre.
Ainsi, à la différence des années 1970, où des violences nombreuses avaient meurtri les entreprises, partout en Europe (l’Italie, l’Allemagne, la France avaient tout particulièrement été touchés), les violences actuelles ne sont pas, pour l’heure et pour l’essentiel, des violences inspirées par des idéologies de rupture révolutionnaire.

Certes, certaines de ces actions sont conduites par des organisations syndicales désireuses de faire « monter la pression » pour obtenir des contreparties. Certes encore, certaines de ces actions ressemblent plus à des traquenards syndicaux bien préparés qu’à des révoltes spontanées (on pense notamment au blocage de François Pinault, le dirigeant de PPR).
Mais les grandes confédérations syndicales n’expriment plus guère leur envie d’en découdre avec le « système capitaliste » et d’accélérer l’avènement du « grand soir ». Les équipes militantes font surtout preuve de réalisme et s’efforcent de « coiffer les mouvements » pour éviter les drames incontrôlés.
- Des syndicalistes prudents -
Le temps est loin où la CFDT, dans les années 1970, justifiait et encourageait les actions de séquestration de dirigeants, d’occupation de locaux et de production autogérée.
Le temps aussi s’est éloigné où la CGT, contrôlée par le Parti communiste, servait d’auxiliaire précieux à la révolution inspirée par le « grand frère » soviétique.
Le syndicalisme français a mûri. Des trois grandes conceptions de l’action syndicale de la fin du XIXème siècle (conception socialiste, conception anarcho-syndicaliste, conception réformiste), seule la conception réformiste se présente comme un avenir possible pour l’essentiel des dirigeants syndicaux français de 2009. Le réformiste Auguste Keufer l’emporterait aujourd’hui sur les révolutionnaires Yvetot, Pouget ou Griffuelhes.
Bernard Thibault, Jean-Claude Mailly, François Chérèque, Jacques Voisin ou Bernard Van Craeynest savent qu’ils gagnent plus à négocier avec le gouvernement qu’à s’opposer à lui. Dans les entreprises, leurs militants savent que les appels à la révolte nourriraient plus les rangs de SUD et du Nouveau Parti Anticapitaliste que leurs propres équipes.
- Les extrémistes en embuscade -
Le risque de radicalisation n’a pas disparu pour autant. Même s’ils font l’objet d’une sur-médiatisation, les militants extrémistes sont toujours présents et actifs, autour des pôles anarchisants (syndicats CNT) et trotskystes (NPA, Lutte ouvrière, et, en milieu syndical, SUD). Nathalie Artaud et Olivier Besancenot sont toujours fidèles au poste, en embuscade.
Chez les chômeurs notamment, l’audience de l’extrême gauche grandit, alors que celle de l’extrême droite faiblit.
Les diatribes anti - stock-options d’Olivier Besancenot apparaissent plus crédibles que la rhétorique anti-immigration de Jean-Marie Le Pen.

Le Directeur de l’usine Fulmen d’Auxerre, contraint à manifester dans un défilé syndical le 29 janvier 2009
Selon un sondage IFOP (La Croix, 2 avril 2009), 13,6 % des chômeurs se sentent proches de l’extrême gauche aujourd’hui, contre 7,3 % il y a un an, alors que le Front national attire 5,7 % de sympathie chez les chômeurs contre 10 % il y a un an.
Cette montée de l’extrême gauche et cette audience cumulée des deux extrêmes (plus de 19 % au total) est à surveiller de près. Face à un gouvernement qui, pour l’heure, se maintient dans des incantations (« on ne vous laissera pas tomber ») qui ne persuadent guère, face à une gauche social-démocrate privée de leader, ces extrêmes conjugués pourraient trouver dans les élections européennes prochaines, l’occasion de faire résonner les discours anti-libéraux et étroitement protectionnistes.
Enfin, il n’est pas douteux qu’un effet « d’emballement médiatique » selon l’expression de Daniel Schneidermann, accentue la tendance actuelle à la radicalité. La carte de France des plans sociaux fait la une des quotidiens. Un PSE de 30 personnes en province se trouve ainsi en concurrence avec la restructuration d’un grand groupe portant sur plusieurs sites. Dès lors, pour exister médiatiquement, la surenchère radicale apparaît comme une solution, d’autant que les salariés comparent également les montants des indemnités compensatoires obtenues dans une entreprise voisine. Alors, on fait « comme à Pithiviers » ou « comme à Grenoble » pour se faire entendre. La France a déjà connu un tel phénomène lors des émeutes des banlieues de novembre 2004. Parmi bien d’autres causes, les incendies ont cessé quand les médias ont détourné les yeux...
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