Le 22ème congrès confédéral de la CGT - Force ouvrière vient de se tenir à Montpellier du 14 au 18 février. Un congrès qui, sans enjeu interne majeur, a renouvelé l'équipe dirigeante de la confédération. Au sortir de l'année 2010, marquée par la réforme des retraites et à l'approche de l'année 2013 qui verra se modifier le paysage syndical représentatif, Force ouvrière a besoin d'affirmer son positionnement sur l'échiquier syndical français.
Les congrès de Force ouvrière redeviennent ce qu’ils étaient jadis, jusqu’à la fin des années 1980 : des congrès chaleureux, amicaux, bruyants aussi. On ne rassemble pas 2 700 délégués pendant une semaine complète dans la même salle comme on réunirait un public de mélomanes pour écouter dans le recueillement un concert de musique classique.
Des congrès animés donc, mais fraternels. Pendant près de vingt ans, il n’en a pas toujours été de même. A l’approche de la succession d’André Bergeron au poste de secrétaire général en 1989 et pendant les quinze années de secrétariat général de Marc Blondel, les congrès de Force ouvrière ont été le théâtre d’échanges vifs et même houleux entre tenants de la ligne réformiste et partisans d’un syndicalisme de contestation, au sein desquels les militants trotskystes du Parti des travailleurs (les « Lambertistes ») tenaient une place essentielle.
En 2004, l’arrivée au secrétariat général de Jean-Claude Mailly a correspondu à un début d’apaisement. Trois ans plus tard, au congrès de juin 2007, le travail de cicatrisation était déjà presque fait (cf Les Etudes sociales et syndicales du 04 juillet 2007 : « Force ouvrière : un congrès tranquille »). Le départ vers l’UNSA, avant 2004, de certains opposants à Marc Blondel ainsi que la personnalité plus consensuelle de Jean-Claude Mailly expliquent en grande partie cet apaisement interne.
Depuis 2007, Force ouvrière a poursuivi ce travail. Le congrès qui vient de se dérouler à Montpellier n’était, sur ce point, en rien comparable au congrès de la CGT en décembre 2009, où Bernard Thibault avait été vivement critiqué par les tenants d’une ligne radicale, qui poursuivent toujours en ce début d’année 2011 une pression sur la ligne confédérale. Rien de comparable non plus avec le congrès de la CFDT en juin 2010 à Tours, où François Chérèque avait dû tenir un discours de durcissement et d’hostilité au gouvernement, pour ne pas être contraint en interne, sur le délicat dossier de la réforme des retraites, par des militants inquiets d’une organisation trop réformiste.
Des expressions diverses
Force ouvrière, pour sa part, n’a pratiquement pas connu de départs (à la différence de la CFDT après 2003, qui a vécu une hémorragie sérieuse vers SUD et la CGT). Au risque d’apparaître parfois comme une auberge espagnole, où l’on trouve de tout, Force ouvrière sait faire cohabiter des militants d’expression très diverse. C’est là un savoir-faire appréciable.
Cette capacité tient pour beaucoup dans la conception fédéraliste de son organisation interne, qui respecte l’autonomie des fédérations et des syndicats. Cette liberté de positionnement et d’organisation a pourtant ses inconvénients. Tout d’abord, elle freine considérablement la nécessaire rationalisation des moyens et des structures internes. Avec 29 fédérations professionnelles, Force ouvrière ne dispose pas dans tous les secteurs de la vie économique des structures syndicales équipées de la taille critique suffisante. On peut estimer que 8 des 29 fédérations regroupent les trois-quarts des adhérents et que les trois premières en regroupent la moitié. Les autres n’ont pas toutes une dimension suffisamment efficace.
Le chantier de la réorganisation interne ambitionné au congrès de 2011, s’annonce laborieux : regroupement de fédérations, rationalisation des circuits financiers, mise au point d’outils et de moyens de syndicalisation, etc... Sur ce terrain, la CFDT apparait plus avancée et plus efficace.
La liberté de positionnement des différentes structures confédérées génère un autre inconvénient : celui d’une hétérogénéité, gênante par moments, concernant les grandes orientations doctrinales et les pratiques militantes.
Entre syndicalisme de contestation et syndicalisme réformiste, Force ouvrière a choisi, depuis plus de vingt ans, de ... ne pas choisir.
Au congrès de 2007, Jean-Claude Mailly affirmait dans son discours d’ouverture « Renier le réformiste, c’est se politiser. Renier la contestation, c’est s’anesthésier ».
Action réformiste
Dans un entretien au quotidien La Croix à l’ouverture du 22ème congrès, il indiquait en des termes proches : « FO a toujours été et reste une organisation réformiste. Ça veut dire être pragmatique pour améliorer progressivement la situation des salariés. Quand on pense, dans une négociation, avoir trouvé un équilibre qui améliore les choses, on est signataire, sinon on n’est pas signataire ». A cette belle définition de l’action réformiste, Jean-Claude Mailly ajoute aussitôt : « Mais être réformiste ne veut pas dire qu’on ne peut pas appeler à la grève ». Et il poursuit : « Un syndicat qui ne conteste pas, c’est comme un boulanger qui ne fait pas de pain, ça ne sert à rien » (La Croix, 14 février 2011).
Sur cette dernière phrase, l’utilisation du verbe contester n’est pas neutre. La conception réformiste aurait dû lui faire dire : revendiquer et non pascontester. Il ne s’agit pas là d’une simple nuance de mots, mais d’une vraie différence de conception de l’action.
Dans les temps à venir, cette capacité à conjuguer, dans une même organisation et au même moment de son histoire, les deux conceptions de l’action syndicale ne sera plus aussi facile.
Le besoin d’une clarification est là, que les évolutions du syndicalisme rendent plus grand.
Dans un paysage syndical européen où prédomine la démarche réformiste, dans un paysage syndical français où cette démarche a conquis la CFDT désormais en son entier et commence à interpeller la CGT, l’attachement à un syndicalisme de rupture radicale, de grève générale, de conflits et de négation de l’économie de marché n’est plus de mise. Hormis quelques militants trotskystes, bien implantés dans certains lieux de la confédération, l’essentiel des équipes Force ouvrière reste attachée à la négociation, au contrat collectif et au paritarisme.
Aux yeux du gouvernement, des directions d’entreprises et des salariés eux-mêmes, l’image de Force-ouvrière est pourtant marquée par la contestation plus que par la négociation. L’année 2010 et la réforme des retraites a montré une organisation plus centrée sur le refus de toute réforme que sur la recherche d’un positionnement central, pivot des discussions. Dès lors, le risque d’isolement est réel, que cultive à loisir CGT et CFDT. Ces deux organisations inspiratrices de la loi du 20 août 2008 modifiant la représentativité syndicale, se trouvent dans une concurrence pour le leadership du syndicalisme en France. Mais elles se placent aussi en convergence permanente pour isoler et réduire Force ouvrière.
Cavalier seul
Répondant aux interventions des congressistes le 17 février dernier, Jean-Claude Mailly fustigeait en des termes vifs cette coalition hostile et confirait la stratégie de cavalier seul de son organisation : « Il n’y a pas plus d’axe FO - CFDT que d’axe FO - CGT. Il y a un axe FO - FO et ça me suffit ».
La résolution adoptée par le congrès souligne les vertus du pluralisme syndical et « rejette tous les processus intermédiaires (ou syndicat unique) dénommés « syndicalisme rassemblé » ou « intersyndicale » ».
Les relations avec la CFE - CGC et la CFTC, toutes deux réformistes, sont réelles et confiantes. Elles ne se sont pas, à ce jour, déployées pour déboucher rapidement sur la construction d’un pôle réformiste alternatif à celui qu’ambitionne de construire la CFDT, laquelle développe à nouveau des contacts avec l’UNSA.
Par-delà un congrès considéré comme tranquille, Force ouvrière se trouve confrontée à la question de son positionnement syndical. Cette question est une affaire d’alliances et de tactique mais, plus en profondeur, une question de doctrine d’action et de stratégie.
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