Le 21ème congrès confédéral de la CGT - Force ouvrière vient de se tenir à Lille, du 25 au 29 juin. Jean-Claude Mailly, secrétaire général depuis février 2004, vient d'être reconduit sans aucune difficulté pour un deuxième mandat. Un congrès tranquille : à Force ouvrière, habituée depuis plus de 15 ans à des disputes internes, c'est un événement.
Dans son allocution d’accueil aux congressistes, le 25 juin dernier, Bernard Sohet, secrétaire général de l’Union départementale du Nord, n’a pas failli à la tradition. Les références à Jean Jaurès, au massacre de Fourmies, au Chant de l’Internationale et aux luttes ouvrières du Nord-Pas de Calais ont permis aux délégués de s’installer dans la grande épopée syndicale de la CGT, née en 1895 et dont descend en ligne directe la CGT - Force ouvrière (créée en 1948 pour maintenir l’indépendance syndicale, au lendemain de la colonisation de la CGT par le Parti communiste).
A la suite du discours d’ouverture de Jean-Claude Mailly (deux heures sans interruption), les délégués se sont succédés pendant deux jours à la tribune, les 26 et 27 juin, rivalisant à leur tour pour donner aux 2500 « chers camarades » présents le « salut fraternel » de leur organisation d’origine.
Une élection de maréchal
Le 28 juin a permis, après la réponse du secrétaire général à ces interventions, de voter le rapport d’activité : 18 242 voix pour (soit 97,7 %), 313 contre (1,7 %) et 105 abstentions (0,6 %). Le rapport financier a, lui aussi, été plébiscité : 97,06 % pour. La modification des statuts (article 3) a permis (90,31 % pour) d’entériner l’adhésion de Force ouvrière à la nouvelle Confédération syndicale internationale (CSI) créée en novembre dernier, après la jonction entre la CISL et la CMT.
Le 29 juin, dernier jour du congrès, n’achevait pas pour autant le dispositif des opérations statutaires. Le lendemain du congrès, les 135 représentants des unions départementales et des fédérations professionnelles qui composent le Comité confédéral national (CCN) se réunissaient pour élire les 13 membres du Bureau confédéral. A sa tête, seul candidat à sa succession au poste de secrétaire général, Jean-Claude Mailly recueillait 100 % des voix.
A Force ouvrière, de tels scores étaient devenus, depuis plus de 15 ans, chose inhabituelle. Au style bonhomme, consensuel et malicieux à la fois d’André Bergeron avait succédé en 1989 le style bouillonnant, fier et volontairement provocateur de son successeur Marc Blondel. De 1989 à 2004, les querelles internes n’ont pas manqué, quelques éléments déçus des orientations de Marc Blondel quittant même la maison pour rejoindre l’UNSA, tandis que des fédérations prenaient une distance significative avec l’appareil confédéral.
Présenté comme le dauphin de Marc Blondel, Jean-Claude Mailly était élu en février 2004 au poste de secrétaire général, en dépit d’une réelle méfiance de certains, lesquels avaient appuyé la candidature de Jean-Claude Mallet.
Apaisement des tensions
Trois ans après, la différence de climat au sein de Force ouvrière est flagrante. Sans pour autant renier la ligne conduite par Marc Blondel (lequel avait aussi réveillé l’organisation, au risque de certaines incompréhensions sur sa stratégie), Jean-Claude Mailly a apaisé les relations internes. Invité, par exemple, au congrès de la FGTA (agro-alimentaire) peu après son élection, il organisait tout récemment, au printemps 2007, une conférence de presse avec Frédéric Homez, secrétaire général de FO Métaux, pour appuyer une réflexion syndicale de qualité sur la politique industrielle de notre pays. Les autres exemples abondent.
La première grande leçon du 21ème congrès est donc celle-ci : la réconciliation de l’organisation avec elle-même.
En externe aussi, Jean-Claude Mailly a utilisé les trois années de son premier mandat à donner de son organisation une image stabilisée. Résultat : le contact est cordial avec les autres leaders syndicaux, y compris avec ceux de la CGT et de la CFDT, sans effacer pour autant les sérieuses différences doctrinales. Les interlocuteurs patronaux et gouvernementaux tiennent aussi Force ouvrière en estime.
Ce travail de restauration de la confiance en interne et de l’image à l’extérieur explique en grande partie le déroulement serein et confiant du 21ème congrès. Les inquiétudes sur les agissements trotskystes dans l’appareil (y compris au niveau confédéral) n’ont pas disparu, les interrogations sur l’appartenance ou la forte sympathie de tel ou tel membre du Bureau confédéral vers le Parti des travailleurs non plus. Mais elles sont aujourd’hui moins fortement exprimées par ceux-là même qui, non sans raison, craignaient naguère un nouvel entrisme politique dans le syndicat.
Le défi de la pratique syndicale
Jean-Claude Mailly et son équipe se trouvent aujourd’hui confrontés à trois grands défis, qui ont traversé chacun à leur manière les débats du 21ème congrès.
Le premier défi est celui de la pratique syndicale. Dans son discours d’ouverture, Jean-Claude Mailly déclare :
« Depuis longtemps, certains rêvent à la bipolarisation syndicale, sur le schéma de la bipolarisation politique. Mes chers camarades, c’est une vue de l’esprit. Un syndicat n’est pas ou réformiste ou contestataire. Il est les deux à la fois, c’est en tout cas notre conception du réformisme militant. Oui, nous sommes réformistes mais quand ça coince, nous avons aussi une capacité de contestation. Renier le réformisme, c’est se politiser. Renier la contestation, c’est s’anesthésier ».
Dans le débat de la représentativité syndicale qui ne fait que s’ouvrir, Force ouvrière peut redouter de se trouver coincée entre une CFDT se proclamant réformiste et une CGT décrite comme contestataire. D’où l’affirmation d’être « les deux à la fois ». Et, par là, la volonté de couper court à toute tentative intellectuelle de placer Force ouvrière hors jeu de la bipolarisation syndicale.
Ce débat renvoie, plus en profondeur encore, aux fondements même de la représentativité, c’est-à-dire aux raisons qui permettent d’affirmer qu’une organisation syndicale se trouve bien en capacité de représenter les salariés. Aussi simplement que cela puisse paraître, il est utile de rappeler que cette capacité s’exprime dans la négociation de nouveaux avantages collectifs et dans l’installation de ces avantages dans la durée, à travers les accords et conventions collectifs. La pratique contractuelle et son prolongement naturel, le paritarisme : voila bien le terrain naturel de l’action syndicale, partout en Europe. Le succès de Force ouvrière a toujours correspondu dans sa capacité à incarner cette pratique dite réformiste. Sans pour autant accepter de tout signer (une dose de « contestation » est bien justifiée), Force ouvrière peut retrouver son rôle d’interlocuteur solide du patronat et du gouvernement. Une sorte de retour à l’ère André Bergeron en quelque sorte, sachant composer avec le positionnement lui aussi clairement réformiste de la CFDT voire avec les prémisses de pratiques nouvelles à la CGT.
Le défi de l’évolution doctrinale
Second défi : celui de l’évolution des positions doctrinales.
Terrains d’application pour les mois à venir : celui des réalités sociales internationales et celui du dossier des retraites. Quoique officiellement extérieure au débat sur l’Europe en 2005, la direction de Force ouvrière n’avait pas caché sa vive méfiance à l’encontre du traité constitutionnel. Les temps à venir vont se montrer exigeants, obligeant Force ouvrière à mieux exprimer son positionnement réel. Les anciens de la Confédération, qui ont vécu une ligne naguère pro-européenne, ne verraient pas sans déplaisir leur organisation revenir sur cette ligne là.
Sur le dossier des retraites, une évolution se fait, la direction confédérale développant désormais une stratégie plus mesurée. A l’évidence, la revendication des 37,5 ans de cotisations pour tous, privé et public, a vécu. A la tribune, les dirigeants et militants se sont succédés pour préparer le débat sur les retraites qui s’ouvrira en 2008. La ligne confédérale vise désormais à« bloquer les compteurs à 40 ans. Parce que si rien n’est fait, prédit Jean-Claude Mailly,si le gouvernement ne fait rien, c’est automatique, ça passe à 41 ! »On est loin de l’appel de 2003 à la grève générale contre la réforme Fillon des retraites...
Moderniser l’appareil
Le troisième défi qui apparaît à l’occasion de ce congrès est d’ordre interne. C’est celui de la réorganisation et de la modernisation de l’appareil militant.
Confrontée comme toutes les autres confédérations à un vieillissement de ses militants, Force ouvrière exprime le suivi du renouvellement de ses équipes. Jean-Claude Mailly l’indique :« Un travail particulier va être entrepris pour accélérer la syndicalisation »(Nord Eclair, 24 juin 2007). Une commission spécifique a été installée au congrès. Un matériel a été mis au point en direction des jeunes. Pour l’heure, tous ces efforts n’en sont qu’à leurs débuts. Tout au moins, la prise de conscience commence à se produire à l’intérieur de l’organisation.
Une réforme des cotisations est amorcée, bien timide au regard des réformes entreprises jadis à la CFDT, naguère à la CFTC et récemment à la CGT. Mais c’est un début.
La réforme des fédérations, le regroupement de certaines d’elles et l’actualisation de leur champ de syndicalisation n’est pas encore vraiment entrée dans sa phase active. La puissante fédération des employés et des cadres (FEC), la deuxième en nombre d’adhérents, syndique aussi bien les salariés du commerce non alimentaire que ceux des banques et assurances ou ceux de la Sécurité sociale. Au grand bonheur de quelques minorités trotskystes qui se délectent d’agir dans cette fédération fourre-tout. Exemple opposé : la fédération de la coiffure, toujours autonome, ne dispose guère de la taille critique pour être efficace.
Si Force ouvrière prend toujours un grand soin à ne pas rendre officiel le nombre de ses adhérents, personne - pas même les dirigeants confédéraux - ne donne crédit au nombre avancé (800 000) à la nouvelle Confédération syndicale internationale.
Les mois et années à venir ne s’annoncent pas faciles pour Force ouvrière, pas plus qu’aux autres confédérations. Le bon travail conduit depuis trois ans pour réconcilier l’organisation avec elle-même permet à Jean-Claude Mailly de « rempiler tranquille ». Pour mieux oser l’avenir ? Là est la question.
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