top of page
Photo du rédacteurJacques Attali

Guesde, Jaurès, Mitterrand, Hollande

En écho à notre article précédent (« Le parti socialiste a-t-il cent ans ou cent vingt cinq ans ? »), nous publions ici l'analyse de M. Jacques Attali, ancien conseiller entre 1981 et 1991 de François Mitterrand, sur les racines du Parti socialiste.


C’est une date bien arbitraire que le Parti socialiste choisit pour fêter son centenaire. Il aurait pu tout aussi bien célébrer l’anniversaire des congrès de 1971 à Epinay, où il a pris son nom, ou de Tours en 1920, où Léon Blum décida de ne pas suivre la majorité du parti, qui venait, en fondant le Parti communiste, d’adhérer à la IIIè Internationale, dirigée par Lénine. En décidant de remonter plus loin et de choisir l’épisode de la salle du Globe, où Jaurès prit le pouvoir, le Parti socialiste fait un choix plein de sens. Car cette date n’en est qu’une parmi d’autres, d’une longue liste qui commence dès la Révolution française, se continue avec celle de 1848, se prolonge avec les martyrs de la Commune de 1871 et avec le retour des premiers proscrits en 1877.


De fait, le parti qui, de changement de nom en changement de nom, deviendra l’actuel Parti socialiste est celui que fonde en 1878 Jules Guesde, assisté de Paul Lafargue, sous le nom de « Fédération des travailleurs socialistes de France ». En 1882, les guesdistes quittent la fédération et créent le « Parti ouvrier français » (POF). Vingt ans plus tard, le POF donnera le « Parti socialiste français » et le « Parti socialiste de France ». La date de naissance officielle du PS aurait donc dû être 1878 ou 1971. Plus crûment dit : le fondateur du Parti socialiste, c’est Jules Guesde ou François Mitterrand, pas Jean Jaurès.



Pourquoi, alors, ce choix ? Guesde évolua de l’anarchisme vers le marxisme. Paul Lafargue, le gendre de Marx, alla vers l’anarchisme, avec son extraordinaire Eloge de la paresse. A côté de Guesde et de Lafargue apparurent Vaillant, Millerand et Jaurès, qui refusa la dictature du prolétariat et le rôle d’avant-garde du parti, prôna une pratique réformiste et se mêla de l’affaire Dreyfus, alors que Guesde, révolutionnaire intransigeant, convaincu, lui aussi, de l’innocence du capitaine, soutenait que « le parti » n’avait pas à s’impliquer dans un conflit interne à la bourgeoisie. Et c’est dans « le parti » qu’eut lieu, un soir de novembre 1900, entre Jaurès et Guesde, devant 8 000 personnes rassemblées dans un silence religieux sur l’hippodrome de Lille, le débat majeur sur les « deux méthodes » possibles pour changer la société, la réforme ou la révolution. Il fallut que la IIè Internationale, voulue par Engels, intime aux Français l’ordre de s’unir pour que, en 1904, un congrès assure cette union sous la tutelle de Guesde, bientôt remplacé par Jaurès dans ce qui devint l’année suivante la Section française de l’Internationale ouvrière.



En se coupant ainsi de ses racines plus anciennes, plus radicales, en faisant de Jaurès le fondateur du socialisme en France, en voulant se donner l’image du réformiste contre sa réalité révolutionnaire, le Parti socialiste prend le risque de réduire son identité à une histoire d’appareil, sans s’inscrire dans la longue durée de l’histoire de France, oubliant tous les morts de 1848 et de 1871 au profit d’un seul, de 1914. En n’assumant pas les colères du passé, il risque de ne pas comprendre celles de l’avenir.

Comments


bottom of page