Le thème du harcèlement moral au travail reste un thème très sensible. A preuve l'importance qu'il a acquis dans les affaires prud'homales. Les analyses consacrées naguère à ce thème par deux organisations syndicales gardent leur actualité.
Il n’est sans doute pas neutre que deux organisations syndicales aient consacré à destination de leurs élus des dossiers spécifiques et très complets sur la question du harcèlement dans l’entreprise. Tout autant qu’une sensibilité actuelle, cela traduit tout à la fois les difficultés et la gêne que toute personne confrontée à la résolution de ce type de problèmes ressent et à la nécessité d’une extrême prudence et rigueur pour le faire. L’importance actuelle et la croissance régulière de ce thème dans les affaires prud’homales - tant dans les plaintes directes que dans les argumentaires développés à propos d’autres affaires - sont aussi un signe de l’actualité du sujet et qu’il ne peut être passé sous silence.
On ne saurait être surpris que les deux brochures de la CFTC et de la CFDT se situent non du coté de celui qui harcèle mais du côté de la victime, ou plus exactement de celle ou celui qui se présente à eux en en faisant la confidence. Elles le font au nom d’une prise de conscience, au nom du « respect », au nom de la « lutte contre la discrimination » (CFDT) et de la « dignité » (CFDT et CFTC). « La dignité est une revendication forte des salariés, nous devons être en première ligne pour la porter », rappelle Michel Coquillion (CFTC). On sera particulièrement intéressé par les différences d’approche qui se manifestent dans les deux brochures pour dégager leur complémentarité et les lignes de force d’un problème complexe qui s’est installé au cœur des relations dans l’entreprise depuis quelques années seulement.
La CFTC adopte un angle de traitement de la question essentiellement juridique. Elle intègre les dispositions de la loi du 17 janvier 2003 de modernisation sociale qui réglemente le harcèlement moral et modifie en profondeur les dispositions applicables au harcèlement sexuel. L’étude très détaillée est un numéro spécial de la revue « Questions juridiques », soulignant l’importance qu’elle entend donner à ce thème. La CFDT, de son côté, se limite au harcèlement moral - mais il est vrai que sa brochure est parue avant la loi de 2003 (faisant apparaître ainsi autant la vitesse d’évolution des mentalités dans ce domaine que la difficulté à suivre les évolutions et à coller à l’actualité) - et son propos s’adresse aux élus de l’entreprise, dans le souci de prendre en charge le harcèlement avec plus d’efficacité « pour modifier la norme de ce qui est correct dans les relations au travail » et faire évoluer ainsi le « rapport de subordination inhérent au contrat de travail ».
- Une définition difficile -
En définitive dans la troisième partie de sa brochure « Agir en justice », la CFTC est amenée à développer plus longuement la définition et la conséquence du harcèlement. Elle rappelle qu’il est d’abord nécessaire d’être rigoureux dans la qualification des faits pour ne pas risquer de tomber dans un processus de « victimisation » qui assimilerait au harcèlement le moindre reproche professionnel ou des conditions de travail parfois éprouvantes. Avant d’aller en justice, il est indispensable de faire un travail avec la victime : vérifier si le problème relève bien du harcèlement, déterminer ce qu’elle souhaite, l’informer des implications. Plusieurs actions sont possibles si le licenciement n’a pas été prononcé : la résiliation judiciaire du contrat ou la requalification de la prise d’acte du contrat en un licenciement. Il est ainsi rappelé qu’un salarié tout autant que les organisations syndicales dans l’entreprise peuvent agir en justice. Même si l’employeur lui-même n’est pas l’auteur des agissements de harcèlement moral ou sexuel, il en est malgré tout responsable et « son inertie peut être fautive et justifier la condamnation sur la base de l’exécution loyale du contrat de travail ». Il y a ainsi une responsabilité de l’employeur à qui incombe d’empêcher la « survenance » de faits de harcèlement.
Il ne faut pas oublier non plus que, tant le cas du harcèlement moral que du harcèlement sexuel, la loi a inséré deux sanctions pénales l’une dans le Code du Travail, l’autre dans le Code pénal. Une victime pourrait donc poursuivre l’auteur du harcèlement sur ce double fondement. A contrario, le prétendu auteur du harcèlement qui s’estime injustement accusé peut porter plainte pour dénonciation calomnieuse. Dans cette approche juridique, il importe de rappeler l’importance de la charge de la preuve et c’est bien une des difficultés de tout dossier de harcèlement : difficulté de la réunir et difficulté dans l’appréciation de la réalité des agissements. Le harcèlement moral comporte une dimension relative et d’une grande subjectivité et cette notion peut être perçue de manière variable selon les salariés et les circonstances.
La CFTC donne ainsi quelques exemples d’indices de harcèlement moral : le passé du harceleur (et éventuellement la responsabilité de l’entreprise dans ce passé), les échanges de courriers, notes de service, les témoignages avec quelques exemples de harcèlement jugés comme tels. La CFDT, avant de publier une longue liste d’exemples portant sur les agissements sur le travail (tels confier des tâches irréalisables, humiliantes ou dangereuses...), sur les agissements sur les relations de travail (tels ignorer la présence, refuser toute demande d’entretien...), et sur les agissements sur la personne (critiquer la vie privée, le physique, faire courir des rumeurs...) retient trois éléments généraux :
- le fait que le harcèlement se fonde sur « une hostilité forte d’un individu ou d’un groupe sur un autre individu »,
- « l’attaque de la personne elle-même ». Il ne s’agit pas simplement d’une attaque sur le travail mais sur la personnalité de l’individu,
- la durée des brimades - qui parfois durent depuis plusieurs années,
- « la répétition incessante des attaques ».
Ces quatre éléments permettent de distinguer le harcèlement moral des situations de conflit, de stress et de violence.
S’appuyant notamment sur les travaux de Heinz Leymann,La persécution au travail, Paris, Le Seuil, 1996 et de Marie-France Irigoyen ,Le harcèlement au travail : la violence perverse au quotidien, Paris, Syros, 1998 etMalaise dans le travail. Harcèlement moral : démêler le vrai du faux, Paris, Syros, 2001, le guide de l’élu CFDT dégage des profils (les personnes entre 43 et 55 ans, majoritairement des femmes), des lieux à risques (secteur tertiaire, secteur médico-social, enseignement) et tente de dresser un portrait des harceleurs (majoritairement dans la ligne hiérarchique).
Dans ce domaine, agissements et processus sont décrits et la CFTC de son côté rappelle que ni le harcèlement sexuel ni le harcèlement moral, conçus sous la forme d’un interdit, ne sont réellement définis en tant que tels, mais qu’ils sont appréhendés par « la forme sous laquelle ils doivent se manifester et par leur objet et leur finalité ».
- Accompagnement et prévention -
Il reste dans tous les cas, il est vrai, une souffrance individuelle et les deux organisations syndicales insistent sur la nécessité d’un accompagnement de la personne harcelée qui vient sans doute les voir à l’issue d’un long cheminement. Elles se rejoignent aussi dans la nécessité de précision du diagnostic et d’orientation des personnes harcelées qui sont dans un état de faiblesse et de détresse.
Si ce rôle de soutien individuel est souligné, les organisations syndicales n’oublient pas que ces comportements se sont déroulés sur le lieu de travail et en lien avec lui. Si l’employeur a l’obligation de prévenir les agissements de harcèlement sexuel et moral, il a aussi l’obligation de protéger lasanté physique et mentale des salariés. En ce sens, selon les termes du guide de l’élu CFDT, « le harcèlement moral constitue de fait un risque professionnel au même titre que d’autres dangers auxquels les salariés sont exposés à l’occasion de leur travail ». Il s’agit donc d’appréhender l’état de santé du collectif des salariés à travers les outils existant déjà : bilan social et bilan de l’hygiène et de la sécurité et d’engager une réelle démarche de prévention par la sensibilisation de l’ensemble du personnel en impliquant l’employeur.
C’est assez dire que pour l’une et l’autre des organisations, c’est aussi l’ensemble des instances de représentation du personnel qui sont concernées et impliquées : CHSCT bien sûr (« à y bien regarder, signale la CFDT, le champ d’intervention du CHSCT recouvre largement les types d’agissements relevant du harcèlement moral » et la CFTC parle de sa « position centrale en matière de prévention du harcèlement »), mais aussi Comité d’entreprise, Délégués du Personnel, Délégués Syndicaux. Des propositions d’action, incluant par exemple la modification du règlement intérieur sont suggérées. La prévention qui doit intégrer le médecin du travail, l’infirmière et l’assistante sociale nécessite aussi des recours externes en identifiant des « personnes ressources » hors de l’entreprise, c’est-à-dire d’avoir constitué préalablement un carnet d’adresse.
En bref, sur un sujet délicat, difficile et évolutif, les deux brochures apportent des informations complémentaires et montrent à l’évidence la volonté des organisations syndicales d’être parties prenantes d’actions efficaces de prévention dans ce domaine.
- Conséquences pour l’entreprise -
Les conséquences pour l’entreprise sont nombreuses :
- aucune entreprise ne peut se considérer à l’abri d’être confrontée un jour ou l’autre à une question de harcèlement moral ou sexuel,
- toute plainte - par quelque canal qu’elle arrive - doit être prise au sérieux si on ne veut pas risquer de voir engagée la responsabilité de l’entreprise,
- elle doit donner lieu à une enquête dans la discrétion et le respect des personnes (et des sources d’information),
- la mise en place d’une prévention - qui peut prendre de nombreuses formes par exemple des rappels réguliers oraux ou écrits des termes de la loi - est nécessaire et de toute façon plus facile que le traitement « à chaud » des cas. Il pourrait être utile d’intégrer ces dispositions dans les codes « éthiques » pour l’encadrement ou l’ensemble du personnel qui sont parfois diffusées dans les entreprises, sous réserve d’une vérification juridique préalable des termes,
- à l’initiative de l’employeur, les instances représentatives du personnel ont à être informées de l’état global de la situation,
- la prévention est le fait de l’ensemble des acteurs de l’entreprise : employeur, hiérarchie, salariés, instances de représentation du personnel, médecins du travail, organisations syndicales. L’implication de tous est la condition de réussite d’une politique de prévention dans ce domaine.
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