Les réflexions se multiplient, la réglementation se développe, les organisations syndicales mobilisent leurs militants : les questions liées à l'hygiène-sécurité et aux risques industriels occupent une place grandissante dans la vie des entreprises.
L’accident survenu aux chantiers de Saint-Nazaire le 15 novembre 2003 a tragiquement rappelé, indépendamment de toute responsabilité juridique, la nécessité d’une prévention rigoureuse des risques et l’implication nécessaire de tous les acteurs intervenant sur un site. Très médiatisé, cet accident a ravivé dans l’opinion publique la douloureuse catastrophe de l’usine AZF à Toulouse, le 21 septembre 2001.
Les questions d’hygiène-sécurité et de risques industriels prennent une importance grandissante, que les entreprises vont avoir à gérer de façon plus développée que dans le passé.
Dans ce contexte, on peut estimer que la loi « Bachelot » au Journal Officiel (loi 2003-699 du 30 juillet 2003) relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation, qui a pourtant des conséquences pour toute entreprise, n’a pas bénéficié de toute la publicité voulue.
Un avis du Conseil économique et social, voté en mars 2003, dégage des réflexions et propositions.
Les organisations syndicales, pour leur part, ont aussi produit des analyses et sensibilisent activement leurs militants à ces questions.
- L’avis du Conseil économique et social -
Le rapport sur la prévention et gestion des risques technologiques, présenté les 11 et 12 mars 2003 au Conseil Économique et Social par Charles Fiterman est d’abord intéressant parce qu’il a été adopté à l’unanimité des groupes représentés auprès de cette institution, comme si la catastrophe de Toulouse en septembre 2001 avait marqué une sensibilité nationale très forte aux risques industriels et à leurs conséquences sur la société. Il constitue ainsi une référence tant pour le diagnostic de la situation actuelle que pour les orientations futures.
Le premier constat est que, si sur une longue période on peut noter une amélioration sensible de la maîtrise du risque industriel et du nombre d’accidents du travail, il faut en même temps prendre conscience du palier préoccupant qui se prolonge depuis une dizaine d’années. Le nombre d’accidents et de victimes se maintient à un niveau élevé : 750.000 accidents en France en 2000 ayant entraîné notamment 730 décès. Ce chiffre, stable depuis une dizaine d’années, est probablement minoré en raison de l’insuffisance de l’outil statistique et ne prend pas en compte les quasi-accidents et les incidents qui pourraient être la source d’accidents plus graves. La permanence de ce palier « souligne la difficulté à progresser dans le renforcement de la sécurité dès lors que le cadre qui prévaut actuellement n’est pas dépassé ».
Le deuxième constat est directement en lien avec l’évolution de la société : émergence de nouveaux risques (sanitaires, alimentaires, écologiques, industriels, technologiques et même sociaux et géopolitiques), progrès des investigations scientifiques qui font aussi apparaître que des risques ont été courus sans qu’ils soient prévus, et demande croissante de sécurité pour vivre dans un environnement préservé.

- L’avis retient six orientations à développer : s’inscrire dans une logique de développement technologique et industriel durable, en intégrant le devenir de l’homme et de son environnement dans les choix et les modalités du développement technologique,
- approfondir et élargir les approches nouvelles de prévention et de gestion des risques :
- placer l’intervention humaine au centre de la démarche de sécurité. Il s’agit ici d’un point fort souvent réaffirmé. Les dispositifs techniques ne font pas tout. Une gestion humaine de la sécurité capable de détecter et ce corriger les défaillances et les dysfonctionnements est nécessaire,
- généraliser les approches globales techniques et organisationnelles (la directive Seveso II, même si elle n’a pas encore trouvée son application totale, est saluée comme une avancée significative),
- favoriser les approches pluridisciplinaires, « multifacettes » des risques technologiques et industriels. Processus de production, produits, services, systèmes d’organisation sont concernés et la distinction entre les risques professionnels et les risques technologiques n’a plus lieu d’être et doit faire place à un impératif de cohérence globale,
- trois directions de travail complémentaires sont à privilégier : l’évaluation des risques elle-même en priorité dans les 10000 installations présentant les plus grands risques, la mise en place d’un système de veille et de contrôle s’appuyant sur une démarche technique et d’organisation dite de « défense en profondeur », la prise en compte du retour d’expérience en constituant notamment un réseau entre chercheurs, experts, partenaires de terrain...
- construire un système complexe et cohérent d’organisation globale de la sécurité mettant en jeu et en relation tous les acteurs,
- impulser un effort nouveau et diversifié de formation, d’abord au sein de l’entreprise, en prenant en compte des dimensions de capacité de diagnostic, de capitalisation de l’expérience acquise (y compris dans le risque d’ « accoutumance ») et placée sous le signe de la « traçabilité » par l’organisation de séances d’actualisation et de rappel,
- améliorer les méthodes et les moyens de la gestion de la crise, démarche de prévention accompagnée d’une réévaluation des risques à intervalles réguliers et d’une « maintenance » des réseaux matériels et humains à mettre en œuvre en cas de crise,
- développer un système d’assurance incitatif à la prévention.
Six acteurs principaux sont identifiés :
- le chef d’entreprise, nommé en tête. La nécessité d’un engagement personnel dans l’animation et le contrôle des systèmes de prévention est fortement soulignée. Il pourrait se décliner dans les initiatives suivantes : mise en place systématique d’un responsable de sécurité occupant une fonction hiérarchique élevée, initiatives appropriées régulières de la part du chef d’entreprise pour favoriser l’engagement et la vigilance permanente de l’encadrement hiérarchique, développement de l’information et dialogue avec les salariés et leurs représentants, et avec les riverains de l’entreprise et leurs représentants,
- les salariés, les CHSCT, les organisations syndicales, nommés en second . Cela repose, pour les salariés, sur le développement d’une véritable culture de sécurité, s’appuyant sur l’observation des opérateurs. Par ailleurs les CHSCT doivent devenir partout des partenaires à part entière de l’action de sécurité et la sécurité elle-même devenir un thème à part entière de la négociation collective
- populations, associations et élus. Les actions doivent s’appuyer sur trois piliers, information, dialogue, concertation,
- chercheurs, experts et structures diverses. Il convient de favoriser la construction et le développement de réseaux pluridisciplinaires touchant à la fois les risques professionnels et les risques technologiques,
- l’État : le Conseil Économique et Social avance des suggestions, persuadé « qu’en se concentrant sur ce qui relève de ses fonctions exclusives et en perfectionnant ses méthodes et ses moyens d’intervention », l’État a la possibilité et les moyens de renforcer son rôle,
- l’Union Européenne et les organismes internationaux. Au niveau européen une harmonisation des approches est à développer compte tenu du contexte concurrentiel d’une économie ouverte. La France pourrait être motrice pour aller vers des référentiels et des pratiques harmonisées dans le respect des préoccupations et des cultures nationales ; à l’échelle mondiale des référentiels communs commencent à exister dans plusieurs branches professionnelles.
Certes si la liste va de l’individu à la collectivité - et non l’inverse -, elle souligne ainsi fortement l’implication humaine à tous les niveaux pour le développement de la prévention des risques industriels et professionnels - sans dissociation entre les deux risques. Cette globalisation pourrait se développer en France autour d’un projet de contrat national d’orientation.
La richesse de cet avis ne saurait faire oublier qu’il s’agit d’une synthèse et il pourra être intéressant de se reporter au rapport plus détaillé rédigé par Charles Fiterman et aux déclarations des groupes qui expriment des sensibilités et parfois des approches différentes se rejoignant sur des conclusions communes.
- Deux ouvrages syndicaux -
En parallèle, la lecture de documents signés par la CGT et par la CFDT s’avère intéressante pour mesurer les impacts possibles sur le terrain.
Ces travaux d’analyse et d’information sont renforcés par l’effort de formation que ces organisations déploient en direction des élus au CHSCT.

- Risques industriels, le guide de l’élu d’entreprise , édité par la CFDT, vise à encourager les militants au dialogue et à la coopération avec les élus et les associations. Il dégage une approche beaucoup plus générale que l’entreprise elle-même, affirmant que « c’est le degré de méconnaissance des risques industriels, autant dans les entreprises que dans l’environnement de l’entreprise qui constitue un danger ». Après avoir posé des définitions et rappelé des situations et certaines statistiques, le guide développe des méthodes et des moyens pour la mise en place d’une prévention des risques industriels. La démarche repose d’abord sur des études d’impact et de danger pour réduire le risque à la source, sur l’importance de la mise en place nécessaire et indispensable des éléments contenus dans la directive Seveso : le POI plan d’opération interne et le PPI Plan particulier d’intervention. Avant d’envisager les différents acteurs de l’environnement dans l’entreprise, la nécessité d’une maîtrise de l’urbanisation est fortement soulignée. C’est simplement fort de ce contexte que peuvent être envisagés les acteurs dans l’entreprise. La responsabilité de l’employeur est fortement rappelée en partant de l’ensemble des obligations actuelles des textes légaux en vigueur. Toutes les instances représentatives du personnel (Délégué du Personnel, Délégué syndical, Comité d’entreprise, et bien sûr CHSCT structure « chargée de la prévention collective, dont la CFDT souhaite le renforcement) sont concernées. Enfin, la brochure se termine par une insistance marquée sur la formation : formation à la sécurité déjà inscrite dans la loi, mais plus largement la formation à la prévention des risques industriels et concernant l’environnement, de manière à développer la reconnaissance d’une compétence « prévention, santé, sécurité ».
La CFDT insiste plus particulièrement sur le fait que la sécurité devait devenir un des grands thèmes de la négociation collective. Elle souhaite l’élargissement des missions et des moyens des CHSCT, notamment par la mise en place de CHSCT de site, et insiste sur le facteur de risque et la réelle fragilité qu’entraîne dans la chaîne de sécurité le recours à la sous-traitance. Le guide s’applique ainsi à traduire sur les terrains des orientations générales que l’on retrouve dans l’avis donné au Conseil Économique et Social.
- Le livre publié par la CGT, sous la plume de Jean Moulin, Le risque, le salarié et l’entreprise , adopte un ton polémique, revendicatif, en reprenant les différentes prises de position de la CGT dans des débats régionaux ou à l’Assemblée notamment à la suite du drame de Toulouse. Mais il exprime aussi la volonté de prise en compte à tous les niveaux de la prévention des risques et d’une démarche de formation y compris par la mise à la disposition de références et d’outils. S’appuyant sur le travail déjà réalisé de militants et souhaitant son prolongement, il cherche (et réussit) à être synthétique sur le sujet qualifié de « vaste, complexe et difficile » de la prévention des risques industriels majeurs liés à la transformation physico-chimique de la matière. Il souligne que dans ce cadre toutes les activités sont plus ou moins concernées et que protection de l’environnement, santé et sécurité au travail sont aussi liés. Il s’agit d’appréhender plus objectivement les industries et les risques chimiques sans oublier des secteurs spécifiques qui sont générateurs de risques très élevés comme le nucléaire, le transport de gaz, le transport de matières dangereuses (dans toutes ses activités transport lui-même, stockages, manipulations...). C’est assez dire que la CGT se sent aussi partie prenante et motrice de toute démarche de prévention des risques.

- Conséquences pour les entreprises -
Les conséquences immédiates sur l’entreprise de telles positions convergentes, quelles soient législatives, réglementaires ou seulement indicatives, ne sauraient être sous-estimées compte tenu à la fois d’évènements récents et des lignes de fond qui apparaissent. On peut résumer succinctement les principaux points permettant la mise en place de plans d’actions :
- l’approche habituelle « on règle d’abord, on en parle après » doit être renversée,
- la démarche de prévention est souhaitée, sinon exigée et l’entreprise ne saurait s’y soustraire,
- cette approche n’est pas simplement une approche technique mais aussi humaine, à la fois dans ses composantes de responsabilité et dans ses exigences de formation de tous les acteurs et de suivi, et dans la prise en compte des observations « terrain »,
- la prévention des risques exige un fonctionnement correct du CHSCT et le renforcement de son rôle,
- la responsabilité de l’entreprise ne s’arrêtera plus aux portes de l’entreprise, tant vis-à-vis de la population riveraine que de la vie et de l’organisation de collectivités territoriales et de zones industrielles, avec lesquelles doivent se nouer des relations régulières,
- la gestion de la crise est à anticiper, notamment par la mise en place de plans d’urgence, incluant un volet développé de communications à destination des différents interlocuteurs (autorités de tutelle voire judiciaires, riverains, victimes et leurs familles, presse...),
- la réalisation régulière d’exercices de simulation.
Sans attendre des incidents ou des accidents, certaines entreprises se sont déjà inscrites dans cette logique depuis longtemps. Il serait dommage que toutes les entreprises attendent des dispositions contraignantes réglementaires pour développer une approche cohérente et efficace de prévention des risques industriels et professionnels. Car, dans ce domaine, le mouvement est en marche et ne saurait s’arrêter.
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