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Photo du rédacteur Sylvain Boulouque

L'épisode de la CGTU

Au lendemain de la scission de 1921 qu'ils ont provoquée, les communistes de la CGT partent fonder la CGTU. Le premier congrès se tient en 1922. Pour les besoins du Front Populaire, les deux branches de la CGT se réunissent au printemps 1936. La CGTU n'est plus. En fait, les communistes poursuivent leur travail de noyautage qui les conduira à conquérir la CGT dix ans plus tard, à la libération.


Sylvain Boulouque, chercheur associé au CESDIP -CNRS est co-auteur du livre « Les forces syndicales françaises » (PUF, collection Major, 2010).


La Confédération générale du travail unitaire (CGTU) est née d’une scission de la Confédéra­tion générale du travail en 1922. Elle est la conséquence de la naissance des Comités syndica­listes révolutionnaires, formés en 1919 qui se sont donné pour objectif d’affirmer le caractère révolutionnaire de la centrale syndicale. Les CSR sont composés pour partie de syndicalistes révolutionnaires, de syndicalistes communistes et de syndicalistes anarchistes. Leur stratégie bute sur un double échec : transformer la grève des cheminots du printemps 1920 en grève générale - traduisant l’effondrement du mythe sorélien, ce qui permet au mythe bolchevique de s’y substituer - et prendre le contrôle de la CGT.


Après le congrès de Lille en 1921, les minoritaires continuent d’animer un courant dans la centrale, contrairement aux motions de congrès, et se placent délibérément hors de celle-ci. La rupture est consommée début 1922, quand les minoritaires, exclus ou scissionnistes selon les interprétations, s’intitulent les « unitaires ». Ils sont principalement implantés chez les cheminots, les travailleurs du bâtiment et marginalement dans l’industrie privée.

1922 : la rupture

Les affrontements latents entre communistes, syndicalistes révolutionnaires et libertaires se multiplient. Ils portent d’abord sur l’adhésion à l’Internationale syndicale rouge (ISR) dont les liens de subordination à l’Interna­tionale communiste (IC) et plus largement au régime bolchevique sont avérés. Les communistes souhaitent l’adhésion immédiate, alors que les autres s’y montrent hostiles. Dès le premier congrès de fondation, tenu à Saint-Étienne en 1922 et confirmé l’année suivante au congrès de Bourges, les syndicalistes communistes sont majoritaires et demandent à rejoindre l’ISR. En 1924, en raison des tensions croissantes - qui se traduisent par des heurts sanglants lors du meeting du 11 janvier 1924 faisant deux morts chez les anarchistes -, les libertaires refusent les diktats communistes et quittent la centrale.



Entre 1924 et 1927, en dépit de ces départs et de la constitution d’une nouvelle minorité composée par les animateurs de la revue La Révolution prolétarienne, la CGTU connaît une période de croissance relative. Elle est forte d’environ 350 000 membres et ses principaux foyers d’implantation sont chez les travailleurs à statut des services publics (cheminots, transports urbains et électriciens-gaziers) et marginalement dans le secteur industriel (métaux, textile, bâtiment). Dirigée par Gaston Monmousseau (1883-1960), cheminot qui a conduit la grève des cheminots en 1920 et l’un des dirigeants des CSR, la centrale suit la ligne du mouvement communiste internationale (Komintern et Profintern) : tactique « classe contre classe » qui conduit à des affrontements violents avec les forces de l’ordre, dénonciation des concurrents syndicalistes stigmatisés comme traîtres et alliés objectifs de la bourgeoisie, voire fascistes, et politisation systématique des grèves. À partir de 1927, les effectifs s’étiolent. En 1930, la centrale dépasse à peine les 200 000 membres. Elle est maintenue en vie par l’ISR qui prend à sa charge une partie de la centaine de permanents et le déficit du journal, La Vie ouvrière.

Sous contrôle de Moscou

Après 1931, à la demande de l’ISR, qui envoie en France un émissaire et une dizaine d’instructeurs, la ligne s’inverse. Le déclin est enrayé. Les unitaires commencent à se rendre indispensables dans les conflits sociaux ; ils participent et soutiennent chaque grève, tout en laissant leurs concurrents de la CGT négocier les accords salariaux. Ils participent également aux transformations des actions collectives, récupérant les formes d’action originales comme les marches des chômeurs.


En 1934, la tactique change. Après les journées de février, les unitaires, conduits par leur nouveau secrétaire général Benoît Frachon (1893-1975) - un ancien métallurgiste devenu cadre communiste à Lyon puis membre du secrétariat de la CGTU -, envisageant la réunification avec la CGT, avec l’aval de l’ISR.



Pour parvenir à l’unité syndicale, les unitaires - en fait le PCF - acceptent de nombreuses concessions officielles comme l’abandon des fractions - sensées imposer au mouvement syndical les actions à conduire définies par les noyaux communistes -, même si les militants communistes continuent de se réunir dans leurs cellules d’usines. Dans les instances confédérales réunifiées, les unitaires acceptent d’être minoritaires, un quart des représentants, espérant contourner cette faiblesse par leur capacité d’intervention.


De prime abord, la réunification tourne à l’avantage des confédérés, mais un basculement s’opère à la faveur des grèves de mai-juin 1936. Par la jeunesse de leurs militants et grâce à leur stratégie d’implantation dans certains secteurs industriels - métaux, textile, bâtiment -, les ex-unitaires arrivent à incarner un nouveau visage du monde industriel et syndical. Le type d’action développé par la CGT a permis le passage d’un militantisme communiste dans le mouvement syndical à l’élaboration d’un communisme syndical qui s’institue comme un modèle durable dans lequel prime la revendication et l’implantation locale, dûment contrôlées par des cadres expérimentés. Ce processus aboutira à la prise de contrôle de la CGT par les militants communistes à partir de 1945.





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