L'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 apporte au dialogue social des éléments nouveaux de constat partagé et d'anticipation. Le rôle des représentants du personnel est renforcé.
« L’accord national interprofessionnel pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés » restera peut-être dans les annales comme l’accord au titre le plus alambiqué. Restera-t-il aussi celui qui aura apporté de réelles innovations au service du dialogue social ? Le texte signé par les partenaires sociaux le 11 janvier 2013 en comporte plusieurs, qui sont ici envisagées dans leur portée collective.
L’ANI (accord national interprofessionnel) du 11 janvier 2013 vise à sécuriser les situations personnelles et renforcer les droits individuels des salariés en période de tensions sur l’emploi et de mutations économiques. Comme le droit du travail combine en France des droits individuels avec des droits collectifs, il était logique que cet accord prévoie des avancées concernant les instances représentatives du personnel.
- Le constat partagé plutôt que le contrôle -
L’esprit qui préside à ces innovations est de permettre un constat partagé sur les choix stratégiques de l’entreprise. Il s’appuie d’une part sur la place à faire aux salariés dans la gouvernance de l’entreprise. D’autre part, il renforce les droits d’information et de négociation de la représentation du personnel. La philosophie générale de l’ANI du 11 janvier 2013 est donc conforme au titre de l’accord : élaborer un « nouveau modèle économique et social »fondé sur la négociation collective, plutôt que sur un strict rôle de contrôle. La jurisprudence a accentué la tendance à comprendre le rôle des instances représentatives comme celui d’un contrôleur a posteriori de la validité juridique des décisions de l’employeur. Cette judiciarisation visait à élargir le rôle d’instances représentatives que le code du travail avait cantonné à une mission d’information a priori.
Les négociateurs patronaux CGPME, UPA, MEDEF
On s’est donc retrouvé peu à peu dans une opposition entre deux droits : d’une part, celui de l’employeur à décider de la stratégie de l’entreprise et à la mettre en œuvre, d’autre part, celui des instances représentatives du personnel à être informées sur les conséquences de cette stratégie en matière d’organisation du travail, d’emploi, de formation. Certes, quelques évolutions ont eu lieu. Ainsi, la loi Borloo du 18 janvier 2005, introduisant la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences dans les grandes entreprises, a fourni un nouvel outil à la fois à l’employeur et aux partenaires sociaux. Elle a établi le principe d’une anticipation des besoins relatifs à la main d’œuvre (observatoire des métiers, identification des métiers « sous tension » et des métiers « à risque »). Elle a créé une obligation de négocier sur ce thème. Mais la loi a aussi créé une suspicion entre employeur et représentants du personnel, si bien que la GPEC a très vite été soupçonnée d’être le faux nez du Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). La défiance de certaines organisations syndicales à l’égard de cet instrument n’a pas permis d’en faire un véritable outil de dialogue social. En sera-t-il de même pour l’ANI du 11 janvier 2013 ?
- Quatre innovations -
L’ANI du 11 janvier 2013 comporte quatre grandes innovations au profit de la représentation du personnel, de portée inégale mais selon une philosophie comparable.
La première innovation est de généraliser le mandat d’administrateur salarié avec voix délibérative dans « l’organe de l’entreprise qui définit (la) stratégie », pour les entreprises employant plus de 5000 salariés en France ou 10.000 dans le monde.
La deuxième innovation consacre le droit à une information homogène des DP, du CE, du CHSCT et des DS, avec la création d’une « base de données unique » regroupant les données existantes, qui constitue le « support de la préparation par l’employeur de la consultation des IRP sur les options stratégiques de l’entreprise et sur leurs conséquences ». La présentation de ces options stratégiques devra donc faire l’objet d’une consultation de la part de l’employeur, et les IRP pourront user de ce nouveau droit pour être assistées par un expert qui les aidera à analyser les informations mises à leur disposition.
La troisième innovation renforce les droits des représentants du personnel par la création d’une capacité à négocier tous les trois ans sur les grandes orientations du plan de formation de l’entreprise, dans le cadre de la négociation obligatoire sur la GPEC. Cette négociation triennale portera également sur les perspectives d’utilisation des différentes formes de contrat de travail, et surtout sur la mobilité interne, qui constitue un nouvel outil de gestion des parcours professionnels, assortie d’un nouveau droit à négocier pour les organisations syndicales.
La dernière des grandes innovations de l’ANI du 11 janvier 2013 est d’introduire la notion d’accord majoritaire, dans le cas où l’entreprise souhaite négocier un « accord de maintien dans l’emploi ». La notion de maintien dans l’emploi ouvre pour les entreprises en difficulté la possibilité de signer un accord arbitrant entre temps de travail, salaire et emploi « au bénéfice de l’emploi », d’une durée de deux ans. Alors que la mesure de la représentativité syndicale par les élections du personnel devra produire, en cette année 2013, les effets attendus de la loi du 20 août 2008 quant à la capacité des syndicats à négocier (seuil de 10% des suffrages), à signer des accords (seuil de 30% des suffrages) et à s’opposer à des accords signés (seuil de 50% des suffrages), l’ANI du 11 janvier 2013 va plus loin et consacre le principe d’un accord majoritaire sur le thème de l’emploi. La conclusion d’un accord de maintien dans l’emploi, ou d’un accord sur les procédures à mettre en œuvre dans le cadre d’un plan de licenciement économique, devront donc s’apprécier selon la règle majoritaire (les mesures de licenciement économique pourront aussi être réglées par une procédure d’homologation par la Dirrecte).
- Une conception réformiste du dialogue social -
Il reste au législateur à entériner par la loi la nouvelle conception du dialogue social qui sous-tend cet accord. Elle représente une occasion d’affirmer le primat du réformisme sur les logiques contestataires encore trop présentes dans les relations sociales à la française. La CGT ne s’y est pas trompée et s’oppose vigoureusement à l’accord, espérant sa réécriture, voire sa non-transcription par le législateur. Elle est rejointe dans cette démarche par FO, qui, refusant le changement, se démarque de sa propre tradition réformiste.
A l’inverse, des réformes introduites par l’ANI du 11 janvier 2013, comme celle sur la gouvernance des sociétés ou sur le droit à négocier le contenu du plan de formation, étaient des revendications anciennes de la CFTC. Il est paradoxal de constater qu’à l’heure où cette organisation syndicale est en risque majeur d’être effacée du paysage représentatif interprofessionnel par la logique d’une représentativité mesurée dans les urnes, l’ANI du 11 janvier 2013 (un des derniers, peut-être, où la CFTC usera de sa représentativité nationale) consacre le bien fondé de ses revendications les plus emblématiques.
Les signataires : CFDT, CFTC, CFE-CGC
Les non signataires : CGT, FO
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