{{Pour la troisième fois depuis le début de l'année, les organisations syndicales ont organisé d'importantes manifestations, partout en France, à l'occasion du Premier mai. L'unité syndicale fonctionne à plein. Mais pour aller où ? Et pour combien de temps ? Le syndicalisme apparaît fort parce qu'il est uni et non pas parce qu'il est construit. }}
Les défilés syndicaux du Premier mai 2009 ont été nombreux et très suivis. Les inévitables interrogations sur le nombre de manifestants (chiffres syndicaux ou chiffres de la police) débouchent sur une conclusion : bien plus qu’au Premier mai 2008 et presque aussi bien que le 29 janvier et le 19 mars de cette année, les 283 cortèges syndicaux organisés à travers tout le pays ont montré la capacité de mobilisation du mouvement syndical.
Ces défilés ont confirmé la confiance dont bénéficient les organisations syndicales en provenance de salariés déstabilisés par la crise économique mondiale et par ses répercussions sociales. Alors que le nombre de chômeurs grandit de façon très préoccupante (250 000 demandeurs d’emploi nouveaux au premier trimestre) et que le nombre du million de chômeurs supplémentaires constitue une prévision tristement réaliste pour la fin de l’année, les mouvements collectifs sont moins ceux de la révolte violente que ceux de l’inquiétude et du repli sur soi.
- Pas d’encouragement syndical à la violence -
Les quelques violences sociales qui défrayent la chronique (occupations d’usine, séquestrations de dirigeants, saccages de bâtiments publics, coupures de gaz et d’électricité, etc) ne sont pas encouragées par les leaders syndicaux, tout au moins au niveau national. Interrogé sur la position de son organisation au sujet des séquestrations de patrons, Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, précise : « Les salariés et leurs représentants ne sont pas idiots : ils essaient d’éviter les formes d’action qui pourraient desservir leur cause, les provocations ou ce qui peut déboucher sur des condamnations de militants syndicaux » (Libération, 30 avril 2009).
Cette position, partagée par les autres confédérations syndicales, n’est assurément pas appliquée partout. La discipline d’appareil s’est relâchée et, en 2009, les confédérations n’ont plus la même capacité que jadis à être écoutées par leurs fédérations, lesquelles éprouvent à leur tour des difficultés à encadrer les actions des équipes d’entreprise.
Comme chaque année, Lutte ouvrière organise un rassemblement militant pendant le week-end de la Pentecôte, dans son château de Presles (Val d’Oise). Le NPA, de son côté aussi, cherche à transformer l’inquiétude en révolte.
Cette « déminéralisation » de l’action syndicale favorise le jeu personnel de certaines structures (on l’a vu à la CGT chez les cheminots de la SNCF ou chez les chimistes de Continental) ainsi que les manœuvres de récupération par l’extrême gauche, NPA et Lutte ouvrière.
- Récupérations politiques -
La situation chez Continental dans l’Oise est à cet égard, éclairante. Les salariés du site de Clairoix avaient accordé leur confiance à la CFTC, majoritaire aux dernières élections d’entreprise, et avaient permis à son leader, Antonio Da Costa, de négocier le délicat accord de maintien de l’emploi en échange d’un effort significatif (passage des 35 heures aux 40 heures). La brutale annonce de fermeture du site a conduit à un débordement de la CFTC par une CGT jusqu’au-boutiste. Xavier Mathieu (CGT) conduit aujourd’hui les opérations (parmi lesquelles le saccage de la sous-préfecture de Compiègne), en compagnie de Roland Szpirko qui, quoique n’étant pas salarié de l’usine, se trouve au cœur du « comité de luttes ». Militant Lutte ouvrière aguerri et disposant dans sa carrière de nombreux autres faits d’armes (notamment en Seine Saint Denis), il est un meneur d’hommes habile et redoutable.
Antonio Da Costa, place Denfert Rochereau à Paris le 1er mai 2009
Interrogé par Le Courrier picard le jour du saccage de la sous-préfecture, il répond à la question suivante : « - Lundi, vous avez appelé les gars à ne plus être gentils. Ne les avez-vous pas un peu incités aux dérapages d’aujourd’hui ? Je ne suis meneur de rien. Je suis fier de mes gars, de leur grandeur. Le jour où on fera une séquestration - si on en fait une - ce ne sera pas du baby-sitting ! » (Le Courrier picard, 22 avril 2009).
- Recherche de concertation -
Ces violences, que les auteurs valorisent en jouant sur « l’effet-media », ne doivent pas faire oublier le vaste mouvement de recherche de solutions pacifiques que déploient les acteurs sociaux dans les entreprises et dans les territoires.
La réduction d’effectifs et la recherche de reclassements et de reconversions professionnelles nécessite, comme partout ailleurs en Europe, la concertation maximum, plus que la confrontation.
Les défilés du Premier mai exprimaient certes un refus. Les slogans anti-gouvernementaux étaient présents. La déclaration unitaire du 27 avril, précisant l’appel à défiler le 1er mai, reprenait bien le catalogue classique des revendications : pouvoir d’achat, emploi, relance par la consommation.
La réunion du 4 mai devait faire le bilan des manifestations et confirmer ces revendications.
Mais ces défilés ne portaient pas véritablement de propositions construites. Manifester contre le gouvernement, contre le patronat, contre la crise (sic) ne donne pas un poids véritable au mouvement syndical.
Celui-ci apparaît fort parce qu’il est uni, et non pas parce qu’il est construit. C’est là que se trouve, sur le terme, sa faiblesse.
- Le jeu du mikado -
Le discours affiché de l’unité syndicale apparaît comme un point de passage obligé pour conserver de la solidité à un ensemble syndical qui n’a jamais été aussi hétérogène qu’aujourd’hui. Un responsable de l’UNSA l’indique : « Chacun en réalité sait très bien que le premier qui quitte l’intersyndicale apparaîtra comme un briseur de l’unité d’action » (Libération, 30 avril 2009).
Il y a quelque temps, un autre dirigeant syndical nous déclarait : « Nous sommes dans la même situation qu’au moment des manifestations anti-CPE, il y a trois ans. C’est le jeu du mikado. Le premier qui bouge est disqualifié ».
Trois mois après la première grande manifestation du 29 janvier, les positionnements syndicaux restent divergents entre eux, depuis la recherche de négociations sectorielles ou de plans de relance industrielle jusqu’à la grève générale (souhaitée par SUD) en passant pars la grève de 24 heures (affichée par Force ouvrière).
Premier mai 2009, place de la Bastille à Paris. La manifestation c’est une émotion partagée, parfois aussi un moment de détente.
Les « euro-manifestations » constituent aussi un prolongement possible des trois précédentes mobilisations. Les 14, 15 et 16 mai, des défilés sont prévus à Madrid, Bruxelles, Prague et Berlin.
Loin de jouer sur cette fragilité interne au mouvement syndical, le gouvernement s’efforce de donner de la considération aux états-majors syndicaux et de leur donner un rôle suffisant dans la régulation des mouvements et la gestion des inquiétudes collectives. Un débordement des syndicats par des violences catégorielles ou par des appareils extrémistes présenterait un danger réel, aux débouchés politiques incertains.
L’unité syndicale n’est que de façade. Mais chacun trouve son compte à la considérer comme nécessaire.
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