Attirée jadis par les expériences du socialisme yougoslave, la CFDT s'est longtemps enflammée, avec Eugène Descamps et Edmond Maire, pour le projet autogestionnaire d'une « transformation radicale de la société ».
Le recentrage amorcé en 1979 s'est affirmé depuis une quinzaine d'années avec Jean Kaspar et Nicole Notat. Il débouche sur une question forte : autour de François Chérèque, quel peut être aujourd'hui le projet mobilisateur de la CFDT ?
Deux journalistes livrent aujourd'hui les résultats d'une enquête, précise et vivante à la fois, sur la CFDT et sur son positionnement syndical.
En dépit des premières réflexions lancées par la direction du syndicat, les militants, trois ans après le choc des retraites, doutent toujours. Loin d’être apaisée, l’organisation reste fragile, en attente de réponses, sur le qui-vive. Lorsque François Chérèque prend les rênes de la CFDT en 2002, les évènements s’enchaînent : élection présidentielle, changement de gouvernement, remise en cause des 35 heures, réforme des retraites... Le secrétaire général, pris dans le feu de l’action, s’appuie sur les préceptes du passé. Après tout, il a été élu pour assurer une continuité avec l’ère Notat. Mais après l’aval donné à la réforme des retraites, les militants sont profondément désorientés. Même parmi les plus convaincus, « certains ont fini par penser que la CFDT signait tout, à chaque fois », reconnaît François Chérèque. Il est temps de « redonner du sens » à l’action de l’organisation. L’avenir à court terme, pour la CFDT, consiste donc à rassurer et redynamiser ses troupes, découragées par les désaffections d’adhérents. L’urgence est aussi à redéfinir la place de la CFDT dans le paysage social, et sa fonction. La CFDT est-elle capable de produire et de porter un projet ambitieux ? Si elle veut compter et rester un syndicat de référence, elle doit nourrir une réflexion en panne depuis plusieurs années et clarifier sa ligne, retrouver confiance dans ses valeurs.
Les militants doutent
Les militants, en attente d’orientations précises, ne sont pas convaincus. Le doute à l’encontre de la direction s’est largement répandu dans l’organisation. François Chérèque reste trop dans le constat, jugent-ils. « Concrètement, on fait quoi ? », s’interrogent-ils en chœur. Le manque de débat se fait sentir sur le fond des propositions. Les militants sentent un décalage entre les combats menés par la tête du syndicat et les difficultés concrètes du terrain. (...)
Un « projet de société » ? Si certains se montrent si insistants sur ce point, c’est que François Chérèque repousse clairement cette perspective. Il l’écrit dans son livre, et c’est inscrit noir sur blanc dans le rapport du conseil national d’octobre 2004 : « Nous ne sommes plus en des temps où, pour exister dans un espace social encadré par la CGT et le PCF, nous avons dû emprunter la voie d’un projet de société. Cette démarche, qui a permis à la CFDT d’affirmer au fil du temps sa présence, n’est plus d’actualité à un moment où il s’agit pour nous de poursuivre et d’amplifier l’effort de resyndicalisation entrepris dans les années 1980 ». Dépolitisée, la CFDT a renoncé à proposer un projet global d’organisation sociale. C’est aux politiques qu’elle assigne désormais la mission de proposer un projet de société.
En tant que syndicat, la CFDT défendra un « projet de transformation sociale » lors de son congrès de Grenoble en juin 2006. Il faut « recréer l’espoir », reconnaît le secrétaire général adjoint, Jacky Bontems. (...)
Devenu le pivot d’une nouvelle réflexion sociale, le développement durable deviendra-t-il la nouvelle « utopie » de la CFDT ? « Nous avons le devoir de faire rêver un peu les militants », réclament en chœur les cadres du syndicat. Pour remobiliser les troupes, rien de tel aussi que quelques « utopies mobilisatrices ». La dernière en date, les 35 heures, a du plomb dans l’aile. Depuis, aucune revendication emblématique n’est venue fédérer les énergies. Le développement durable comporte certes le risque d’être regardé comme un horizon lointain par les salariés confrontés à la précarité dans leurs entreprises. Avec ce thème central, la CFDT affiche en tout cas, haut et fort, et sans ambiguïté, une acceptation pleine et entière du capitalisme.
L’autogestion : un projet dépassé
Les nostalgiques d’une CFDT portant un projet de société alternatif se fondent sur une période révolue : celle des débuts de la CFDT qui, tout jeune syndicat, défendait alors l’autogestion. Aujourd’hui, l’ambition de Chérèque est tout autre. Le capitalisme devient une donnée intégrée et assumée. (...)
A cette époque, la CFDT pense et produit beaucoup d’idées, forte de sa jeunesse et de son ambition : incarner une alternative au capitalisme. Elle prône alors le socialisme autogestionnaire, qui fut pendant un temps une proposition d’organisation sociale et politique. Prônée au congrès de la CFDT de 1970, l’autogestion prend sa source dans les entreprises. En 1973, les ouvriers de l’entreprise Lip mettent la théorie en pratique. (...)
L’autogestion devait organiser la société au-delà de la sphère du travail, et revendiquait une démocratie nettement plus participative, avec un rôle important des corps intermédiaires. Aujourd’hui, il en reste beaucoup de droits acquis par les salariés, notamment les comités d’entreprise et un élan de démocratisation. Mais l’utopie social a bel et bien été abandonnée : la CFDT a officiellement renoncé au socialisme autogestionnaire en 1988 à l’occasion du congrès de Strasbourg, qui a vu le départ d’Edmond Maire de la tête du syndicat.
La CFDT s’accommode donc du capitalisme, d’autant plus clairement que les opposants internes ne sont plus là pour faire entendre une autre voix. (...)
Un syndicat populaire
Dans le doute qui s’est emparé des militants, un des dangers pour l’organisation est de reconduire un homme par manque de choix, et non par adhésion à un projet ambitieux, débattu et clairement accepté. La combativité des syndiqués n’en ressortirait pas grandie, et la CFDT ne parviendrait pas à mettre fin aux interrogations et aux flottements. Aujourd’hui pourtant, elle a les mains libres pour affirmer une ligne qu’elle revendique depuis si longtemps (...).
Depuis les années 1970 déjà, la CFDT s’est progressivement placée au cœur du dialogue social, revendiquant sa capacité à dialoguer avec le patronat et l’Etat. Cette position d’interlocuteur privilégié n’a pas toujours été comprise. Combattue par ses concurrents syndicaux, FO et la CGT en tête, elle a connu quelques défaillances. L’Etat se retirant de plus en plus de la sphère économique, il néglige au passage de renforcer le dialogue social en le codifiant. Le patronat, de son côté, s’est progressivement transformé en un lobby agissant sur le pouvoir politique pour obtenir la satisfaction de ses revendications. La négociation avec les syndicats en a souffert. Et le relatif échec de la Refondation sociale, entre 2000 et 2002, l’illustrera parfaitement. (...)
Besoin de clarification
Au-delà du seul sort de la CFDT, une ligne et un réformisme clairement assumés, qui trouvent les moyens de se réaliser, permettraient à l’ensemble du paysage syndical français d’évoluer. Cette clarification à la CFDT donnerait des repères à l’autre grande centrale qu’est la CGT, afin qu’elle opère sa propre évolution, à sa façon, vers une modernisation qui ne soit pas en rupture avec son histoire et toute une partie de ses militants. Une clarification donnerait aussi une stabilité nécessaire à de grandes confédérations syndicales en pleine crise d’identité. Depuis la fin des années 1980, d’ailleurs, les petites organisations plus radicales se sont multipliées, augmentant l’éclatement d’un paysage syndical pourtant peu représentatif. Avec elles, les revendications catégorielles et professionnelles se sont développées, mettant à mal les positions interprofessionnelles des grandes centrales.
Copyrights : Hachette Littératures, 2006
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