Autrefois hostile à l'Europe et absente de la Confédération européenne des syndicats (CES), la CGT a opéré en moins de dix ans un remarquable investissement militant pour occuper aujourd'hui une place de premier rang sur l'échiquier syndical européen.
Lorsque, à son congrès de décembre 1995, la CGT se décide - non sans des réticences internes - à quitter la Fédération syndicale mondiale (FSM) à laquelle elle était rattachée, la chute du mur de Berlin (9 novembre 1989) et la fin de l’Union soviétique (25 décembre 1991) sont encore des événements récents.
Objectif de cette désaffiliation : quitter une FSM devenue sans avenir depuis l’effondrement du communisme soviétique (la FSM avait été créée pour contrôler les syndicats est-européens et ouest-européens sous influence communiste) et tenter d’intégrer la Confédération européenne des syndicats (CES). Celle-ci, créée en 1973, regroupe la quasi-totalité des syndicats des pays libres d’Europe. Pour la France, en sont membres Force ouvrière, la CFDT et la CFTC.
En 1996, la CGT formule une demande d’adhésion à la CES. Même si, dans le passé, des demandes avaient déjà été formulées en ce sens, celle-ci s’appuie sur l’espoir d’une réponse positive. N’étant plus membre de la FSM, organisation ouvertement anti-européenne, la CGT espère que l’argument mis en avant pour refuser son entrée à la CES ne sera pas repris.
Il n’en est rien. Le comité de direction de la CES du 21 novembre 1996 rejette la demande, à l’invitation (notamment) de Nicole Notat (CFDT) qui parlait aussi au nom de Force ouvrière.
Ce n’est que partie remise.
Le 19 mars 1999, quelques jours seulement après l’arrivée de Bernard Thibault au secrétariat général de la CGT, le comité exécutif de la CES décide de proposer l’entrée de la CGT dans ses rangs. Le congrès de la CES (28 juin au 2 juillet 1999) confirme la décision, Force ouvrière votant contre. Dans « Le Peuple », organe officiel de la CGT, Joël Decaillon écrit dès le 31 mars 1999 sa satisfaction : « Beaucoup de “pain sur la planche” nous attend mais aussi beaucoup de possibilités pour une démarche unitaire au niveau français et européen afin d’agir par les revendications et les aspirations des salariés, des privés d’emploi, des retraités ». Il poursuit : « Une nouvelle partie s’engage. Rien n’est gagné, loin s’en faut. Mais nous y participerons avec volonté et conviction ».
Depuis 1999, le chemin parcouru est impressionnant, que marquent quelques dates : 6 décembre 2000 : première grande « euro-manifestation » à Nice (60 000 à 80 000 manifestants). La CGT, grande organisatrice du défilé, montre à ses nouveaux partenaires syndicaux européens sa capacité d’organisation militante et son engagement dans une démarche de coopération inter-syndicale en Europe.
26 au 29 mai 2003 : au Xème congrès de la CES à Prague, le comité de direction est renouvelé, ainsi que le secrétariat. Celui-ci gère les activités de la CES au quotidien, dont il est le vrai gouvernement. Sur les 7 membres du secrétariat, on compte désormais un militant CGT, Joël Decaillon, qui remplace un militant CFDT.
Janvier-février 2005 : la Commission exécutive de la CGT envisage, à l’instigation de Bernard Thibault, de ne pas donner de consigne de vote pour le référendum à venir sur la Constitution européenne. Cette proposition est une nouveauté. En 1992, la CGT avait appelé à s’opposer à Maastricht. Mais le Comité confédéral national, véritable organe du pouvoir au sein de la CGT, oblige Bernard Thibault et son équipe à faire marche arrière et à appeler à voter contre le projet de constitution.
Avril 2006 : au 48ème congrès de la CGT, l’ancrage européen est affirmé. La présence, parmi les invités internationaux, de militants syndicaux comme Guy Ryder (secrétaire général de la CISL) ou John Monks (secrétaire général de la CES) ainsi que celle des dirigeants de syndicats tels le DGB allemand, le TUC britannique ou l’AFL-CIO américain illustrent les progrès accomplis.
Novembre 2006 : le rapprochement de la CISL et de la CMT et la création d’une nouvelle internationale syndicale mondiale, la Confédération syndicale internationale (CSI), permet à la CGT de siéger à nouveau dans une organisation syndicale mondiale. Elle y occupe une place de choix.
La CFDT se trouve aujourd’hui sérieusement concurrencée par la CGT dans sa capacité à représenter le syndicalisme français aux yeux de ses partenaires internationaux. Force ouvrière, jadis pro-européenne, fait aujourd’hui du « sur-place ».
Joël DECAILLON, le Monsieur Europe de la CGT
L’ancrage de la CGT dans le dispositif syndical européen doit beaucoup au travail des militants investis depuis vingt ans dans le collectif de travail « Europe » créé en 1987 au sein du Secteur international d’une CGT alors sous contrôle étroit du Parti communiste français et de la Fédération syndicale mondiale, la FSM (dirigée par les Soviétiques).
Ce collectif a beaucoup évolué depuis. En 1991, un de ses membres, Joël Decaillon, est devenu responsable de l’Espace Europe International de la CGT. C’est à lui que la CGT doit, en grand
e partie, d’avoir réussi son examen d’entrée dans le syndicalisme européen.
Né en 1949, cheminot comme Bernard Thibault dont il est proche, Joël Decaillon a été membre de la Commission exécutive de la CGT de 1992 à 2006. Il est surtout, depuis 1999, membre du Comité exécutif de la Confédération européenne des syndicats et, depuis 2003 (renouvelé en 2007) un des sept membres du Secrétariat de la CES.
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