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La CGT et l'Europe : un début d' "autocritique" à la CGT

Radicalement hostile à la construction européenne, la CGT est aujourd'hui en train d'opérer un virage impressionnant.


Sil’autocritiquefait partie de la culture des dirigeants communistes, on peut s’étonner qu’ils s’y soient livrés si peu jusqu’à présent à la tête de la CGT.


Aussi lit-on avec autant d’intérêt que d’heureuse surprise l’étude que Jean-Marie Pernot, chercheur en sciences politiques à l’IRES, a donnée aux Cahiers d’Histoire sociale (n°80, décembre 2001), l’organe de l’Institut CGT d’Histoire sociale. Il y met en perspective, comme il dit, les positions de la CGT à l’égard de l’Europe. Il le fait avec prudence, sans chercher vraiment à mettre en lumière les raisons profondes de la politique confédérale (la subordination de la confédération au parti communiste et du parti à l’URSS), sans énoncer non plus quelques jugements (il est historien) ou du moins quelques commentaires. Mais il énonce les faits, qu’il est utile de remettre en mémoire.


Jean-Marie Pernot distingue quatre périodes dans l’action de la CGT vis-à-vis de l’Europe, et peut-être pourrait-on chicaner sur tel ou tel point de cette périodisation, mais elle est acceptable dans son ensemble.


1947 à 1965 : condamnation sans nuance de la Communauté européenne


La première période va de 1947 à 1965 : les débuts de l’organisation de l’Europe occidentale sont considérés par la CGT" comme une machination agressive contre l’URSS : le plan Marshall, la Communauté européenne du charbon et de l’acier, la Communauté européenne de défense, considérés comme autant de préparatifs de guerre et témoignant de la vassalisation des Européens à l’égard des Etats-Unis ".


Or, les communistes ne furent pas les seuls à renâcler alors et notamment à faire échouer la Communauté européenne de défense, mais comment ne pas voir aujourd’hui - ce qui était d’ailleurs visible alors - qu’en refusant de doter l’Europe (il s’agissait de celle des six) d’une armée commune, on la privait des moyens de faire entendre sa voix dans le concert mondial et de ne pas attendre l’assentiment américain pour tenter le moindre geste.


En vérité, la CGT refusait l’Europe pour deux raisons : d’abord parce que l’Union soviétique n’avait pas encore renoncé à envoyer ses armées à l’aide ou au secours (internationalisme prolétarien oblige) des partis frères qui se seraient engagés dans la conquête du pouvoir dans leur pays - et cette intervention serait d’autant plus facile que le pays serait plus isolé ; ensuite parce que l’idée européenne était le seul idéal, le seul mythe mobilisateur qui pût disputer la maîtrise des foules à l’idéologie communiste, alors au plein de sa force.


Avec raison, l’auteur note que la déstalinisation ne changea rien dans l’attitude de la CGT (et du PCF) : l’un et l’autre déclenchèrent alors une campagne d’une violence soutenue contre le marché commun, avec cette nouveauté (partielle) que l’argument économique prit le pas sur l’argument militaire : le marché commun était le triomphe des monopoles.


1965 à 1979 : tentative d’entrer dans le dispositif


De 1965 à 1979, seconde période. La Communauté européenne existe, et ce n’est pas du dehors qu’on la combattra efficacement. Il faut entrer dans ses institutions pour les" démocratiser "- et mai 1968, la rencontre de Grenelle permettant à la CGT de s’y faire accorder quelques postes - en même temps que la politique d’union de la gauche - le programme commun est de 1972 - conduit la CGT (notamment pour se crédibiliser aux yeux de ses partenaires) à demander son admission dans la Confédération européenne des syndicats, qui, toujours sur ses gardes (grâce notamment à l’ascendant de Bergeron, un ascendant que la CGT-FO a aujourd’hui perdu) met à l’adhésion de la CGT à la centrale européenne des conditions qu’elle ne pouvait pas alors accepter, notamment sa désaffiliation de la FSM.


Selon notre auteur, le Congrès de Grenoble en novembre-décembre 1978 fut à la fois le sommet et le terme de cette politique d’ouverture - un Congrès qui, soit dit en passant, mériterait une étude approfondie. Elle prit fin avec le renvoi de Séguy (c’est nous, non Pernot, qui parlons de la sortie) et son remplacement aussi peu démocratique que possible par Henri Krasucki.


1979 - 1992 : nouveau rejet


L’Europe fait les frais de ce retour à une espèce de néo-stalinisme. Alors commence la troisième période qui dure jusqu’en 1992. L’Allemagne est prise pour cible. Elle est responsable de la crise de la sidérurgie et c’est par son entremise que les Américains exercent leur tutelle sur la CEE. On essaie le slogan :" Produisons français ", et les travailleurs de France sont invités à se solidariser avec" les autres pays d’Europe ".


"En 1984, la CGT réaffirme son hostilité à l’adhésion de l’Espagne et du Portugal à la CEE, se coupant ainsi de son homologue, les Commissions ouvrières, favorables à l’adhésion. La façon dont la confédération " salue " en 1987 le trentième anniversaire du Traité de Rome atteste de ce durcissement. Y domine le catastrophisme des années 50, au point de voir refleurir le thème de la paupérisation absolue de la classe ouvrière. Les demandes d’adhésion à la CES ne sont pas alors destinées à aboutir mais à montrer, par le refus qu’elles engendrent, la vraie nature anti-unitaire du réformisme".


Tactique constante des communistes qui ne veulent pas de l’unité mais qui en parlent plus fort que les autres, pour faire passer ceux-ci comme les ennemis de l’unité, alors qu’eux-mêmes n’acceptent jamais les conditions qui rendraient cette unité possible.


Depuis 1992 : la CGT s’affranchit-elle de ses vieux démons ?


La chute du mur de Berlin, l’effondrement de l’Union soviétique inaugurent la période actuelle. La CGT quitte la FSM en 1995 (il lui a fallu tout ce temps), ce qui fait disparaître le principal obstacle à son entrée dans la Confédération européenne des syndicats, qui sera effective en 1999.


Dans quel esprit ? Jean-Marie Pernot suggère que cette entrée" ne signifie pas adhésion au contenu de l’Union, mais intégration à l’espace politique où elle se construit ".


Autrement dit, la CGT, comme dans la seconde période, estime qu’il vaut mieux être à l’intérieur de la CES et des institutions européennes qu’à l’extérieur pour mener sur elles une action efficace : rien ne dit encore que cette action visera à renforcer les institutions européennes et l’Europe elle-même ou au contraire à mettre des entraves à leur développement.


Avec une discrétion qui s’explique (sans se justifier) par la nature de la publication qui accueillait son étude, Pernot se borne à suggérer les véritables raisons du comportement de la CGT à l’égard de l’Europe : elle n’était pas libre de ses opinions et de ses actes. Elle devait suivre, elle était ficelée de telle sorte au parti communiste qu’elle ne pouvait pas ne pas suivre ses directives, et le parti communiste était de son côté étroitement dépendant du parti communiste de l’Union soviétique, autrement dit du pouvoir installé au Kremlin.


La CGT ne s’est pas affranchie elle-même de cette double tutelle - et ce n’est pas à son honneur. Mais les évènements, dans lesquels elle ne fut pour rien, l’ont libérée. Moscou ne commande plus, et le parti communiste français, à bout de souffle, ne sait plus trop où il va, où il pourrait faire aller la CGT. Celle-ci, aujourd’hui, pourrait donc voguer librement et, si elle persévère encore trop dans son être antérieur, en vertu de la vitesse acquise et du fait aussi de la présence en ses rangs de vieux crocodiles qui versent des larmes sincères sur le stalinisme de leurs premières années militantes, peut-être aussi de crocodiles moins jeunes, des articles comme celui de Jean-Marie Pernot, tout réservé qu’il soit sur les responsabilités et sur les conséquences, laissent espérer que la CGT sortira quelque jour d’un esclavage idéologique qu’elle est seule aujourd’hui à s’imposer.



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