Le 4 décembre 2014, plus de cinq millions de fonctionnaires sont appelés à voter. Ce sera une première en France, un grand test de représentativité syndicale. Par-delà les enjeux électoraux, d’autres questions se posent, sur la fonction publique elle-même : sa place dans l’économie et la société, sa taille, son coût, sa performance. Plus que jamais, la fonction publique est en débat.
Les grandes confédérations et fédérations syndicales sont depuis plusieurs mois, sur le pied de guerre. Pour réussir l’échéance du 4 décembre 2014, les militants sont mobilisés : tractages, rassemblements, tournées militantes, meetings, prises de parole dans les médias, contacts personnalisés, mouvements de grèves même.
Quelque 5,3 millions de fonctionnaires vont donc élire leurs représentants dans les Comités techniques. C’est une première en France, celle où le scrutin se déroulera le même jour pour l’ensemble des trois branches de la fonction publique : Etat, hospitalière, territoriale.
Pour certains électeurs, le vote a déjà été lancé. Ainsi, à l’Education nationale (1,2 million de fonctionnaires), le vote électronique se sera déroulé entre le 29 novembre et le 4 décembre. Les agents publics de La Poste votent entre le 1er et le 4 décembre. Ceux qui votent par correspondance ont pu s’exprimer dès le 20 novembre, leur bulletin de vote devant arriver - et non pas partir - le 4 décembre. L’enjeu électoral est double : quel sera le niveau de participation ? quel score obtiendra chaque grande organisation syndicale ?
- Un test de représentativité -
Concernant la participation, la tendance est historiquement à la baisse : près de 90 % dans les années 1950, 80 % dans les années 1980, 70 % dans la décennie 2000, moins de 60 % depuis 2010.
Cette année, le scrutin est perçu comme important pour la fonction publique elle-même et pour la représentativité syndicale. Les fonctionnaires français se rendront-ils pour autant davantage aux urnes ? Les organisations syndicales auront fait le maximum pour cela.
Pour elles, l’enjeu de représentativité est grand. Le scrutin a déjà produit un effet de regroupement des petites organisations vers les grandes, en constituant des listes communes qui permettent aux petites organisations de ne pas disparaitre complétement.
Si dans les territoires et les hôpitaux, la CGT est bien implantée et occupe la première place (1 électeur sur 3 vote CGT), il n’en est pas de même dans la fonction publique de l’Etat, où les scores sont plus resserrés, la première place étant occupée depuis 2011 par Force ouvrière (16,6 %), devant la CGT et la FSU (15,8 % chacune).
Au total, pour l’ensemble des fonctionnaires, la CGT occupe à ce jour la première place : 25,4 %. La CFDT (19,1 %) et Force ouvrière (18,1 %) sont assez proches l’une de l’autre. La CGT, dont l’image générale est un peu brouillée depuis deux ans (la succession difficile de Bernard Thibault n’a pas débouché sur l’installation d’un secrétaire général incontesté) et dont les résultats électoraux récents sont à la baisse dans quelques-uns de ses bastions traditionnels (EDF, SNCF, Orange), conservera t’elle la confiance d’un fonctionnaire sur quatre ? Quels progrès peuvent espérer Force ouvrière et la CFDT ? Laquelle des deux devancera l’autre ?
Ces résultats, joints aux résultats déjà connus de l’audience syndicale dans le secteur privé, permettront de disposer d’une mesure complète de l’audience syndicale en France, auprès de l’ensemble des travailleurs salariés et fonctionnaires.
Au lendemain du scrutin, la carte syndicale sera donc actualisée. Elle permettra, par-delà l’audience, de connaître le positionnement des fonctionnaires et de leurs représentants face aux questions importantes qui se posent à la fonction publique en France. Ces questions sont nombreuses.
- 20 % de l’emploi total en France -
Les premières, de nature financière, touchent à la taille, à l’importance, au coût de la fonction publique. Les effectifs de fonctionnaires ont augmenté de façon continue depuis plusieurs décennies. La fonction publique occupait un actif salarié sur 10 il y a soixante ans ; elle en occupe aujourd’hui 1 sur 5.
Cette augmentation des effectifs ne s’est pas faite de la même façon dans les trois branches. Le poids relatif de la fonction publique de l’Etat s’est réduit, à l’avantage de la fonction publique hospitalière (1 fonctionnaire sur 5 désormais, contre 1 sur 10 en 1969) et surtout de la fonction publique territoriale (1 fonctionnaire sur 3 aujourd’hui soit une fois et demie la proportion constatée en 1969).
Le nombre élevé de fonctionnaires en France (pas loin de deux fois la moyenne des pays de l’OCDE) pose une autre question, celle de la place respective du secteur privé et du secteur public dans l’organisation de notre économie et de notre société. Les uns marquent leur attachement à une fonction publique garante de services pour tous. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force-ouvrière, indique haut et fort « la nécessité d’un service public égalitaire et républicain ». Les autres plaident pour un recentrage des missions de la fonction publique et sur la prise en charge de nombreuses missions actuelles par le secteur privé ou en partenariat avec lui.
Dans la belle étude que vient de publier Luc Rouban, à qui nous avons emprunté le titre de cet article, on peut lire : « Cette remise en cause n’est pas seulement de nature économique (...). Le « trop de fonctionnaires », c’est aussi le « trop d’Etat ». La critique et la dénonciation des fonctionnaires, très présentes dans toute l’histoire politique de la France, ravivent des fractures partisanes opposant la société civile à l’Etat » (« La fonction publique en débat », La Documentation française, 2014, 178 pages, 14,80 €).
Le grand et nécessaire débat de l’économie de marché confronté à l’économie administrée n’est pas clos.
- Moderniser, rendre efficace -
Quelle que soit l’issue de ce débat, la fonction publique française est confrontée à une série d’autres questions, liées à sa modernisation, à son adaptation, à sa performance, à son efficacité.
Les réformes budgétaires sur les moyens du service public n’ont de signification que rapportées aux réformes sur les missions elles-mêmes. Des actions ont été entreprises, qui touchent à l’armée, à la justice notamment. Mais d’autres secteurs de la fonction publique attendent encore leur modernisation. On pense notamment à l’Education nationale. L’évaluation des politiques publiques reste à poursuivre. L’articulation entre Etat et territoires est pour l’heure davantage celle de l’empilage et de la redondance que celle de la complémentarité.
La gestion des personnels reste très en deçà des besoins d’un pays moderne. Le passage du corps au métier reste à faire et cette situation bloque toute logique managériale de l’emploi. Si le nombre des corps des administrations de l’Etat doit passer de 700 en 2005 à environ 230 en 2017, l’esprit de corps reste très vivace, encouragé par un syndicalisme catégoriel qui affirme âprement son esprit de conservation. La revalorisation des métiers, l’évaluation des performances, les politiques de rémunération, la gestion des effectifs et des carrières : autant de pratiques encore mal déployées dans la fonction publique.
Protecteur, le statut des fonctionnaires est en voie de devenir facteur d’immobilisme. Ce statut, installé en 1946 et rénové depuis (1959, 1983, 1984, 1986, 2007), n’évolue que très lentement vers une gestion dynamique de la fonction publique et de ses agents.
Le besoin d’une fonction publique modernisée nécessite encore de vastes réformes, auxquelles les organisations syndicales de fonctionnaires seront inévitablement associées. Le souci de conserver un statut pour les agents de la fonction publique n’exempte pas, dans l’intérêt même des intéressés et du pays tout entier, de moderniser, de simplifier, de rendre performant l’ensemble du système.
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