Quelle pourrait être l'action du gouvernement pour les mois à venir ? Quelles pourraient en être les conséquences pour les entreprises et pour les relations sociales ?
1- La situation politique et économique
1) La côte du Premier ministre vient de chuter brutalement dans l’opinion comme l’attestent tous les sondages. Jusqu’ici M. Jospin pouvait se féliciter d’un double record par rapport à ses prédecesseurs : un pourcentage de bonnes opinions très élevé et une popularité qui se maintenait intacte après trois ans de gouvernement, comme si elle était à l’abri de ce phénomène quasi mécanique de l’usure du temps. Et la chute aujourd’hui bat à son tour des records par sa brutalité et sa rapidité ; plus forte qu’Edith Cresson dit-on.
2) Au fil du temps, nombre de " poids lourds " sont partis du gouvernement : Dominique Strauss-Kahn, Claude Allègre, Jean-Pierre Chevènement, bientôt Martine Aubry.
3) Le gouvernement est pratiquement au deux tiers de la législature, et compte tenu du calendrier institutionnel, les fenêtres de tir pour opérer de grandes réformes sont désormais réduites. Pour mémoire, les échéances importantes vont être les suivantes :
élections municipales en mars 2001 ;
élections cantonales en mars 2001 ;
élections législatives en avril 2002 ;
élection présidentielle en mai 2002.
4) Plusieurs projets importants sont engagés par le gouvernement et le parlement, qui n’ont pas encore abouti : l’épargne salariale, la loi fourre-tout dite de modernisation sociale, les 35 heures dans les PME, la réforme de l’assurance maladie, etc...
5) Les données économiques sont bonnes, même si quelques signaux d’alerte font craindre un ralentissement de la croissance (hausse des prix des carburants, dépréciation excessive de l’Euro, risque d’inflation, turbulences de la balance du commerce extérieur, difficulté de certaines professions à trouver de la main-d’œuvre) - le paradoxe français du chômage élevé et de la main-d’œuvre rare - :
la reprise économique est là ;
la croissance devrait demeurer forte l’année prochaine, mais peut-être moins forte que cette année ;
les créations d’emplois augmentent ;
le chômage continue à diminuer malgré un petit accident de parcours en juillet.
6) Revigorée par les bons résultats économiques du pays et aussi par la chute de Lionel Jospin dans les sondages, la gauche plurielle au gouvernement s’agite de nouveau et resserre son étreinte à l’égard du premier ministre, redevenant plus pressante dans ses exigences parfois contradictoires (sur le problème du prix du carburant, les communistes et les verts ont des positions radicalement contraires).
7) Plus que jamais, une partie non-négligeable de l’opinion semble considérer qu’un bon gouvernement est celui qui s’occupe de tout et qui fait sans cesse des changements, autrement dit des lois dans un domaine ou dans un autre. Comment dans ce contexte, le premier ministre peut-il tenter de reprendre la main et de se sortir de l’ornière ? A l’évidence, il lui faut pour cela se demander pourquoi ça marchait si bien jusqu’ici et pourquoi la chute ?
2- Pourquoi Lionel Jospin a-t’il conservé jusqu’à ce jour un niveau aussi élevé d’opinions favorables ?
1) L’expérience récente des gouvernements qui se sont succédés à la tête du pays montre qu’il y a deux façons pour un Premier ministre de perdre la faveur du public :
trop en faire et additionner contre soi les mécontentements corporatistes ;
ne rien faire, au risque de passer pour inefficace ou incapable.
2) Autrement dit, avec l’objectif probable de devenir Président de la République, et instruit par les déboires de son prédécesseur Alain Juppé, M. Jospin avait finement abordé son action au gouvernement avec la stratégie suivante :
jouer sur la durée ;
conserver un équilibre permanent entre différentes volontés et corporatismes, équilibre dont il apparaîssait comme le gardien et le garant.
3) Jouer sur la durée impliquait trois éléments :
adopter des réformes qui se réalisent progressivement, par étapes successives ;
ne jamais engager en même temps plusieurs réformes susceptibles de susciter d’additionner des mécontentements corporatistes ;
continuer, par une communication adaptée, à convaincre l’opinion qu’on devra juger de son action plus tard, lorsqu’elle sera parvenue à son terme.
4) Gouverner sur une position d’équilibre signifie pour M. Jospin d’arbitrer en permanence entre de multiples sollicitations opposées, par exemple :
entre une politique économique libérale et mondialiste exigée par les critères de Maastricht ou le traité d’Amsterdam et une politique sociale de type socialiste et protectrice des spécificités françaises réclamée par ses électeurs et quelques tendances fortes du Parti socialiste ;
entre les impératifs de Laurent Fabius et les exigences de Mme Aubry ou de son successeur ;
entre les objectifs opposés des différentes composantes de la gauche plurielle : communistes, verts, socialistes, et mouvement des citoyens ;
entre les couleuvres que peuvent avaler les ministres verts et communistes ou gouvernements et la nécessité de ne pas les décrédibiliser auprès de leur propres partis demandeurs de mesures plus radicales.
5) Pour assurer ces équilibres, le Premier ministre disposait jusqu’ici d’atouts non-négligeables :
Les verts ont réalisé un bon score aux élections européennes, mais avec six sièges seulement au Parlement national, ils ne peuvent pas faire tomber le gouvernement en empêchant une majorité à l’Assemblée nationale,
les communistes pourraient empêcher la constitution d’une majorité à l’Assemblée autour des projets de loi du gouvernement, mais leur mauvais score aux élections européennes devrait les empêcher de prendre le risque de faire tomber le gouvernement,
les verts comme les communistes ont désespérément besoin d’un accord électoral avec les socialistes pour assurer des succès minimaux aux élections municipales et cantonales de 2001,
la droite politique et parlementaire est maintenant à terre, inexistante, divisée et en panne d’idées.
6) Un dernier point : dans la perspective d’une candidature à l’élection présidentielle, et du deuxième tour de cette élection, M. Jospin sait qu’il doit gouverner de manière à gagner les 3% ou 4% d’un électorat centriste fluctuant, sachant que la gauche râle contre les dérives centristes du candidat socialiste, mais se montre malgré tout disciplinée dans les scrutins opposant un candidat de droite et un candidat de gauche. Ce souci n’est sans doute pas totalement étranger à certains infléchissements actuels de la politique du gouvernement en direction des classes moyennes comme les baisses d’impôts en direction des ménages, prévues de 2001 à 2003.
3- Pourquoi la chute brutale de popularité du premier ministre ?
Il semble qu’on puisse l’attribuer pour l’essentiel à 3 causes :
la question Corse et le départ de M.Chevènement ; - le prix de l’essence ;
l’aspiration à un meilleur partage des fruits de la croissance.
1) La gestion de la question Corse représente un faux pas dans la gestion de l’équilibre,et montre que le gouvernement par le coup de pouce donné à chaud à chaque corporatisme qui bouge présente deux risques :
celui de mécontenter le reste de l’opinion ;
donner l’impression que désormais pour se faire entendre et obtenir satisfaction, il faut et il suffit d’exercer une certaine violence.
2) la hausse du prix des carburants. Devenue insupportable, l’augmentation du prix de l’essence révèle brusquement la part énorme des taxes. Et le gouvernement parait y répondre par des mesures ridicules et offensantes comme la suppression de la vignette, ou de manière insuffisante (TIPP flottante),
3) Face à l’aspiration forte de profiter des fruits de la croissance, le gouvernement est jugé coupable :
d’avoir imposé la modération salariale avec les 35 heures ;
de proposer un plan de baisse des impôts qui est perçu comme un saupoudrage de mesures peu lisibles plutôt qu’une réduction franche et clairement perceptible.
4- Alors, comment dans ce contexte, le premier ministre peut-il tenter de reprendre la main et de se sortir de l’ornière ?
1) Rectifier au plus vite le tir pour tout ce qui apparaît comme un faux pas dans la gestion de l’équilibre :
ainsi, les récentes déclarations de M. Jospin sur la Corse sont-elles plus modérées et moins en faveur des tendances indépendantistes ;
de nouvelles mesures sont annoncées pour tenter de contrer la première impression laissée par la gestion de la hausse des carburants (moins 25 centimes au premier octobre et l’annonce d’un plan d’économies d’énergies pour calmer les Verts) ;
de nouvelles mesures sont également annoncées dans le sens du partage des fruits de la croissance (hausse de 2,2% des pensions de vieillesse et quelque chose à définir pour les minima sociaux). Mais l’exercice a ses limites : le budget connaît toujours un déficit, les dépenses de l’assurance maladie continuent à galoper, etc...
2) S’appuyer plus que jamais sur la durée en évitant désormais les sujets qui fâchent et en faisant le gros dos. On peut faire l’hypothèse qu’aucune grande réforme autre que celles déjà annoncées ou engagées - et certaines sont suffisamment porteuses de risque - n’interviendra avant la fin de la législature. Oubliée la deuxième étape ; on fera profil bas. Ainsi, le dossier des retraites a-t’il été programmé pour ressortir seulement lorsque le Conseil d’orientation des retraites aura rendu son premier rapport bisannuel... après les élections de 2002.
5- Quelles conséquences pour les entreprises et les relations sociales ?
1) En succédant à Martine Aubry au ministère de de l’emploi, Elisabeth Guigou devrait s’attacher davantage à calmer le jeu avec les partenaires sociaux qu’à ouvrir de nouveaux fronts. Les priorités pourraient être de sortir du bourbier de l’assurance-chômage et de restaurer les relations avec la CFDT et le Medef. C’est du reste, le jour même de sa prise de fonctions le 19 octobre, le sens de la déclaration de Mme Guigou au micro d’Europe1 : " J’ai une méthode de travail : j’écoute beaucoup. Je pratique énormément la concertation (...). Je vais d’abord écouter avant de parler ".
2) La montée des revendications salariales dans l’entreprise ne sera vraisemblablement pas découragée par le gouvernement. Toute amélioration des salaire le soulagera de la demande d’un meilleur partage de la croissance. Et dans le contexte actuel, il ne sera pas fâché de voir se détourner les coups vers d’autres cibles et se relâcher la pression qu’exercent sur lui au sein de la majorité plurielle les communistes, la gauche socialiste, etc...
3) Parmi les projets en cours, auront des conséquences pour les entreprises : - le projet relatif au travail précaire (printemps 2001, à moins que les partenaires sociaux n’aient pris des mesures) ; - la loi fourre-tout dite de modernisation sociale (pourrait contenir des mesures sur les licenciements et le travail précaire).
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