L'Union syndicale Solidaires tenait son 5ème congrès national à Villefranche-sur-Saône (Rhône) du 6 au 10 juin dernier. Le syndicalisme de contestation que cette Union incarne peut-il se développer, alors que la CFDT a depuis longtemps évolué vers le réformisme et que la CGT se trouve partagée sur la ligne à tenir ? Ou bien va-t-il s'essouffler ?
Ambiance confiante au 5ème congrès national de l’Union syndicale Solidaires : les 350 délégués réunis à Villefranche-sur-Saône du 6 au 10 juin (du 7 au 9 juin, en fait, pour tenir compte du temps réellement consacré au congrès) ont pu repartir avec le sentiment partagé d’avoir consolidé leurs certitudes et leurs convictions d’un syndicalisme de rupture et de contestation.
Créée en 1998, l’Union syndicale Solidaires est l’héritière de l’Union syndicale - Groupe des dix (qu’avaient créé en 1981 dix syndicats autonomes) et des différents syndicats SUD (Solidaires - Unitaires - Démocratiques) constitués à partir de 1988 par des militants exclus ou déçus de la CFDT et que sont venus rejoindre des militants CGT dans la décennie 2000.
En treize années d’existence, l’Union syndicale Solidaires s’est affirmée dans le paysage syndical français. Deux grandes caractéristiques la distinguent des autres forces syndicales : son radicalisme militant, son action structurée en Union et non pas en confédération.
Radicalisme militant
Son radicalisme militant tout d’abord. L’évolution de la CFDT vers le réformisme, amorcée à son congrès de Brest en 1979, a été lente et jalonnée de soubresauts internes. Mais elle a été conduite avec constance par les différents dirigeants (Edmond Maire, Jean Kaspar, Nicole Notat et, aujourd’hui, François Chérèque) et s’est accompagnée du départ de militants refusant cette évolution, soit par exclusion soit par départ volontaire. L’approbation donnée par l’équipe confédérale CFDT à la réforme des retraites en 2003 a probablement traduit la plus forte vague de départs de toute l’histoire de la CFDT. Les syndicats SUD ont bénéficié, par contrecoup, de ces départs. Depuis, c’est la CGT qui a vu des équipes militantes quitter une organisation qui, depuis plus de dix ans maintenant, tente de conjuguer contestation et négociation et s’efforce de s’ouvrir à des catégories de salariés (commerce, distribution, services) qui n’ont pas la culture du statut et de l’emploi protégé. La perte d’influence du Parti communiste sur la CGT donne, par ailleurs, des espoirs d’action aux militants trotskystes du NPA et de Lutte ouvrière. Des affrontements internes font souvent naître des départs vers SUD.
La tonalité actuelle de l’Union syndicale Solidaires se situe donc dans un discours de contestation et de rupture, opposé à l’économie de marché et à l’entreprise libre et, plus largement encore, à une économie mondialisée. De ce fait, de nombreux militants de Solidaires déploient un engagement sur plusieurs terrains de mobilisation à la fois : syndical (syndicats SUD et alliés), politique (le NPA y est bien présent), altermondialiste (ATTAC notamment), associatif aussi, dans toute sa diversité, de la Fondation Copernic aux Sans-Papiers en passant par les comités Palestine, les associations anti-nucléaires ou les associations LGBT - lesbiennes, gays, bi, trans.
Contester plus que prendre le pouvoir
La médiatisation des initiatives militantes accompagne une logique qui est moins celle d’une prise du pouvoir que celle d’une contestation, d’une négation du pouvoir lui-même. Les courants trotskystes, anarchistes et libertaires nourrissent davantage les logiques militantes que les courants léninistes.
Sur ce registre, le rapport d’activité, très largement approuvé par le congrès, et les six résolutions travaillées en commission puis débattues en plénière, ont exprimé un consensus sur la ligne générale de l’Union syndicale Solidaires. C’est à peine si certains débats sur le protectionnisme (jusqu’où ? comment ?) ont montré quelques interrogations sur les limites de la relocalisation de certaines productions et sur la rupture avec « la religion de la croissance ».
Progression électorale
Avec 100 000 adhérents revendiqués, contre 90 000 en 2008 au précédent congrès, l’Union syndicale Solidaires affirme une croissance de ses effectifs, que confirment ses résultats électoraux : 9,6 % dans la fonction publique de l’Etat, 9,1 % dans la fonction publique hospitalière, 3,1 % dans la fonction publique territoriale. Les 2/3 des adhérents se situent dans la fonction publique ou les entreprises à statut. La présence dans le secteur privé est beaucoup plus modeste mais en progression (élections prud’homales 1997 : 0,32 % des voix ; 2002 : 1,91 % ; 2008 : 3,8 % et 89 élus). Elle constitue, dans quelques entreprises (SNCF, La Poste, RATP, EDF...) un pôle de contestation forte, qui bloque souvent la négociation d’entreprise et durcit les relations sociales.
Résultat : l’Union syndicale Solidaires vient d’entrer à l’automne dernier au Conseil économique, social et environnemental ainsi que dans les CESR de 9 régions de France (les démarches sont lancées dans les autres régions). Après un recours en Conseil d’Etat, une subvention (90 000,- €) a été attribuée pour les frais de campagne prud’homale de décembre 2008.
L’action syndicale se structure progressivement, soutenue par les moyens matériels, financiers et humains obtenus dans les entreprises. Exemple : à la SNCF, SUD-Rail dispose d’une trentaine de permanents à temps plein et de plus de 19 000 jours de décharge d’activité. De 56 stages de formation en 2008, l’Union syndicale Solidaires est passé en 2010 à 108 stages et plus de 1000 stagiaires, organisés par 22 structures locales.
Une Union, pas une confédération
Ce radicalisme militant caractérise bien le mouvement. Il n’est pas le seul élément distinctif de l’Union syndicale Solidaires. Celle-ci, en termes d’organisation et de structuration de l’action militante, développe un modèle plus souple, plus réactif (plus fragile aussi) que celui des grandes confédérations.
L’appellation « Union syndicale » n’est pas neutre, qui indique que le regroupement des syndicats relève de la logique de l’union et non pas de la confédération. Cette dernière ordonne les syndicats de base dans une logique hiérarchisée, même si les principes du fédéralisme donnent une certaine autonomie aux structures confédérées. Juxtaposition de syndicats autonomes plus que regroupement aux règles strictes, l’Union syndicale Solidaires n’est donc pas une confédération. Les avantages sont certains, qui permettent de voir vivre sous la même bannière des syndicats très contestataires (SUD-Rail, SUD-PTT par exemple) et des syndicats catégoriels, à l’approche militante plus ouverte au réformiste (Syndicat des impôts-Trésor, par exemple, ou encore Syndicat national des journalistes). Les inconvénients existent aussi, qui avaient alourdi le 4ème congrès en 2008, autour d’un débat sur la place des structures locales interprofessionnelles. Débat qui, en fait, exprimait l’inquiétude de certains syndicats catégoriels à voir les nombreux syndicats SUD imposer, dans une logique confédérale, une ligne militante de rupture radicale. Un congrès extraordinaire, le 7 octobre 2009, a permis de sortir du débat, en actant un rôle plus grand aux structures locales (même si le droit de veto perdure pour les questions de fond, au profit des structures professionnelles nationales).
Fragmentation du syndicalisme
Une organisation en union plutôt qu’en confédération donne à chaque structure adhérente une grande liberté dans son organisation et dans sa ligne militante aussi. D’un syndicat SUD à un autre, l’ardeur contestataire peut montrer une intensité différente.
Une telle organisation répond aussi à une évolution en profondeur du syndicalisme contemporain, que développe aussi l’UNSA de son côté, sur le registre du réformisme : la tendance grandissante des salariés à se retrouver dans des syndicats catégoriels reliés entre eux par un intitulé commun (un chapeau, une enseigne, une marque) plus que par un programme unique et partagé par tous.
La fragmentation du paysage syndical français, que ne résoudra pas la mise en œuvre de la loi du 20 août 2008 (portant porteuse d’une logique de réduction du nombre de confédérations), se poursuit et se montre profitable à l’UNSA (réformiste) et à l’Union syndicale Solidaires (contestataire). Tout comme l’action en réseau a fait ses preuves, dans bien des domaines de la vie en société et de l’organisation des entreprises, l’organisation en union plutôt qu’en confédération présente un réel attrait aux yeux de nombreux syndicats. Le « tous ensemble » des syndicats SUD est moins celui de l’action collective et unifiée que celui de l’action catégorielle et juxtaposée.
Quel recrutement ?
L’Union syndicale Solidaires affiche ainsi son originalité. Pour autant, le modèle est-il durable ? Quelques signes viennent ici poser la question d’un possible essoufflement de la démarche.
Le recrutement tout d’abord. Au socle des fondateurs des années 1981 et 1988 est venue s’ajouter une deuxième vague de syndicats crées au lendemain des mouvements de novembre - décembre 1995 et des départs consécutifs de la CFDT, jusqu’aux années qui ont suivi la réforme des retraites de 2003. Une troisième vague d’adhésions s’est nourrie de syndicats ou de militants individuels ou ayant quitté la CGT.
Solidaires est-il aujourd’hui en capacité de se renforcer autrement que par l’arrivée « d’ex », en provenance d’autres organisations ? La question est importante et la réponse n’est pas encouragée par le mouvement général de désyndicalisation dans notre pays.
Relations inter-syndicales difficiles
Autre difficulté : celle du risque de l’isolement et de la difficulté à créer des convergences avec les autres forces syndicales. La mobilisation de 2010 sur les retraites a certes donné de la visibilité à l’Union syndicale Solidaires, ainsi qu’à l’UNSA. Mais elle n’a pas validé ni même accepté la stratégie jusqu’au-boutiste de Solidaires, construite sur l’appel d’une grève générale reconductible et à des opérations de blocage. Appuyée par la FSU, Solidaires a, en fait, été isolée dans le concert intersyndical, même si Force ouvrière (pour des raisons tactiques plus que de fond) a pu tenir un discours proche.
La CGT et la CFDT, en s’opposant à tout radicalisme militant, ont isolé Solidaires et l’ont empêché de se déployer sur le terrain des entreprises.
Les relations intersyndicales se montrent aujourd’hui peu favorables à Solidaires. Seules les rencontres avec la FSU - première organisation dans la fonction publique de l’Etat - se poursuivent de façon confiante. Sur des thématiques différentes, les deux organisations rassemblent régulièrement ensemble 250 à 300 militants : en décembre 2009 (enjeux écologiques), en juin 2010 (répartition des richesses) et, tout récemment, en juin 2011 (pauvreté, précarité, inégalités).
Limites du projet révolutionnaire
Plus encore que la problématique du recrutement et celle de la convergence dans l’action revendicative, c’est le projet lui-même d’un syndicalisme contestataire qui se trouve interpellé. Tout comme les mouvements politiques d’extrême gauche marquent le pas aujourd’hui en France et en Europe, le syndicalisme radical peine à mobiliser. Face à la mondialisation de l’économie et à l’affirmation des logiques financières sur les logiques industrielles, les drapeaux rouges de l’internationalisme ou les drapeaux noirs de l’anarchie ne font guère recette. A Madrid, à Lisbonne, à Athènes, les drapeaux nationaux sont brandis par les foules inquiètes. Les hymnes nationaux y sont chantés, plus que L’Internationale. Les réponses nationales - les replis aux tendances nationalistes aussi - inspirent les leaders populistes qui, à gauche comme à droite, prennent place sur la scène politique. Les discours anti-mondialisation, vite rebaptisés alter-mondialisation, deviennent aujourd’hui ceux de la démondialisation. Le glissement des mots n’est pas neutre, qui peut conduire certains à développer demain un discours de renationalisation ou de protection nationale.
Entre le repli nationaliste et le rêve internationaliste mâtiné de nostalgie marxiste-léniniste, le climat social n’est guère propice en Europe à un syndicalisme qui cherche à construire, avec les outils de la négociation, un marché du travail solidaire et ouvert à la fois. Mais il est encore moins propice à un syndicalisme porté à la grève générale et à la contestation de toute économie sociale de marché. Ce courant radical, dans lequel s’inscrit l’Union syndicale Solidaires, montre des signes réels d’essoufflement.
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