Les réformes voulues par le président de la République et mises en œuvre par le gouvernement sont-elles acceptées dans l’opinion publique ? En miroir, comment cette même opinion publique accueille t’elle les mouvements et manifestations hostiles à ces réformes ?
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L’élection d’Emmanuel Macron et la mise en œuvre d’un ambitieux programme de réformes posent la question de son admissibilité par l’opinion publique.
Il s’agit d’un important enjeu pour les ressources humaines en entreprise, par les répercussions que ces débats peuvent avoir sur l’état d’esprit des salariés.
Un point particulier du problème posé consiste en la capacité des forces d’opposition les plus résolues à gêner l’action gouvernementale et, plus encore, à entretenir un climat conflictuel dans la société.
On peut considérer les choses de manière très simple :
Que pensent les Français des réformes, au vu des sondages ?
Que pensent-ils, en miroir, des mouvements hostiles à ces réformes ?
De manière plus complexe, il importe de s’intéresser à deux problèmes durables, qui pourraient compliquer les relations sociales dans les prochaines années :
L’étroitesse du support d’opinion d’Emmanuel Macron et l’audience accrue de l’opposition radicale ;
L’affirmation des clivages sociaux dans les représentations politiques, qui peut revivifier une culture de lutte des classes.
- L’exécutif conforté dans sa volonté réformatrice -
La réforme du code du travail est approuvée dans son principe :
58% des Français pensent que la réforme du code du travail souhaitée par le gouvernement peut permettre « d’améliorer la compétitivité de la France » (41% en février 2016), 45% « de lutter contre le chômage » (30%), et 24% « d’améliorer les conditions de travail des salariés » (15%).
En conséquence, ils sont favorables à ce que l’on réforme le code du travail : 59% contre 38%.
49% des sympathisants FN y sont favorables, mais aussi 54% des sympathisants socialistes et 70% des sympathisants de la droite.
Bizarrement, certains médias ont dit début septembre que les Français étaient opposés à la réforme du code du travail (58%) : ils l’étaient surtout aux ordonnances comme procédure.
Dans le détail, le plafonnement des indemnités versées par les prud’hommes passe mal : 39% pour, 59% contre. Le développement des « CDI de projet » aussi : 45% pour, 53% contre. La fusion des CE, DP et CHSCT passe (64%) et le développement de la consultation directe des salariés est quant à elle largement approuvée (74%). Enfin et surtout, l’argument du référendum, du vote en entreprise, passe toujours très bien.
Au total, nous observons un soutien faible à un mouvement d’opposition divisé
50% des Français, et 56% des salariés, approuvaient fin septembre le mouvement contre la réforme du code du travail, dont 27% « tout à fait ». C’est moins que le 11 mars 2016 (56%) mais davantage qu’à la fin de la contestation de la loi El Khomri (45% le 3 juin).
À gauche (74% - 51% seulement pour les socialistes) mais aussi à droite (39%), et 63% pour le FN : au-delà du texte en question, le désir d’opposition au gouvernement pèse visiblement sur les réponses.
22 septembre 2017 : Signature des ordonnances par le Président de la République entouré de la ministre du travail et du porte-parole du parlement.
En d’autres termes, le gouvernement bénéficie de conditions favorables pour mener à bien son programme de réformes. Outre un contrôle à peu près total du pouvoir politique national – avec un Sénat qui a conservé son autonomie mais dont l’orientation politique majoritaire est favorable à la réforme -, il constate la division syndicale et l’émiettement de l’opposition politique. De plus, l’opinion publique se montre sensible à l’argument principal de la réforme : l’amélioration de la situation de l’emploi par le renforcement de la compétitivité des entreprises françaises. En dépit d’une certaine faiblesse du travail parlementaire de la majorité, et aussi de quelques déclarations présidentielles très clivantes, la réforme est à peu près acceptée. Mieux encore, on voit se renforcer dans l’opinion un bloc libéral-réformateur autour du Président de la République, avec le renfort récent de nombreux sympathisants de droite et du centre.
- Des tensions sociales ravivées -
L’élection d’Emmanuel Macron est un événement considérable, et même un phénomène total, venu de loin, qui pourrait transformer en profondeur l’organisation de la vie politique tout comme les relations sociales en France.
C’est une force, car des énergies peuvent se réunir autour de ce projet, mais aussi un risque, car une mobilisation symétrique peut être suscitée.
Donc des questions se posent :
Va-t-on vers une polarisation de la société ?
Les clivages politiques sont-ils en train de s’aligner sur les clivages sociaux ?
À l’origine du changement, un vote minoritaire est constaté :
24% au premier tour, c’est 4 points de moins que François Hollande et 7 de moins que Nicolas Sarkozy. Seulement 32% des électeurs d’Emmanuel Macron, d’après l’institut BVA, disaient voter pour lui d’abord pour ses idées, les autres mettant en avant leur désir d’éviter l’élection d’un autre candidat, ou bien un second tour entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.
Ensuite, aux législatives, on constate un taux historique d’abstention, 51% au premier tour puis 58% au second, signalant l’absence d’élan politique autour du nouveau chef de l’Etat, même si la démobilisation touche moins son électorat que celui de ses concurrents malheureux. 32% des votes se portèrent sur les candidats LERM, MODEM et mouvement des progressistes, ce qui ne représente que 15% des inscrits.
Notons au passage que le vote Macron est plus issu de la gauche : il rassemble 32% des sympathisants de gauche (47% « plutôt à gauche »), 60% du centre, et 10% de droite (23% « plutôt à droite »).
Les renforts venus de droite attendront la rentrée sociale pour se manifester en nombre.
Laurent Berger (CFDT), Philippe Martinez (CGT) reçus à l’Élysée
En d’autres termes, le macronisme est un volontarisme, en matière électorale aussi. C’est un mouvement d’opinion qui a emporté les scrutins nationaux sans être arrivé à maturation, et il continue à grandir et à constituer sa personnalité après sa prise de pouvoir. De ce fait, il conserve un potentiel de croissance, mais aussi une part d’incertitude quant à sa configuration définitive.
- Un vote de classe -
Le phénomène Macron annonce-t-il la fin du vote de classe, originellement puissant dans l’opposition entre gauche et droite ? Est-ce, comme on l’a dit au Centre d’études de la vie politique française (CEVIPOF – Sciences po), le vote des optimistes, des ouverts, des progressistes ? Ce n’est pas forcément contradictoire.
L’analyse des données disponibles révèle en tout cas que la nouvelle offre politique qu’il incarne revivifie et accentue les clivages sociaux que son discours prétend transcender.
Cette question du vote de classe ne se réduit pas à de simples différences de niveau dans le choix électoral exprimé selon la catégorie sociale dans laquelle on situe les individus. La pluralité objective des positions dans la hiérarchie professionnelle, celle des revenus ou celle du patrimoine, ne devient un puissant facteur politique que lorsqu’elles sont perçues par les intéressés comme les assignant à des groupes différents. C’est pourquoi il faut aussi considérer la classe sociale subjective, c’est à dire le sentiment que l’on peut avoir d’appartenir à un des grands ensembles identifiés au sein de la société, comme par exemple les catégories populaires ou bien les gens aisés. C’est ce que permet une enquête électorale de l’Institut BVA pour Orange et la Presse quotidienne, parue quelques semaines avant le premier tour.
Intéressons-nous à la catégorie socio-professionnelle des électeurs. Alors que le niveau moyen d’intentions de vote pour Emmanuel Macron est de 24%, il n’est que de 16% parmi les ouvriers, 19% parmi les employés et de 33% parmi les cadres supérieurs. Malgré la concurrence de Fillon (36%), il atteint 26% parmi les retraités. Le contraste est vertigineux avec Marine Le Pen, dont le score est de 37% parmi les ouvriers (24% pour Jean-Luc Mélenchon) et de 14% chez les cadres (19% pour Jean-Luc Mélenchon).
Dans le détail, ce n’est pas le statut qui compte : c’est le niveau de diplôme et le degré d’aisance financière.
L’électorat Emmanuel Macron est donc socialement typé. Il correspond à une France qui aborde la mondialisation libérale avec confiance. Non seulement la situation objective de ses électeurs est, en moyenne, relativement avantageuse, mais leur positionnement subjectif à cet égard concorde. Ainsi, le niveau des intentions de vote en faveur du leader d’En Marche ! frôle les 40% chez ceux qui pensent appartenir aux classes « privilégiées », « aisées », ou « moyennes supérieures », ensemble qui représente un peu moins du tiers de l’électorat. Parmi les « classes moyennes modestes », où se classent spontanément près de la moitié des Français, son score serait aujourd’hui de 22%. Et parmi les « classes populaires » ou « défavorisées », il rassemblerait moins de 15% des électeurs. À des niveaux bien sûr différents, cette structure de vote se rapproche de celle concernant François Fillon. A l’inverse, le contraste est brutal avec Marine Le Pen, qui, réunit sur son nom 39% des électeurs s’identifiant aux « classes populaires », au lieu de 16% seulement de ceux qui pensent appartenir aux « classes moyennes supérieures » ou « aisées ».
Manifestation CGT du 12 septembre 2017
À partir de ces données, les formules reprochées au Président de la République prennent un relief particulier. Le risque est, en voulant galvaniser sa propre base sociale, de raidir les préventions contre sa personne, et surtout contre son projet. Dans un contexte de grande faiblesse syndicale, c’est le ferment de tensions sans débouché institutionnel évident, ce qui est facteur de tensions, voire de violences erratiques, dans la rue mais aussi sur le lieu de travail.
En effet, s’il est patent que le mouvement rassemblé autour de Jean-Luc Mélenchon conserve une grande audience, il n’est pas devenu un parti structuré. Son pouvoir de diffusion de mots d’ordre et, surtout, de représentations symboliques de la réalité est notable, mais sans débouché institutionnel. Il ne s’exprime pas au service d’une vision apaisée des relations sociales, mais dans une logique conflictuelle qui fait écho à la radicalité réformatrice de l’exécutif.
- Vers un climat conflictuel ? -
Les éléments sont donc rassemblés pour une montée des tensions : le réveil d’une culture de lutte de classes ; la superposition des clivages sociaux et politiques ; l’absence de débouchés institutionnels pour les tensions politiques ; la volonté partagée de polariser entre le camp de la réforme et celui de la protestation sociale.
Le contexte politique est donc favorable à la fois à l’aboutissement des réformes, et au maintien durable de leur contestation. S’installe donc un climat conflictuel dont on peut assurer qu’il ne restera pas confiné à l’espace de la rue et des médias, mais qu’il infusera dans l’univers du travail. Pour la qualité des relations sociales et pour l’optimisation des ressources humaines en entreprise, il s’agit donc d’un défi considérable.
À lire : « Le nouvel ordre démocratique », par Jérôme Sainte-Marie,
Éditions du Moment, 2015, 238 pages, 17,95 €
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