Nouvelle journée de grèves le 10 juin, contre la réforme des retraites. Quel comportement les syndicats adoptent-ils ? Quelles conséquences se dessinent pour eux, au niveau national et dans les entreprises ?
Les semaines à venir diront si la mobilisation des salariés du secteur public et la participation bien moindre des salariés du secteur privé, organisée par les syndicats qui refusent la réforme des retraites entreprise par le gouvernement, va se poursuivre et si elle entamera la détermination du Premier ministre. Les reculs annoncés sur les projets de décentralisation de l’école et l’autonomie des universités vont-ils calmer les manifestants ou, au contraire, les renforcer dans le sentiment que la rue peut également imposer ses vues sur les retraites ? Il est encore tôt pour le dire. On peut toutefois d’ores et déjà esquisser quelques analyses sur les causes des évènements actuels et relever quelques conséquences prévisibles pour la vie des entreprises.
- Comment expliquer la situation présente ? -
La caractéristique la plus claire de la situation actuelle est le retour de la CGT dans le front du refus, permettant :
- la constitution d’un front syndical important en opposition aux projets du gouvernement sur les retraites et l’école (CGT, FO, UNSA, FSU, G10),
- le retour du PS à une opposition frontale aux réformes engagées, suite notamment à la visite remarquée de Bernard Thibault au récent congrès du Parti socialiste.
Comment expliquer que l’axe CFDT-CGT en faveur d’une réforme négociée avec le gouvernement ait finalement cédé ?
- En matière économique la CGT a moins changé qu’on ne l’avait cru. Son approche du dossier des retraites (taxation des profits financiers, cotisation des entreprises sur la valeur ajoutés, créations volontariste d’emplois) s’accommode mal de l’économie de marché et exigerait une politique nationale protectionniste.
- Le secrétaire général de la CGT n’a pas pu ou pas osé imposer une autre ligne que celle de la rupture face à la force de ses opposants internes et à la puissance représentée par ses fédérations du secteur public.
- Pas nécessairement contradictoire avec ces données, une autre interprétation peut cependant être faite, celle d’une entente entre Bernard Thibault et le gouvernement selon laquelle la CGT fédèrerait la rue, « coifferait le mouvement », jusqu’à faire retomber la fièvre liée à la réforme des retraites, en échange de garanties à la SNCF, à EDF, ou sur d’autres terrains, les conditions de validité des accords d’entreprise, par exemple.
- Auquel cas, la CGT et Bernard Thibault se seraient bien positionnés pour apparaître gagnant dans les deux cas de figure : soit pour s’attribuer plus tard le mérite d’avoir géré et calmé les manifestants, soit pour apparaître comme le principal artisan de la victoire si la rue en devait obtenir une renégociation ou le retrait du projet de réforme des retraites.
- La CFDT, consciente de son importance sur l’échiquier social aujourd’hui et convaincue de sa supériorité technique et intellectuelle, cède souvent à la tentation des négociations parallèles avec ses partenaires patronaux et gouvernementaux. Une pratique qui tend à vider la concertation « officielle » de sa substance et indispose fortement les autres organisations syndicales auxquelles aucune marge de négociation n’est laissée. C’est ce qui s’est effectivement produit sur ce dossier des retraites.
- Sur le plan tactique, les relations privilégiées entre la CFDT et le gouvernement se sont révélées trop voyantes (manque de discrétion dans les allées et venues, etc .).
- Le gouvernement a fait à nouveau l’erreur d’ouvrir en même temps plusieurs dossiers sensibles concernant pour partie les mêmes catégories sociales (réforme des retraites et décentralisation de l’Education nationale) favorisant à la fois une forte mobilisation des personnels doublement touchés et la juxtaposition dans le temps et dans les manifestations de mécontentements catégoriels.
- Conséquences pour les organisations syndicales -
- En retrouvant les chemins de la grève et de la manifestation, la CGT redore son blason à court terme. Mais ce retour en arrière ne résout pas son problème crucial de positionnement à plus long terme, lequel appelle au contraire une évolution décisive vers « une démarche alliant contestation, proposition, mobilisation et négociation (intervention de Bernard Thibault en intervention de clôture du 47e congrès de la CGT) ».
- Pour la CFDT, embarras et problème d’image à court terme, sensible déjà chez certains militants de terrain. Une distance préjudiciable au rapprochement des deux organisations s’est également instaurée entre la CFDT et l’UNSA. Mais quand les esprits se seront calmés, la CFDT laissera l’image du principal syndicat de négociation sociale et aura renforcé son image d’interlocuteur privilégié du gouvernement. On peut également observer que l’occupation de la scène médiatique, à la télévision notamment, par François Chérèque n’aura pas été à la hauteur de ce que réalisait en son temps Nicole Notat, laquelle avait pourtant adopté une ligne comparable fin 1995 en approuvant le plan Juppé.
- FO n’aura pas su figurer en bonne place dans ce dossier, ni à la table des négociations ni dans les manifestations de rue. François Chérèque d’un côté et Bernard Thibault de l’autre l’ont relégué au second plan. Mais la position de FO n’en est pas moins connue et commentée dans les entreprises.
- Conséquences pour les entreprises -
- Les sections et militants CGT risquent d’être confortés dans les pratiques anciennes : ils retrouvent leur confédération et ses basiques (grèves, manifestations, refus de négocier et signer des accords),
- La CFDT pourrait avoir envie de durcir le ton dans les entreprises pour corriger l’image pro - gouvernementale que lui vaut sa position presque isolée sur le dossier des retraites,
- L’incompréhension par le terrain de l’attitude de la confédération pourrait favoriser le passage d’autres militants à SUD et la création de nouvelles sections SUD,
- A FO, la position de la confédération sur les retraites ainsi que sa participation aux grèves du secteur public et aux manifestations de rue est diversement appréciée dans les entreprises. Souvent félicités par les ouvriers du premier collège (ouvriers), les militants craignent des revers ultérieurs auprès de l’encadrement, accentuant le recul essuyé chez les cadres lors des élections prud’homales de 2002.
- La CFTC ne tirera bénéfice dans l’entreprise de sa position intermédiaire sur le dossier des retraites que si elle obtient du Parlement de nouveaux amendements au projet Fillon. Dans ce cas, elle pourrait en tirer un avantage électoral au détriment de la CFDT. Dans le cas contraire, elle sera apparue comme hésitante et incertaine, voire peu fiable.
- Le thème des retraites s’est avéré un thème mobilisateur pour la grève, même dans de grandes entreprises privées. Ce qui accroît le risque de grève : dans ce domaine le premier pas coûte le plus, sans que les salariés, les jeunes surtout, ne mesurent toujours les incidences de la grève pour eux-mêmes (perte de salaire) et les conséquences pour l’entreprise.
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