Pour s'adapter aux évolutions du marché du travail, les entreprises et les administrations doivent parfaire leur capacité à gérer et anticiper les compétences, à organiser la mobilité professionnelle, à rapprocher les milieux éducatifs et les mondes du travail.
Dans cette perspective, les approches-métier se développent. Quel en est l'intérêt ? Comment se mettent-elles en place, avec quelles démarches à respecter ?
Huit ans après l'accord national interprofessionnel de 2003 qui a institué les observatoires prospectifs des métiers et des qualifications (OPMQ), les partenaires sociaux se montrent très attentifs aux recherches et aux travaux prospectifs menés.
L'enjeu est grand pour les entreprises et les administrations. Il est grand, aussi, pour les branches (et, dans la fonction publique, pour les corps) dont les périmètres sont appelés à se modifier.
Jean-Paul Cadet et Samira Mahlaoui, du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CEREQ) livrent ici le point de la recherche.
Les approches-métier ont le vent en poupe au sein des entreprises et des administrations et s’inscrivent dans une perspective anticipatrice. Instruments de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), elles s’intéressent aux métiers « sensibles », c’est-à-dire en émergence, en développement ou en déclin.
Depuis une vingtaine d’années, ces approches contribuent à réhabiliter la notion de métier au sein des entreprises et des administrations. Que peut bien signifier un tel renouveau ? Autrement dit, à quoi sont destinées ces approches-métier ? Et sur quelles démarches concrètes prennent-elles appui ?
Affirmer et reconnaitre les métiers
L’approche-métier a d’abord une finalité identitaire. Elle vise à mieux connaître les activités exercées au sein d’une entreprise ou d’une administration. Elle complète l’exercice statistique qui consiste à comptabiliser les effectifs en place et à en décrire les caractéristiques sociodémographiques.
Pour les salariés, le terme de métier est à la fois plus parlant et gratifiant que les termes plus récents ou issus du vocabulaire gestionnaire de poste, d’emploi ou d’emploi-type. Le métier garde une forte connotation positive. Il renvoie à la maîtrise d’une technicité et d’une autonomie dans le travail. Le recours à cette notion peut par ailleurs faciliter la reconnaissance d’emplois émergents ou de salariés classés parmi les bas niveaux de qualification. À une époque où l’on ne cesse d’évoquer l’importance stratégique de la ressource humaine et de son implication dans le travail, l’usage du terme de métier prend ainsi tout son sens.
Pour l’organisation, l’approche-métier rend plus visibles ses spécificités en termes d’emplois. Elle permet de traduire en « métiers individuels » les métiers plus globaux de l’entreprise ou de l’administration, c’est-à-dire, en langage stratégique, ses principaux domaines d’activité - à travers lesquels elle mobilise et articule des compétences individuelles et collectives pour atteindre des objectifs spécifiques. Apparue dans les années 70-80, la notion de « métier de l’entreprise » est d’ailleurs souvent à l’origine de pareille approche. Nombre d’entreprises recourent à cette notion pour justifier un recentrage sur ce qu’elles considèrent être leurs activités stratégiques, occasionnant de profondes modifications de leur organisation du travail et souvent prétexte à des désinvestissements. Ces entreprises cherchent alors à en tirer toutes les conséquences en reconsidérant et en redéfinissant leurs différents emplois. Dans cette perspective, elles mettent en exergue les emplois qui contribuent à leurs spécificités et leurs performances. Elles attribuent à ces derniers emplois la notion valorisante de métier et éludent au besoin les autres emplois.
Un outil de gestion des mobilités
Une approche-métier correspond aussi à un outil de gestion des mobilités.
Le métier permet de raisonner plus en termes de transversalité sans pour autant prendre ses distances avec les situations et les expériences concrètes de travail.
Le métier constitue également un bon niveau d’analyse pour entrevoir des passerelles entre emplois et élaborer le langage commun nécessaire à leur aménagement. Ainsi, la gestion par les métiers sert souvent à favoriser en priorité la mobilité fonctionnelle et horizontale - en particulier lorsqu’il s’agit de compenser aux yeux du personnel un ralentissement de la mobilité promotionnelle et verticale.
Il n’en reste pas moins que le recours au métier peut être une façon de sécuriser les parcours professionnels, en disposant d’un référent convaincant pour concevoir et aménager à temps de nouvelles évolutions pour les salariés sans créer de rupture ou de discontinuité avec leur parcours antérieur. Le métier apparaît ainsi comme un instrument de gestion préventive de l’emploi.
Dans une optique de GPEC, il donne à voir aux salariés des perspectives de mobilité sur les marchés interne et externe du travail.
Des différences d’approches entre les entreprises et les administrations
On ne peut éluder le contexte de la mise en place des approches-métiers et faire comme si elles avaient parfaitement la même vocation et la même forme d’une organisation à l’autre. Il faut distinguer entreprises et administrations.
En général, les approches-métier en entreprise sont adossées à des démarches de gestion par les compétences. Au-delà de leur objectif en matière de mobilité, ces démarches valorisent l’idée d’une moindre prescription du travail et la recherche de pratiques professionnelles dignes de celles des « gens de métier » d’autrefois, notamment une plus grande autonomie. Cette promotion ne signifie en aucun cas un retour au métier traditionnel, avec la spécificité et la stabilité technique qui lui sont rattachées. Elle vise au contraire à développer les usages flexibles de la main-d’œuvre. Les métiers définis par les entreprises correspondent le plus souvent à des emplois à spectre large, polyvalents et perméables aux emplois voisins, en particulier pour les premiers niveaux de qualification. Outre la dimension technique, ils intègrent des dimensions de nature plus partagée comme la logique client ou le projet économique de l’entreprise. Ils sont aussi enclins à voir leurs contenus et leurs contours se transformer rapidement au rythme des changements technologiques et organisationnels.
Le DICTIONNAIRE DES MÉTIERS ET APPELLATIONS D’EMPLOI, publié par l’INSEE en 1955, procède à l’inventaire d’environ 10 000 dénominations. Qui se souvient encore des assietteurs sur bois, des détroqueurs d’huitres, des noueurs de franges et autres redresseurs de carcaises ? D’autres métiers, même s’ils ont vu les techniques évoluer, demeurent : comptables, députés, géomètres, podologues ou sociologues.
Cette recherche de flexibilité ne paraît pas aussi marquée au sein des administrations. Si elle transparaît lors de l’actualisation des répertoires-métiers, comme vient par exemple de le connaître le Répertoire interministériel des métiers de l’État, elle s’efface au profit d’un autre enjeu. Dans le secteur public, les approches-métiers ont pour but essentiel d’accompagner la professionnalisation de la GRH en cours. Ce processus consiste à donner une place croissante aux métiers et aux compétences des agents dans les décisions relatives à la gestion de leur parcours. Il vise à concrétiser le projet politique d’un passage à une « fonction publique de métiers ». L’approche-métier est censée contribuer à une « modernisation » de l’approche statutaire traditionnelle en termes de corps, grades ou cadres d’emploi, et à une meilleure articulation entre la gestion des carrières des personnels et les besoins en emplois des administrations. Par exemple, au sein de la fonction publique d’État, elle permet de justifier des fusions de corps, mais aussi de révéler des spécificités professionnelles jusqu’ici noyées dans des corps à composition large.
C’est d’ailleurs en ce sens que l’approche-métier se distingue encore au sein de la fonction publique : elle recompose les emplois non pas seulement en étirant leurs contenus et leurs contours, mais aussi en signalant des activités en développement et en quête de spécialisation, tels par exemple les achats ou le contrôle de gestion. De plus, dans un secteur public affecté par les réductions d’emplois et les incessantes réorganisations, le métier reste l’un des seuls repères relativement stables.
Des risques sur le plan méthodologique
Les approches-métier sont le fruit de démarches méthodologiques qui ne sont pas sans risque.
Elles supposent d’abord l’interaction d’une pluralité d’acteurs : les directions, qui jouent un rôle majeur pour éviter l’enlisement de ces démarches ; les chefs de projet, responsables de leur réalisation ; les consultants, qui assistent ces derniers ; les responsables RH, principaux utilisateurs des démarches ; des responsables opérationnels et des titulaires d’emploi, principaux experts des métiers examinés ; le cas échéant, des représentants syndicaux. Il est important d’impliquer ces différents acteurs, via notamment la constitution de groupes de travail. Cette implication garantit en effet la qualité de l’approche-métier. Elle contredit le principe utopique d’une vision spontanément consensuelle des métiers et de leur dynamique au sein de l’organisation, et promeut au contraire l’idée d’un nécessaire compromis pour aboutir à des représentations partagées, sinon acceptables.
Or, nombre d’organisations sont tentées d’« oublier » d’impliquer certains acteurs, et tout particulièrement les titulaires d’emploi. Elles entendent avancer au plus vite dans la description de leurs métiers et souhaitent formaliser à elles seules ce qu’elles attendent de leur personnel au regard de leur stratégie, sans rien négocier à ce sujet. Les approches-métiers se réduisent alors à des produits abstraits, élaborés par et pour les seuls responsables RH, et privés de l’apport irremplaçable de ceux qui exercent les métiers, de leurs savoirs sur l’activité, des débats et dilemmes qui les animent au quotidien.
Les démarches d’analyse des métiers nécessitent ensuite de définir le concept de métier et d’identifier les emplois ou les regroupements d’emplois « dignes » d’être qualifiés de la sorte. Ce n’est en rien un travail aisé. L’enjeu méthodologique est de parvenir à accorder les différents acteurs a priori concernés, alors qu’ils ne partagent pas forcément la même acception du terme de métier. Les directions réfléchissent souvent en termes de métiers d’entreprise ou de politiques publiques. De leur côté, les salariés entendent faire reconnaître la spécificité de leurs situations de travail. Quant à l’encadrement intermédiaire, il raisonne davantage en termes de services ou de postes de travail.
Enfin, ayant un objectif de mobilité, une approche-métier doit favoriser la perméabilité entre les différents métiers. En interne, cela revient à donner à voir les métiers de manière suffisamment ouverte et donc à éviter des descriptifs trop refermés sur eux-mêmes. Il est possible à ce sujet de jouer sur plusieurs leviers : adopter une conception de la compétence qui inclut des dimensions plus aisément transférables que la simple dimension technique, comme la dimension organisationnelle ; élaborer un dictionnaire des compétences pour faciliter les rapprochements entre les métiers ; définir des passerelles d’accès. Vis-à-vis de l’extérieur, l’enjeu réside dans la capacité des promoteurs des approches-métiers à établir des correspondances avec les nomenclatures nationales et de branche et à engager le dialogue avec leurs homologues des autres organisations. Puisque la diffusion de ces approches entraîne une multiplication des langages sur le travail et donc des visions très hétérogènes des conditions de mobilité d’un métier à l’autre, il en va de la possibilité d’aménager des transitions externes.
Qu’il vise à faciliter la mobilité interne ou externe, la difficulté de l’exercice risque pourtant de rebuter les acteurs impliqués et de faire surgir de nouvelles segmentations professionnelles néfastes à la mobilité. Les métiers définis s’imposent comme de nouveaux espaces cloisonnés, avec une spécificité telle qu’elle n’autorise qu’un minimum de reconnaissance sur le marché externe. L’approche-métier se révèle alors contre-productive.
Ainsi, pour limiter ces écueils et faire en sorte que les approches-métiers participent bien à un renouveau efficace et acceptable de la notion de métier, il convient surtout de respecter un certain nombre de principes méthodologiques : l’adoption d’une définition partagée ; l’ouverture de chaque métier décrit sur les autres métiers de l’organisation et le marché externe du travail ; la mise en mouvement d’une démarche faisant le plus possible collaborer les différents acteurs.
Les Compagnons du devoir ont toujours conduit une réflexion active sur le travail. Ici, les actes des conférences-débat 2005-2006 sur « le métier et le travail »
Quand l’entreprise et les administrations renouvellent la notion de métier par Jean-Paul Cadet et Samira Mahlaoui (version complète de la Note du CEREQ)
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