Les pays d'Europe du Nord, Royaume-Uni et Irlande mis à part, présentent des caractéristiques communes à leur système de relations sociales et à leur syndicalisme. Vu de France, ce syndicalisme paraît très lointain. C'est pourtant sur lui que se modèle le syndicalisme européen de demain. A preuve les orientations que prennent les ex-pays communistes d'Europe centrale.
Une attitude plutôt coopérative ou du moins partenariale marque les relations sociales de ces pays, tous situés dans la moitié Nord de l’Union européenne. On peut identifier dix caractéristiques que l’on retrouve, à des degrés divers, dans huit pays de l’Union européenne : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la Finlande, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suède.
1- Le syndicalisme y est fort :plus d’un salarié sur trois adhère à l’organisation syndicale, pourcentage particulièrement élevé, compte tenu du grand nombre de petites entreprises où le syndicalisme est quasi inexistant. Les pays scandinaves battent tous les records mondiaux de taux de syndicalisation. En Suède, 85% des salariés sont syndiqués, au Danemark 90 %.
2- Ce syndicalisme puissant est généralement unitaire. Dans de nombreux pays, une grande confédération occupe le paysage social. A défaut d’unité structurelle, on observe une unité d’analyse, de philosophie mais avec une segmentation par type de population. C’est le cas dans les pays scandinaves, avec une confédération pour les ouvriers, une pour les employés et techniciens et une pour les ingénieurs et diplômés. La convergence idéologique n’empêche pas toujours un clivage confessionnel. C’est le cas au Pays-Bas, avec une confédération protestante : le CNV ou en Belgique, avec une organisation chrétienne : la CSC.
3- Les organisations de ces pays ont une longue tradition. Elles se sont développées dès le début de l’ère industrielle, à partir du XIXème siècle, vivant un décollage industriel que les pays latins (la France exceptée) n’ont connu qu’un siècle plus tard.
4- Trait essentiel, après avoir vécu des décennies de luttes parfois violentes avec le patronat, au XIXè siècle, toutes ces organisations acceptent, depuis au moins cinquante ans, l’économie de marché.Elles pratiquent même des formes de participation au pouvoir économique, soit au niveau de l’économie nationale, soit à celui de l’entreprise, avec une cogestion très institutionnalisée. On y a donc partout abandonné la lutte idéologique au profit d’un partage des richesses créées.
5- La négociation est l’outil naturel pour surmonter les divergences. Ce serait faire preuve d’un angélisme irréaliste que de penser que le partage des richesses est facile. Les intérêts du patronat et des salariés divergent tout autant que dans les pays « adversatifs ». Ce qui change, c’est la méthode choisie pour les surmonter. Deux éléments contribuent à l’établissement de ce « consensus ». D’une part, le patronat, lui aussi, préfère la négociation au conflit. D’autre part, le syndicalisme n’a pas abandonné le conflit. Celui-ci est toujours possible s’il n’y a pas d’accord. Mais parce que le syndicalisme y est fort, cette menace pèse de tout son poids et permet d’aboutir le plus souvent à des compromis. Cette issue est alors considérée comme la preuve d’une grande habileté et intelligence puisque, partant de deux positions opposées voire incompatibles, on est capable d’arriver à une troisième solution qui concilie les antagonismes. On peut alors parler d’un autre univers culturel, le mot compromis, par exemple, étant valorisé, alors qu’il a une connotation négative dans les pays du Sud. Cette pratique de la négociation est organisée soit par la loi, comme en Allemagne, soit par les conventions, comme en Suède. La durée, les acteurs, les modalités du processus de négociation sont clairement définis.
6- La branche industrielle reste encore privilégiée. Les accords conclus au niveau du secteur professionnel (métallurgie, transports...) s’imposent à toutes les entreprises. Cette pratique évite le « dumping social » entre entreprises concurrentes qui doivent ainsi distribuer les mêmes rémunérations pour les mêmes niveaux de qualification.
Cette démarche, qui met « hors jeu » l’entreprise, contribue aussi à professionnaliser la négociation. Il est difficile, voire impossible, que chaque entreprise, surtout les moins importantes, dispose de négociateurs spécialisés aussi bien en droit du travail qu’en économie et qu’ils soient au fait de tous les aspects de la conjoncture nationale et internationale. Le niveau des branches, lui, permet de mettre face à face de véritables experts, maîtrisant tous les aspects de leurs dossiers.
7- Un accord signé doit être respecté. Cette évidence ne l’est pas toujours dans les pays latins. La signature d’un texte ne saurait garantir la paix sociale. Il n’en est pas de même dans les pays de type rhénan. Il y est illégal, passible de sanctions, d’avancer une revendication et a fortiori de lancer un mouvement de grève sur un point traité dans un accord en cours, y compris sur le plan salarial. Les Pays-Bas ont même des accords « paix absolue ». Du coup, les entreprises sont garanties contre toutes perturbations sociales pendant une durée connue de tous : jusqu’au moment du renouvellement de l’accord et de l’éventuel échec des négociations. Le social devient dans ces pays un atout managérial et compétitif. L’entreprise peut s’engager dans des contrats de longue durée, à l’étranger, sans risque de retard de livraison pour dysfonctionnement social.
8- La priorité reconnue à la négociation veut aussi dire que l’Etat se fait discret. Tout au plus a-t-il, autrefois, légiféré pour imposer que les problèmes sociaux soient réglés...entre les partenaires sociaux. Pas question pour l’un des partenaires, patronal ou syndical, de chercher une aide, de demander l’appui de la loi au gouvernement, même dirigé par un parti proche. Ce serait fausser la pratique contractuelle. On est au moins d’accord sur un point : l’Etat ne doit pas intervenir.
L’opinion publique est favorable au syndicalisme. Ce qui paraît logique puisque les acquis sociaux et la paix sociale proviennent de la négociation entre les partenaires. Pour les citoyens, ce sont les syndicats qui ont obtenu le confort social dont ils bénéficient au niveau des salaires, durée des congés ou assurances sociales.
9- Les relations entre le syndicalisme et la politique y sont claires et assumées. Pas de pudeur hypocrite dans les relations avec le parti politique idéologiquement proche.
Tout en restant indépendant, on affiche la couleur : dans plusieurs pays, la confédération syndicale vote chaque année une subvention au parti. Au moment des élections, elle fait campagne et diffuse les raisons de voter pour le parti social démocrate. Parfois même, il peut y avoir cumul de responsabilités politique et syndicale. Le président d’un syndicat peut être député ou même ministre. En Autriche, l’OGB « fournissait » traditionnellement, avant l’arrivée de l’extrême droite, le ministre du Travail.
10- En contrepartie de leur cotisation, les adhérents bénéficient d’avantages, depuis l’assistance juridique gratuite lors d’un différend avec leur employeur jusqu’au soutien financier lors d’une grève ou d’un lock-out. Ils peuvent alors recevoir jusqu’à 90 % de leur salaire. En plus des services liés à la vie de travail, le salarié pourra obtenir des crédits à un taux avantageux pour l’achat de sa voiture ou de son appartement. Pour ses loisirs, il peut acheter des billets de spectacles, théâtres, concerts, à des prix réduits. Il en est de même pour les résidences de vacances ou l’inscription à des cycles de formation professionnelle. Aux Pays-Bas, il peut même faire appel, gratuitement, à des conseillers fiscaux qui lui remplissent sa déclaration d’impôts.
Dans tous ces pays, la cotisation est alors moins un acte militant qu’une adhésion à une mutuelle multi-services et une forme d’assurance contre les intempéries sociales.
Les huit pays de l’Europe centrale, ex-communistes, semblent vouloir s’inspirer de l’idée de paix sociale négociée, mais sans avoir pour l’instant le taux de syndicalisation, la richesse financière ou l’unicité syndicale. Compte tenu de la faiblesse des partenaires sociaux, l’Etat joue un rôle important. Il s’agit partout de tripartisme, provisoirement assure-t-on.
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