Il s’appelait Le Pen. Né dans le Morbihan en 1878, mort à Paris en 1945, Julien Le Pen fut une figure de l’antimilitarisme, du mouvement syndical et du mouvement libertaire de l’entre-deux-guerres.
Tout à la fois chroniqueur libertaire, propagandiste, syndicaliste, il fut toute sa vie un ouvrier du bâtiment, un militant qui refusait d’être un « fuyard de l’atelier » pour être parmi les siens, considérant que le syndicalisme est l’œuvre des producteurs et non pas celle de ce que l’on appelle aujourd’hui les permanents syndicaux et que l’on qualifiait alors de fonctionnaires syndicaux.
Sylvain Boulouque a établi un recueil de textes, articles de presse, déclarations de congrès de ce « lutteur syndicaliste et libertaire ».
Les textes publiés, la force des propos, leur virulence parfois, l’âpreté des conflits internes à la CGT mettent en évidence la dureté d’un monde syndical confronté à la force montante, dans ses rangs, du communisme moscoutaire.
De la scission CGT-CGTU de 1921 à la réunification de 1936 puis la deuxième scission de 1939 et à la réunification de 1943, Julien Le Pen a vécu, a incarné et a exprimé les espoirs et les désarrois d’un courant syndicaliste héritier de Fernand Pelloutier, celui des anarcho-syndicalistes de la fin du XIXème siècle et des premières années du XXème siècle.
Écrasés par le redoutable appareil communiste, les syndicalistes révolutionnaires n’ont pas pu se structurer durablement dans la CGTU, née en 1921 d’une rupture au sein de la CGT. Un certain nombre d’entre eux, dont Le Pen, finirent par revenir à la CGT.
Sylvain Boulouque pointe avec justesse le caractère authentique de ces militants du syndicalisme révolutionnaire et du mouvement libertaire qui en l’espace de vingt ans « se sont recroquevillés sans avoir eu le temps de saisir l’ampleur de la vague qui les submerge ».
En 2021, cent après la scission CGT-CGTU de 1921, les militants héritiers de ce courant sont toujours présents dans le syndicalisme français, tout particulièrement au sein de Force Ouvrière, où quoiqu’en nombre réduit, ils développent un discours singulier, souvent en opposition aux conceptions réformistes de nombreux autres militants.
Julien Le Pen un lutteur syndicaliste et libertaire, par Sylvain Boulouque, Atelier de création libertaire, 2020, 372 pages, 18,-€
PETIT LEXIQUE DES SCISSIONS ET DES TENDANCES
CSR : comités syndicalistes révolutionnaires.
Fondés en 1919, ils rassemblent la minorité faite de syndicalistes sans affiliation partisane, de communistes, de libertaires qui souhaitent transformer la CGT et qui accusent la direction d’avoir mal conduit les grèves de 1919 et 1920.
CGT : Confédération générale du travail. Fondée en 1895. Son congrès de 1906 affirme l’indépendance du mouvement syndical face aux partis politiques. En 1921, la première scission donne une majorité aux syndicalistes. En 1936, une réunification fait suite aux événements de 1934. Une nouvelle scission a lieu en 1939 lorsque les communistes de la CGT refusent de dénoncer le pacte germano-soviétique. Une nouvelle réunification est décidée en 1943. Mais en 1947-1948 les syndicalistes qui font à leur tour scission refusent la mainmise des communistes sur la centrale.
CGTU : Confédération générale du travail unitaire. Elle est fondée en 1921/1922 lorsque les militants des comités syndicalistes révolutionnaires refusent de se plier aux motions votées par la direction de la CGT. Dès son premier congrès en 1922, elle passe sous la direction des militants syndicalistes communistes. Les libertaires la quittent en 1924. Les deux centrales CGT et CGTU fusionnent lors du congrès de Toulouse en 1936.
CGT-SR : Confédération générale du travail – Syndicaliste révolutionnaire, fondée en 1926 par des libertaires qui ne voulaient plus du diktat communiste dans la CGTU. Elle perdure pendant toute l’entre deux guerres et renait en 1946 sous le nom de Confédération nationale du travail.
Confédérés : Militants soucieux entre 1920 et 1947 de préserver l’action syndicale de tout lien de subordination avec un parti politique.
Figure de proue : Léon Jouhaux
Unitaires : Militants fidèles aux consignes de Lénine puis de Staline. A l’origine de la scission de 1921 et celle de 1939, ils quittent la CGT. En 1947, ils en prennent le contrôle.
Figures de proue : Benoît Frachon, Julien Racamond
Libertaires : Militants œuvrant à une transformation radicale de la société sans obéir à un parti politique. Ils se réclament de l’indépendance du syndicalisme.
Figure de proue : Pierre Besnard
Syndicalistes révolutionnaires : Militants estimant que le syndicalisme se suffit à lui-même. Après 1917, le groupe se divise entre les syndicalistes pro-communistes et ceux qui refusent l’adhésion à l’Internationale syndicaliste rouge. Après un passage au PCF, la majeure partie d’entre eux deviennent anti-staliniens.
Figure de proue : Pierre Monatte
Benoît Frachon (1893-1975)
Secrétaire de la CGTU à partir de 1933, secrétaire général de la CGT de 1945 à 1947 avec Léon Jouhaux puis de 1947 à 1967, président de 1967 à 1975.
Léon Jouhaux (1879-1954)
Secrétaire général de la CGT de 1909 à 1947, puis président de la CGT-Force Ouvrière de 1947 à 1954.
Pierre Monatte (1881-1960)
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06 Juillet 2021 : Il y a cent ans, la première scission de la CGT par Sylvain Boulouque
21 décembre 2011 : L’épisode de la CGTU, par Sylvain Boulouque
18 juillet 2011 : Aux origines de l’anarcho-syndicalisme, par Christophe Maillard
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