La rentrée sociale 2004 apparaît à ce jour comme l'une des plus molles et des plus impalpables de ces dernières années. Pour des raisons diverses, les grands acteurs traditionnels de la rentrée semblent sur des positions attentistes.
Sans grands enjeux pour les semaines, voire pour les mois à venir, cette rentrée 2004 ne suscite pas la mise en œuvre de stratégies syndicales actives susceptibles de répercussions importantes dans les entreprises.
Après la volte face de Jean-Pierre Raffarin sur le SMIC, l’infinie prudence du gouvernement sur les dossiers à l’ordre du jour ne donne pas aux syndicats de motif particulier de mobilisation concrète et immédiate.
Mais le calme de cette rentrée sociale s’explique aussi par les évolutions en cours et autres péripéties qui agitent actuellement le monde syndical et qui n’ont rien d’un long fleuve tranquille.
Des organisations syndicales affaiblies, divisées et attentistes
2.1. Les organisations syndicales affaiblies par un sentiment d’échec
Les organisations syndicales sortent affaiblies par un sentiment d’échec de la période de réformes que nous venons de vivre : retraites, Sécurité sociale., statut d’EDF....
La mobilisation pour infléchir les projets du gouvernement n’a jamais pu être réellement unitaire ; elle s’est avérée faible, décevante ou éphémère.
Le quasi échec des grèves traditionnelles de la rentrée dans le secteur public, organisées par la FSU à l’Education nationale et par l’ensemble des syndicats à France-Télécom n’est d’ailleurs pas de nature à améliorer le moral. La CGT, en particulier, s’est révélée impuissante à empêcher les évolutions à EDF, a terni son image par les méthodes employées au cours d’une action qui s’est avérée aussi éphémère qu’inutile.
Elle est aussi handicapée par le scandale de la gestion du CCAS d’EDF à son profit et à celui du PCF.
2.2. Les syndicats divisés, incapables de s’entendre sur des objectifs ni sur des actions ou stratégies communes
Les relations CGT - CFDT demeurent mauvaises, voire inexistantes depuis la réforme des retraites. La CGT reproche à François Chérèque d’avoir trahi la plate-forme commune et d’avoir négocié seul avec le gouvernement. De son côté la CFDT reproche à Bernard Thibault de jouer double jeu et de ne pas tenir ses troupes. Au sein du camp protestataire, les relations ne sont pas non plus au beau fixe entre SUD et la CGT depuis que les trotskystes de la LCR se sont vus concurrencés de la direction d’ATTAC par les communistes et la CGT. Du côté de FO, le départ de Blondel et l’arrivée de Mailly n’a rien changé à la méfiance historique entre FO et CGT... ni comblé le différend entre FO et CFDT. La récente définition donnée par la CFDT au réformisme, vu comme un projet d’intervention sociétal, a même accentué les sarcasmes de FO contre la CFDT. Et il n’est toujours pas question, au niveau des états-majors en tout cas, de reconstituer le pôle réformiste traditionnel FO-CFTC-CGC : Jean-Claude Mailly candidat de Marc Blondel et proche des trotskystes du Parti des travailleurs n’inspire toujours pas confiance à la CFTC et à la CFE-CGC. La constitution d’un puissant pôle syndical réformiste autour d’une union de la CFDT avec l’UNSA tarde plus que jamais à se constituer. L’UNSA, forte des ses résultats aux élections prud’homales de 2002 espère obtenir du gouvernement son label d’organisation représentative au plan national interprofessionnel et ne paraît pas pressée de se rapprocher davantage de la CFDT. De plus, des divergences importantes entre les deux organisations à l’occasion de la réforme des retraites ou de la Sécu qui ne contribuent pas actuellement au rapprochement des deux centrales.
Même le développement de l’USS G10 (Union syndicale solidaire - Groupe de 10) s’il s’est poursuivi ces derniers mois grâce à des départs de la CFDT et dans une moindre mesure de la CGT, n’a rien d’une progression triomphale. Moins médiatisées que d’autres, cette Union n’en connaît pas moins scissions et départs. Il suffit par exemple de pointer la liste initiale des syndicats qui avait constitué au départ le « Groupe des dix » pour constater que la plupart aujourd’hui n’en font plus partie. Certains par exemple ont rejoint l’UNSA, d’autres ont repris leur marche solitaire dans la grande galaxie du syndicalisme autonome. Seul point de convergence entre les organisations syndicales : la réforme des 35 heures sur laquelle les syndicats semblent unanimement déterminés à ne pas aller au-delà d’une opposition de principe, soucieux de ne pas alimenter la polémique.
2.3 Plusieurs organisations syndicales sont affectées par des incertitudes relatives à leur ligne directrice et tiraillés en interne par des positions inconciliables
Même si Jean-Claude Mailly joue plus finement que son prédécesseur et a su rentrer dans le jeu des relations avec le patronat et le gouvernement, la ligne de FO n’apparaît pas encore très claire et les relations internes entre la confédération et les fédérations les plus réformistes demeurent empreintes de méfiance. Côté CGT, le différentiel persiste entre une confédération devenue plus raisonnable à l’égard de la négociation avec les employeurs et le gouvernement ou de la construction européenne et une base souvent plus va-t-en-guerre et qui campe sur les fondamentaux de l’opposition systématique, de la grève et de l’action syndicale révolutionnaire. D’une manière générale, les centrales syndicales sont traversées aujourd’hui par un double clivage qui les paralyse :
- entre des instances confédérales plus raisonnables, gestionnaires et réformatrices et une base plus combative,
- entre fédérations du secteur public plus immobilistes et grévicultrices et des fédérations du privé plus réalistes et négociatrices.
Conséquence : pas de grandes ambitions pour la rentrée sociale. Même à FO on ne parle pas cette année de rentrée musclée. La CFDT se contente de réclamer à nouveau une politique de l’emploi et la CGT, Bernard Thibault en tête, s’intéresse aux PME et autres entreprises sur le terrain pour essayer de développer ses implantations.
Le Medef oriente ses critiques vers le gouvernement du « pauvre » M. Raffarin accusé de tergiverser et de perdre du temps dans la promotion des réformes
Les propos très critiques, voire sarcastiques, de M. Seillière à l’encontre de M. Raffarin et de son gouvernement lors de la récente université d’été du Medef contrastent cruellement avec les éloges décernés par le même président du Medef aux syndicats dans le Figaro Magazine du 28 août, interview dans laquelle il déclarait : « Je suis frappé par la lucidité des syndicats »
« On n’a rien eu pour l’entreprise ». Cette critique sévère paraît pour partie injuste. M Seillière oublie notamment :
- la loi Dutreil sur l’initiative économique, citée en exemple l’année dernière lors de l’université d’été du Medef,
- les assouplissements déjà apportés aux 35 heures par la loi Fillon,
- la suspension des règles imposées par la loi Guigou de « modernisation sociale » en matière de restructuration. Une telle sévérité et cette prise de distance très nette à l’égard du gouvernement s’expliquent sans doute :
- de manière conjoncturelle pour peser sur les arbitrages en cours relatifs au budget 2005, et,
- de manière plus structurelle par la volonté patronale d’obtenir de la loi une réduction tous azimuts des contraintes qui pèsent sur l’entreprise.
De fait, les principales critiques du Medef à l’égard du gouvernement concernent :
- sa timidité à revenir sur la rigidité de la loi sur les 35 heures,
- son immobilisme à supprimer les contraintes du Code du travail,
- la réforme de l’ISF, enterrée et l’abandon du projet d’amnistie fiscale,
- le gel de la baisse de l’impôt sur le revenu,
- sa décision de renoncer à étaler la hausse du SMIC,
- sa décision de réduire le plafond ouvrant droit à réduction de charges de 1,7 à 1,6 SMIC. Et même pour ceux de ces thèmes qui ne relèvent pas par nature de la compétence de l’Etat, l’actuel statu quo avec les syndicats ne permet guère au patronat d’espérer beaucoup de la négociation.
Contrairement aux vœux du gouvernement, qu’il s’agisse de la réforme des 35 heures, des restructurations ou de la réforme du code du travail, les chances d’aboutir à un accord ou même, pour certains sujets, à l’ouverture de négociations semblent en effet problématiques :
- sur les restructurations, malgré le délai impératif du 5 janvier 2005, les discussions sont à peu près bloquées,
- les 35 heures ne semblent pas un sujet de négociation souhaité par les syndicats, sauf par la CFE-CGC. Et des négociations sur ce thème au niveau de l’entreprise seraient même souvent problématiques après la réforme Fillon, malgré les vœux du Medef appelant le gouvernement à autoriser des négociations à ce niveau,
- la réforme du Code du travail recueille la même volonté du patronat et des syndicats de ne pas négocier sur le sujet et de renvoyer gouvernement et Parlement à leurs responsabilités en la matière,
- pénibilité et salariés âgés ; les syndicats accepteraient de négocier, mais le Medef n’y tient pas, craignant la surenchère des centrales syndicales.
Quelles conséquences pour le climat et les relations sociales dans les entreprises ?
Pour cause de stratégies sociales plus ou moins bloquées au niveau national, plusieurs organisations syndicales orientent en ce moment vers le terrain leurs programmes d’action, ce qui devrait avoir pour effet d’accentuer l’activité syndicale au sein des entreprises.
Ainsi la CGT met actuellement l’accent sur le développement avec pour objectif de s’introduire dans les entreprises dont elle est absente. Ce qui pourra conduire à :
- des distributions de tracts à la porte de l’entreprise,
- la désignation de délégués syndicaux et représentants syndicaux au CE dans les entreprises dépourvues de section syndicale CGT,
- le démarchage plus méthodique des salariés en vue de l’adhésion syndicale. La CFDT entend mettre la pression sur les créations d’emploi, avec notamment une semaine d’action du 4 au 9 octobre, dans l’entreprise et dans son environnement (chambres patronales, collectivités territoriales et préfectures). Au programme l’organisation de pique-niques revendicatif le midi suivi de manifestations l’après-midi... Indépendamment des plans d’action des partenaires sociaux, le calendrier des réformes introduit également dans l’entreprise des nouveautés susceptibles d’animer les relations sociales, de permettre aux syndicats de se manifester et d’influer sur le climat social.
Au programme de cette action syndicale d’entreprise pour les semaines et mois à venir :
- la mise en place du droit individuel à la formation,
- la validation des acquis professionnel et ses répercussions par effet mécanique sur les grilles de classification,
- les préretraites,
- les nouvelles règles de la négociation collective et les stratégies inter-syndicales qu’elles impliquent.
Parmi les facteurs de risques actuels pour les entreprises, on peut citer également le fait que les directions d’entreprise ou d’établissement ne semblent pas encore avoir pris la mesure, ou pas autant que les syndicats, des pouvoirs accrus des CHSCT, ni de la montée en puissance de cette institution représentative du personnel.
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