Derrière le débat sur les accords majoritaires se profile celui sur la nature même de la négociation.
L’analyse développée dans Les Etudes sociales et syndicales du 9 octobre dernier (« Négociation collective : le nouveau projet gouvernemental ») nous a valu un nouvel échange avec un professeur de Ressources humaines et management de l’Ouest qui nous dit « ne pas bien comprendre nos quelques commentaires, en particulier sur le changement de nature de la négociation : considérez vous la remarque que vous faites comme un élément positif ou négatif pour la vie contractuelle ? »
On trouvera ci-après la réponse de Patrick CHALMEL. Le débat ne fait que s’ouvrir.
Très schématiquement, nous résumerons l’état actuel de notre réflexion sur le sujet de la manière suivante :
1) Il n’est pas très satisfaisant que quelques professionnels du syndicalisme décident, par la signature d’accords, du sort de salariés qu’ils n’ont même pas l’obligation de consulter. Il faut trouver le moyen d’y remédier.
2) Le problème vient pour une grande part de notre système qui veut que le syndicat n’ait pas besoin d’adhérents pour faire son travail de négociation et que les salariés n’aient pas besoin d’adhérer au syndicat pour en tirer bénéfice (accords notamment).
3) La solution des accords majoritaires est peut-être la bonne, mais pas forcément. En tous cas, elle se met en place progressivement depuis quelques années, par la bande, au détour de tel ou tel ou tel texte, (lois Aubry, accords de méthode en matière de licenciements collectifs...sans qu’une réflexion de fond ait été conduite sur les conséquences profondes de ce changement, (ni de la part du patronat, ni des syndicats, ni de la puissance publique).
4) En attendant, il nous semble en effet, que, grisés par les mots « majorité » et « démocratie », nous sous-estimons peut-être certains effets de l’accord majoritaire.
5) Par exemple l’instabilité que l’on introduit dans la politique contractuelle avec l’obligation de consulter le personnel lorsque l’accord est signé par des « minoritaires » comme c’est encore souvent le cas dans des entreprises ou la CGT est puissante. Un des atouts de la politique contractuelle est de se construire progressivement, dans la durée. Or, le cas du référendum chez Michelin et les déboires ultérieurs de la CFDT, illustrent bien le fait qu’on passe, avec le vote du personnel, à autre chose fait d’imprévisibilité et de court terme, parce que la majorité du personnel peut s’inverser aisément, d’une consultation à l’autre, par exemple pour envoyer un message à la direction dont on est mécontent...
6) Plus profondément, avec le régime actuel traditionnel de la négo., il n’y a qu’une légitimité « de l’entreprise », celle de l’employeur, qui négocie avec une légitimité autre, extérieure, celle d’associations loi 1884. En allant vers l’accord majoritaire, qu’on le veuille ou non, on en vient à faire reposer la validité de l’accord sur une autre légitimité, interne, (« de l’entreprise ») que celle de l’employeur, - qui plus est, démocratique celle-la -, celle de la majorité du personnel. Ce qui change radicalement la nature des choses. On introduit une manière de co-gestion.
7) Est-ce cela que l’on veut ? Peut-être est-ce bien, légitime, etc.. Mais ce qui tracasse, c’est qu’on l’introduise sans que, ni du côté du patronat, ni du côté des syndicats, ni du côté des pouvoirs publics, on l’ait vu, on y ait réfléchi, on l’ait décidé en connaissance de cause.
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