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  • Photo du rédacteurDominique Andolfatto

Les comités d’entreprise européens : premier bilan

Il y a bientôt vingt ans, en 1994, une direction européenne instituait les comités d’entreprise européens. Dominique Andolfatto et Jean-Charles Basson dressent ici, avec prudence, un premier bilan de leur existence. Une chose est assurée : ces comités participent à la construction lente mais concrète de l’Europe syndicale.

Les comités d’entreprise européens (CEE) sont apparus dans les années 1980, à la suite de « contacts informels entre représentants des travailleurs des différents pays européens ». Une cinquantaine de CEE existaient antérieurement à la directive de 1994. Une directive européenne du 22 septembre 1994 (94/45/CE) - révisée en 2009 (directive 2009/38/CE du 6 mai) - précise qu’ils doivent être institués dans toute entreprise de 1000 salariés ou plus implantés dans au moins deux États de l’Union européenne. Ces deux textes prévoient que les salariés d’une entreprise multinationale « soient correctement informés et consultés lorsque des décisions qui les affectent sont prises dans un État membre autre que celui dans lequel ils travaillent ».

- Un millier de comités en fonctionnement -


Depuis la directive de 1994, la croissance annuelle du nombre de CEE est constante et régulière, quoique modérée. En février 2013, 1020 comités en fonctionnement sont dénombrés (mais 1248 ont été créés, certains ayant donc disparu). Ils couvrent environ 18 millions de salariés (principalement dans la métallurgie, les services et la chimie). Un ralentissement des créations de CEE caractérise les années récentes. Selon Romuald Jagodzinski, « il semble que la principale difficulté réside dans les moyens limités des syndicats et des FSE [fédérations syndicales européennes] responsables de la coordination des comités. Dotées de ressources insuffisantes en termes humains et préoccupées avant tout par le soutien et la coordination des CEE existants, ces organisations ne disposent plus que de moyens très réduits à consacrer à la mise en place de nouveaux CEE » (Romuald Jagodzinski, « Les comités d’entreprise européen 18 ans après la directive : une évaluation » Revue de l’IRES n° 71, 2011/4). Pour leur part, les syndicats nationaux, sur lesquels les FSE cherchent à s’appuyer pour favoriser le développement des comités, connaissent les mêmes difficultés que celles-ci, ce qui freine ce développement.


Deux thèses sont en concurrence concernant l’impact des CEE. Pour les uns (euro-optimistes), ils auraient favorisé une européanisation des relations professionnelles et, spécifiquement, une internationalisation de la collaboration entre syndicats. Selon d’autres (euro-pessimistes), ils n’auraient guère remis en cause des systèmes de relations professionnelles avant tout nationaux. Les comités demeuraient donc « sous l’influence des institutions et des traditions nationales. [...] la portée trop restreinte des droits offerts par la directive CEE de 1994 (limités à l’information et la consultation) empêchant l’émergence de droits universels de participation des salariés ». Avec les comités ont toutefois été mises en place des institutions permanentes pour un dialogue social transnational.


- Information et consultation -


La nouvelle directive de 2009 précise et renforce leur rôle en matière d’information et de consultation. Elle consolide également leur lien avec les organisations syndicales et patronales européennes. Elle garantit leurs moyens matériels. On peut notamment y voir un succès tardif- mais encore incomplet - de la CES qui, après l’arrêt de l’usine de Renault-Vilvorde (1997) puis la fermeture par Marks and Spencer de ses magasins en Europe continentale (2001), s’était mobilisée contre l’absence de toute information et consultation des salariés concernés par ces restructurations via les CEE. De même, en 2007, la restructuration d’Airbus était intervenue sans que « les syndicats européens [ne disposent] du détail par site et par emploi [de ce qu’ils appelaient alors le] plan de démantèlement de l’entreprise » (Libération, 16 mars 2007).



Ainsi, le rapport d’activité de la CES présenté lors de son 11ème congrès, à Séville, en mai 2007, mentionnait que « les CEE souffrent d’une position stratégique faible au sein du réseau complexe des relations industrielles qui s’est développé dans de grands groupes multinationaux ». Mais ce même rapport soulignait également les difficultés de construire une institution effectivement transnationale : « L’hétérogénéité des modèles de représentation a été un obstacle au développement harmonieux des comités. Une approche « ethnocentrique » de la diversité a induit une concurrence entre les modèles de représentation au sein des comités d’entreprise européens et, aujourd’hui, elle menace encore leur cohésion interne et, dans certains cas, provoque des conflits ouverts entre délégués » (« On the Offensive for Social Europe, Solidarité, Sustainability », rapport d’activité 2003-2006, CES, Bruxelles, 2007, p. 55-56).


- L’Europe syndicale, un processus complexe -


S’il est encore trop tôt pour dresser un bilan des évolutions introduites par la directive de 2009, qui n’a commencé à s’appliquer que le 6 juin 2011, celui qui peut être fait depuis les années 1990 demeure donc contrasté. Du côté des salariés, selon Jeremy Waddington, « on a fréquemment relevé la rareté des réunions, l’absence de moyens [...], le fait que la direction ne respecte pas les dispositions sur l’information et la consultation, en particulier en cas de restructuration » ( Cité in Romuald Jagodzinski, « Les comités d’entreprise européens 18 ans après la directive : une évaluation », op. cit., p. 60. Sur le non-respect de ces dispositions lors des restructurations, voir Jeremy Waddington, European Works Councils. ATransnational Indestrial Relations Institution in the Making, Routledge, New York-Abingdon, 2011, p. 90-91). De fait, des recherches sur l’activité des comités montrent que « l’information et la consultation au sein des CEE sont de qualité médiocre. Au mieux, la plupart [de ceux-ci] sont des institutions auxquelles la direction des entreprises communique des informations » (Jeremy Waddington, « Comités d’entreprise européens : comment les salariés peuvent-ils exercer une influence ? », Revue de l’IRES, n° 71, 2011/4, p. 23-50 (p. 45).



Carte de l’Union européenne


Cependant, les échanges intervenus dans le cadre des comités ont pu conduire aussi à des accords collectifs transnationaux et donc favoriser une négociation collective transnationale, ce qui montre la fécondité effective ou potentielle de l’institution. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, les CEE ont pu servir aussi de cellules d’appui pour la mise en place d’une régulation sociale qui était jusque-là défaillante. Reste que les syndicalistes présents dans les comités peuvent encore trouver leurs homologues européens (en l’occurrence ceux des FSE, censés les soutenir) éloignés de leurs préoccupations, « pas assez concrets » et ne pas connaître ou comprendre leur position (pour faire allusion au témoignage d’une représentante syndicale française au sein du CEE d’Areva, Maureen Kearney) (Interviewée dans Métis. Correspondances européennes du travail, 21 avril 2011). Enfin, une partie des représentants au sein des comités sont même coupés des organisations syndicales et ne reçoivent de celles-ci ni soutien, ni informations, ni formation spécifique. Quant à l’approche des organisations syndicales, elle apparaît loin, parfois, de correspondre aux réalités des CEE, dont le rôle effectif paraît bien en deçà des attentes (voir, par exemple, l’approche de la CGT dans l’encadré ci-dessous). L’européanisation du syndicalisme, à travers les comités, apparaît au total comme un processus complexe mêlant avancées progressives, résistances et inerties. Mais c’est bien une Europe concrète qui paraît s’édifier.


La CGT et les comités d’entreprise européens entre luttes et réalisme [1]

« De plus en plus de militants de la CGT assument des responsabilités dans les comités d’entreprise européens (CEE).

Pour la CGT, les CEE sont un moyen de peser sur les directions des groupes et des multinationales dont les centres de décisions sont de plus en plus concentrés et éloignés des salariés, de revendiquer des droits et moyens dans l’ensemble des institutions représentatives nationales et européennes, « afin de permettre l’intervention légitime des salariés sur les choix de gestion, les choix économiques, sur les stratégies de production, d’emplois et d’implantation des entreprises, afin de placer l’économie au service du social » (chapitre 2 du Document d’orientation du 48e congrès de la CGT, 24-28 avril 2006 et décision n° 12).

La crise économique mondiale actuelle ne fait que renforcer le besoin, pour les travailleurs, de pouvoir intervenir au niveau où les décisions réelles se prennent. Les premières conséquences palpables de cette crise systémique se traduisent par des restructurations, des licenciements, des fermetures de site, le gel des salaires, etc. Dans ce contexte, nul doute que les CEE, partie prenante d’une stratégie CGT offensive, ont un rôle à jouer pour lutter contre la mise en concurrence des sites de production, le dumping social et pour construire des solidarités transfrontalières nécessaires.

Les CEE sont un outil de lutte efficace. Par exemple, lors de la fusion entre GDF et Suez, le CEE de GDF a exigé le respect de sa procédure d’information-consultation et bloqué la fusion pendant deux ans [2], ce qui a permis de négocier des garanties sociales pour le personnel et de créer un rapport de forces favorable pour la renégociation de l’accord de CEE.

La directive européenne à l’origine de la création des CEE vient enfin d’être révisée [3]. Même si la CGT estime que le nouveau texte ne répond pas à l’ensemble des revendications syndicales, elle considère néanmoins qu’il faut l’utiliser dès maintenant pour renforcer les prérogatives et attributions des CEE en exigeant la renégociation des accords existants et la mise en place de CEE dans les entreprises qui n’en sont pas encore dotées [...]. »



Les syndicats en France, sous la direction de Dominique Andolfatto, nouvelle édition révisée et actualisée, à La Documentation française, 2013, 238 pages, 19,50 €.

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