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Les intermittents : de l'agitation convulsive à l'action syndicale

Les intermittents du spectacle s'abandonnent à l'agitation destructrice. Ils ont mieux à faire : construire une véritable action syndicale.


Le conflit des intermittents du spectacle a révélé la méconnaissance - le mot est faible - dont, dans son immense majorité, l’opinion publique fait preuve dès qu’il s’agit des affaires syndicales, des mécanismes de l’action syndicale. Sans doute pourrait-on étendre ce jugement à la presse écrite ou parlée, si l’on ne soupçonnait que, dans certains cas, c’est intentionnellement que les journalistes ont déformé certains aspects des choses. Car on ne peut tout de même pas penser que c’est par ignorance que le 13 juillet, sur France 3 comme sur TF1, dans le journal du soir, des présentateurs de grand renom ont parlé de l’accord conclu à l’UNEDIC sur le régime des intermittents comme « la réforme du gouvernement »


- L’UNEDIC n’est pas une affaire gouvernementale -


Certes, le gouvernement doit avoir un œil sur toutes choses, pour parer aux dérapages et empêcher les abus, mais juridiquement et pratiquement, il n’a rien à voir dans l’accord que les artistes ont dénoncé comme l’abomination de la désolation.


Comme l’a excellemment rappelé le président de la République dans sa conférence de presse du 14 juillet, donnant ainsi une leçon de bonne information journalistique à ses deux interlocuteurs, l’accord n’était pas l’affaire du gouvernement. Elle était celle des partenaires sociaux, des organisations professionnelles patronales et salariales. Ce sont elles qui, le 31 décembre 1958, - la CGT étant absente -, ont signé la grande convention qui a créé l’assurance-chômage et qui, depuis lors, n’ont cessé de l’adapter pour lui permettre d’épouser toujours mieux une réalité changeante et cela sans qu’il y ait jamais de crise majeure. Aucun gouvernement n’a d’ailleurs songé à transformer cette convention en loi, et cela pour le plus grand bien de tous, et tout d’abord de l’ordre public. On se dit que si le système des retraites, au lieu de reposer sur une loi, reposait sur une convention, comme c’est d’ailleurs le cas pour les régimes de retraites complémentaires, nous n’aurions sans doute pas connu la crise qu’a provoquée l’adaptation de ces régimes aux impératifs de l’économie et de la démographie.


Le gouvernement, en ce domaine contractuel, n’a pas d’autre pouvoir, outre ceux qu’il a comme en tout domaine pour assurer le respect des contrats, que de prendre des arrêtés d’extension, pour rendre obligatoire l’application des conventions, passées à l’échelon national entre les organisations professionnelles, dans les entreprises qui n’adhèrent pas à l’une des organisations patronales signataires. A cette occasion, il peut demander des modifications au texte dont l’extension est réclamée, et c’est d’ailleurs ce qu’il vient de faire.


En bonne logique, même sans cet arrêté d’extension - appelé aujourd’hui abusivement : agrément gouvernemental - toute convention régulièrement conclue est applicable dans les entreprises affiliées à l’organisation patronale signataire.


- L’aide de l’Etat vise autre chose -


Bref, si, comme l’a bien dit le chef de l’Etat, l’aide à l’activité artistique en tous genres est un problème d’intérêt national, c’est à l’Etat de la prendre en charge et de la financer par l’impôt, c’est-à-dire par l’ensemble des citoyens, et non aux organisations professionnelles, dont la compétence en la matière n’est pas avérée et qui ne disposent comme ressources que les prélèvements faits, sous forme de cotisations patronales et de cotisations salariées sur les salaires des travailleurs du secteur privé.


La solidarité interprofessionnelle est assurément une bonne chose. Encore faut-il ne pas la confondre avec la solidarité nationale. Et il ne faut pas oublier non plus que la solidarité suppose la réciprocité. Sinon elle tourne au parasitisme.


On ne voit pas pourquoi ce serait aux salariés du textile, de la métallurgie et du bâtiment - qui ne comptent pas parmi les plus grands consommateurs de spectacle - de financer la nécessaire « exception culturelle » française.


Revenons aux intermittents du spectacle. De toute évidence, la solution de leurs problèmes ne dépend pas de la plus ou moins grande complaisance des responsables de l’UNEDIC à mettre à la charge des autres catégories socio-professionnelles le chômage si spécifique de leurs professions. Il est d’établir, entre organisations de salariés et de patrons du spectacle un statut .clair et précis des professions du spectacle, précisant les conditions d’embauche, de travail et autres et cherchant à faire assumer par la profession l’essentiel de ce qu’on appelle les charges sociales. Et l’opinion publique a appris - c’est le seul côté positif du mouvement - que, dans ce domaine-là, il y a beaucoup à faire. Et que, si l’on y faisait quelque chose, tout le monde y verrait plus clair.


On a appris, ainsi, ce que le chef de l’Etat a confirmé - que les employeurs de la profession (et, paraît-il, non des moins connus) payaient par exemple quinze jours sur un mois de travail et laissaient l’autre moitié à la charge de l’UNEDIC.


Qu’il faille poursuivre ces employeurs indélicats, comme le président de la République l’a réclamé avec une indignation qui n’était pas feinte, tout le monde en conviendra et tout le monde conviendra aussi que la tâche sera rude, car nombre de ces délinquants comptent parmi ceux qui fabriquent l’opinion et ils possèdent assurément beaucoup mieux l’art de la communication que les inspecteurs du travail.


Mais ce serait faire bien peu de cas de la dignité des intermittents eux-mêmes que d’oublier leurs responsabilités dans leur situation présente.


Ne parlons même pas des responsabilités individuelles de ceux qui - souhaitons qu’ils ne soient pas très nombreux - profitent frauduleusement de leurs trop nombreuses périodes de chômage pour « travailler au noir », tout en percevant les allocations UNEDIC.


- S’engager dans l’action syndicale -


C’est de leurs responsabilités collectives qu’il s’agit, et elles sont considérables.


Tous ceux qui les ont précédés dans l’action syndicale ont mis peu à peu au point tout un appareil de défense et de promotion des intérêts corporatifs qui a fait ses preuves dans bien d’autres branches professionnelles.


Puisqu’ils ont de l’énergie revendicative à revendre, qu’ils l’emploient donc à bon escient ! Qu’ils cessent donc et de semer le désordre sur la cité et de briser leur outil de travail comme les ouvriers d’il y a 150 ans et plus. Qu’ils se conduisent selon la vieille formule des syndicalistes, d’autrefois, en « travailleurs conscients et organisés ». Que leurs syndicats demandent aux organisations patronales des métiers du spectacle d’entamer une négociation pour résoudre de façon équitable les problèmes de la profession.


Marc Blondel - pour qui le MEDEF est par définition responsable de tout ce qui va mal - a demandé pourquoi le vice-président de l’UNEDIC , actuellement représentant qualifié du MEDEF n’avait pas mis les employeurs de ce secteur devant leurs responsabilités (FO Hebdo 09 juillet 2003). Que n’a-t-il adressé aussi ce reproche ou cette exhortation aux syndicats des travailleurs du spectacle ?


S’ils veulent se conduire en syndicalistes, c’est-à-dire s’ils veulent faire leurs affaires eux-mêmes, c’est à eux d’appeler les organisations patronales à la négociation et de s’entendre avec elles pour mettre dans la profession de la clarté, de l’honnêteté et de la justice, autrement dit de l’ordre. Et s’ils se heurtaient à un refus patronal, ils n’auraient qu’à s’adresser au ministre chargé du travail de provoquer lui-même la réunion d’une commission mixte où s’engagera la négociation.


Que les intermittents n’aillent surtout pas se dire qu’il n’y a qu’à laisser faire le gouvernement, puisque le chef de l’Etat a promis que, avant la fin de l’année, un système d’aide à la création culturelle serait mis en place. Il s’agit là de tout autre chose, de l’exception culturelle, nous l’avons déjà dit, du droit que conserve l’Etat français de protéger les activités culturelles en France, quand elles risquent d’être mises à mal par leur abandon aux lois du marché.


Ce qu’ont à résoudre eux-mêmes les intermittents du spectacle, ce sont les problèmes que posent dans leurs professions comme dans toutes les autres, les rapports entre salariants et salariés, le taux des salaires, leur mode de paiement, les conditions de travail, etc...


Qu’ils le fassent, et l’on ne pourra plus, comme aujourd’hui, les taxer d’infantilisme révolutionnaire, d’agitation destructrice.

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