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  • Photo du rédacteurBernard Vivier

Les manifestations du 4 octobre entre révolte et désenchantement

Mardi 4 octobre, les manifestations syndicales ont rassemblé, selon les organisateurs, plus d'un million de personnes dans les grandes villes de France. C'est pourtant moins la révolte qui menace que le désenchantement.


C’est une spécialité française. Alors que, partout en Europe, la négociation et la recherche du compromis positif caractérisent les relations sociales, la France, digne héritière d’Astérix et du Front populaire, continue à pratiquer une culture de l’affrontement et de la manifestation bruyante.


Après les défilés du 10 mars dernier, les manifestations de mardi dernier s’inscrivent bien dans la tradition.


Originellement centrés sur le « contrat nouvelle embauche » et sur les critiques à son encontre, les appels à la manifestation se sont largement diversifiés. Si les slogans sur l’emploi et le pouvoir d’achat étaient très présents, ces manifestations ont surtout donné le sentiment d’une expression de malaise.


La première fronde contre Villepin


C’est peut-être là la leçon politique et sociale de cette journée.


Après un démarrage gouvernemental assuré (les cent premiers jours chers au Premier ministre, au cours desquels il su affirmer sa volonté d’action), Dominique de Villepin rencontre ici sa première fronde sociale. A la différence du gouvernement précédent, celui-ci ne semble pas - ou pas encore - durement affecté dans sa côte de popularité. La conjoncture économique est incertaine et les contraintes budgétaires offrent peu de marges de manœuvre. Le poids du chômage, loin d’être un agent actif de révolte, agit plutôt dans le sens du repli collectif. Les revendications tous azimuts et les interpellations au gouvernement ressemblaient moins à des cris d’exigence qu’à une expression de malaise généralisé.



En ce sens, le gouvernement Villepin ne devrait pas se trouver gravement menacé par ces manifestations. D’autant plus que l’opposition politique se montre, pour des raisons internes, atone. Le PCF s’interroge sur sa stratégie électorale, allant jusqu’à se questionner sur la présence d’un(e) candidat(e) communiste à l’élection présidentielle. Le PS, pour sa part, offre, à l’approche de son congrès (fin novembre au Mans), le spectacle généreux d’une dizaine de candidats potentiels à l’élection présidentielle !


Pour leur part, les syndicats sont hésitants à donner une suite bruyante au 4 octobre, suite dont le bénéfice profiterait surtout à la CGT. D’où la prudence des autres syndicats.


Un vrai malaise social


Mais cette traversée des orages sociaux du 4 octobre dernier n’est peut-être tranquille qu’en apparence. Le malaise social n’est pas une vue de l’esprit. Le 29 mai dernier, le vote négatif au referendum européen a moins exprimé un refus du projet européen qu’un mécontentement général latent et qu’une méfiance à l’encontre des pouvoirs politiques établis. L’UMP, l’UDF et le PS, tous trois qualifiables de partis de gouvernement, n’ont pas été suivis dans leurs appels à voter oui au referendum.


Les manifestations du 4 octobre expriment à leur tour une inquiétude générale devant la dureté des temps, les difficultés de la vie chère et de l’emploi difficile, la disparition des garanties sociales mises en place et gérées par l’Etat depuis plusieurs décennies.


Un risque de désengagement


Alors que l’année 2006 est définie comme une année politiquement sans existence propre (2006 n’existe que par rapport à l’année suivante, c’est-à-dire par rapport à l’élection présidentielle du printemps 2007), le sentiment gagne que la désimplication et le désengagement se développent. Ceci est vrai dans l’expression politique, avec un risque fort de transfert des voix du « grand centre » (UMP + UDF + PS) vers les partis de bordure et avec un risque de voir se reproduire en 2007 le scénario du premier tour de l’élection présidentielle du 21 avril 2002 (défaite, dès le premier tour, d’un candidat du « grand centre »). Ceci est vrai aussi dans les entreprises où l’on observe démotivation et « fatigue des élites » (voir le livre pertinent publié cette année sous ce titre par François Dupuy, au Seuil) et où l’on redoute, sur fond d’affaiblissement des syndicats du « grand centre », la montée du radicalisme militant type SUD ou CNT. Ceci est vrai enfin dans la société toute entière, bousculée par la montée des actes de désobéissance civile (faucheurs d’OGM, pirates de bateaux en Méditerranée, occupations d’immeubles, actions anti-publicité, etc), montée qui prend appui sur un repli individualiste (le mensuel Les Enjeux - Les Echos de juillet-août dernier consacrait un numéro entier au thème « Moi d’abord », avec un nombril en photo de couverture).



C’est moins, au total, la révolte qui menace, conduite par des syndicats qui auraient un comportement frontal et exigeant, que le désenchantement, le repli sur soi et, ponctuellement, la désobéissance et la violence ciblée.


Le rôle de l’Etat


Face à la violence ciblée, le gouvernement ne peut pas faire l’économie de la fermeté. L’affaire de la SNCM constitue, sur ce point, un véritable test qui sera interprété à sa juste mesure par les syndicats (et notamment par la CGT, elle aussi confrontée aux actions de débordement du Syndicat des travailleurs corses proche des indépendantistes).



Face au désenchantement, le gouvernement ne peut pas faire l’économie d’une relance du dialogue social. Or, pour être efficace, celui-ci ne peut pas se réduire à un échange syndicats-pouvoirs publics. Le dialogue social est d’abord celui des partenaires sociaux, c’est-à-dire des syndicats et du patronat. Le grain à moudre de la négociation ne manque pas, depuis les négociations nationales achevées (accord du 19 juillet dernier sur le télétravail : 1,5 million de personnes concernées) ou en cours (emploi des seniors, pénibilité) jusqu’aux négociations de branche (un millier en 2004) ou d’entreprise (14 000 en 2004, soit deux fois plus qu’il y a dix ans).


Encore faut-il que cette relance du dialogue social ne soit pas entravée par l’Etat qui, selon les circonstances, soit intervient directement et édicte lui-même la règle en étouffant toute négociation patronat-syndicats, soit donne satisfaction aux revendications d’un des partenaires sociaux sans, là encore, inviter les deux parties à construire par elles-mêmes les accords nécessaires.


Le rôle de l’Etat est moins, dans la vie sociale, de faire que de faire faire, de laisser faire (si tant est que cette expression est à lire dans le sens de la liberté d’action et non pas dans celui du relâchement de l’action).


A sortir de son rôle de garant des grands équilibres, l’Etat court le risque de la critique portée à l’encontre de celui qui se mêle de ce qui ne le regarde pas.

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