Le congrès de la succession de Bernard Thibault à la tête de la CGT ne pouvait pas être en même temps un congrès décisif en termes d'orientation. Il a donc réactualisé des revendications anciennes, tout en jouant habilement de l'opposition de la CGT à l'accord sur la sécurisation de l'emploi du 11 janvier 2013, pour faire vivre aux 1000 délégués un congrès combatif à défaut d'être transformateur.
Les orientations de la CGT définies au 50ème congrès de Toulouse, du 18 au 22 mars 2013, résultent d’un exercice doublement délicat. Tout d’abord, il a fallu ajuster la rédaction des documents préparatoires du congrès aux différents épisodes de la crise de succession de Bernard Thibaut. Ces textes, éminemment politiques, ne pouvaient pas être finalisés tant que l’appareil de la CGT ne s’était pas mis d’accord sur le nom du successeur, et donc de la ligne qu’il allait incarner. Même s’il n’y avait pas de suspense sur la poursuite du travail de fond entrepris depuis quatorze ans, il restait un dosage à faire, qui ne fut arbitré qu’en décembre 2012 avec la désignation de Thierry Lepaon. La seconde difficulté tenait au contexte lui-même. La CGT, alliée à la CFDT pour faire adopter la réforme de la représentativité syndicale en 2008, a participé depuis cette époque à une intersyndicale qui a traversé la crise de 2008-2009 et le conflit contre la réforme des retraites de 2010. Or elle vient par deux fois de se retourner contre son alliée. En novembre et décembre 2012, la CGT s’est trouvée en concurrence avec la CFDT lors des élections dans les TPE. Depuis la signature par la CFDT de l’accord sur la sécurisation de l’emploi du 11 janvier 2013, les dissensions entre les deux organisations ont éclaté au grand jour.
18 au 22 mars : le 50ème congrès confédéral de la CGT
Tensions à l’intérieur, tensions à l’extérieur, tout cela devait nécessairement peser sur le congrès. Est-ce que cela a pesé sur les orientations décidées ? Peu en réalité, pour un congrès dominé par deux types de débats : ceux de portée générale sur le programme de la CGT, et ceux d’ordre interne sur l’organisation elle-même.
- Des orientations déjà connues -
Les orientations générales prennent en compte la complexité de la situation syndicale face à une crise systémique, dont l’impact sur le salariat amplifie le risque de précarité. Les réponses politiques, de droite comme de gauche, ont été de prendre des décisions que la CGT dénonce comme une politique d’austérité. Elle entend donc développer « une démarche de négociation assise sur la construction du rapport de force indispensable face à un patronat lui aussi déterminé et un gouvernement insuffisamment à l’écoute des salariés » (Rapport d’orientation du 50ème congrès). Mais comment construire le rapport de force si l’on est isolé ? Et comment s’unir si l’on est concurrent ? C’est tout le défi de la représentativité syndicale, qui a conduit la CGT à se rapprocher de la FSU ou, tactiquement, de Solidaires mais aussi de FO.
En effet, la CGT entend bien ne pas renoncer à ses propres revendications au nom d’un « syndicalisme rassemblé » qui a été l’objet de nombreuses critiques lors du congrès. Rappelant sa volonté d’une nouvelle répartition des richesses et de la transformation du travail, la CGT a conçu pour cadre de référence le projet d’un « développement humain durable », qui englobe sa revendication à un « statut du travailleur salarié » et à la mise en place d’une « sécurité sociale professionnelle ». Elle y défend sa conception de la protection sociale et de la santé, des services publics et de la démocratie sociale. Ces thèmes ne sont pas une nouveauté de 2013 : ils figuraient déjà au programme du 49ème congrès en 2009.
Sur ces sujets, les ambitions de la CGT sont précises. Il s’agit d’obtenir plus de droits dans les domaines suivants :
« l’affrontement déterminant sur les salaires » (Rapport d’orientation) ;
la lutte contre les discriminations ;
une politique familiale solidaire ;
des recettes supplémentaires pour la sécurité sociale.
De façon surprenante, le thème prioritaire de l’emploi n’apparaît pas ici. Il a pourtant traversé une grande partie des débats, mais en creux, parmi les discours des orateurs ou les interventions des délégués, qui furent nombreuses de la part de fonctionnaires et de salariés d’entreprises à statut non concernés par la question du chômage. Le thème de l’emploi a donc été abordé, mais sous un angle politique, avec des propos parfois très critiques contre la politique gouvernementale, et plus généralement contre le libéralisme et le capitalisme financier. La question des plans de sauvegarde de l’emploi fut peu débattue en elle-même et les salariés des « entreprises en lutte » n’ont pas été fêtés en séance plénière comme d’autres années. A l’inverse, la CGT avait innové en ouvrant un « espace entreprise » où Total, Véolia, Areva, la SNCF ou Carrefour tenaient des stands bien déserts, à côté de celui de Fralib, bizarrement installé dans le même hall, mais animé par des salariés en conflit depuis plus de 900 jours contre la fermeture de leur usine.
- Des débats animés sur l’organisation interne -
Les résolutions d’orientations touchant à l’organisation ont fait l’objet de débats animés, parfois sans ménagement. Ainsi, l’échec de la lutte contre la réforme des retraites en 2010 a donné lieu à plusieurs mises en cause de la stratégie confédérale. Les retraités eux-mêmes, en tant qu’adhérents de la CGT, ont pesé en faveur du rejet de la 7ème résolution, qui prévoyait pourtant une mise à jour de deux articles des statuts de la CGT indispensable à leur mise en conformité avec la loi. Bernard Thibault a dû venir demander au congrès de revoter ces deux articles en promettant l’ouverture d’un débat dans tous les syndicats sur la place des retraités à la CGT. Ce débat débouchera sur la mise à l’ordre du jour du prochain congrès, dans trois ans, d’une résolution issue de ces travaux. L’enjeu n’est pas mince : les retraités syndiqués ont droit à une-demi voix aux votes du congrès, alors que les actifs valent une voix. Or les jeunes retraités prennent une place très active dans les structures de la CGT : tenue de permanences, animation de formations, activités militantes diverses. Cependant, avec le départ en retraite de la génération du baby-boom, ces retraités pourraient constituer un bloc électoral très puissant s’ils étaient dotés d’une voix entière. Il faudra donc déminer ce sujet sensible.
Il a aussi été question du « processus démocratique de désignation des candidats CGT lors des élections professionnelles », où l’insistance a été mise, non sur la démocratie elle-même, mais sur la nécessité pour les mandatés de « rendre compte de leur mandat auprès de l’organisation qui a attribué le mandat » (Règle de vie de la CGT). Le processus démocratique en question se limite finalement à prévoir que « les syndiqués sont informés des candidatures et consultés en vue de la désignation » (idem).
Enfin, d’autres points d’organisation ont permis d’entrevoir la CGT de demain. Cette CGT, qui se veut plus proche des salariés, a tiré un bilan encourageant de la création des syndicats de site, de zone d’activité ou de centre commercial, même s’ils nécessitent de bousculer les règles du syndicalisme de métier, attaché à une fédération selon la convention collective de référence. Le chiffre des adhésions annoncé est en hausse et les comptes de la CGT se redressent peu à peu.
En conclusion, ce congrès a bénéficié d’un esprit de mobilisation contre l’accord sur la sécurisation de l’emploi qui a permis de faire consensus. Thierry Lapaon a été très applaudi lorsqu’il a annoncé une journée nationale d’action contre cet accord. La CGT n’est jamais aussi soudée que dans les luttes. Cet appel à l’action a fait de lui un vrai secrétaire général.
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