Les perspectives sont à l'envol de l'actionnariat salarié. Les milieux syndicaux sont plutôt réticents. Les gouvernements de notre pays le sont beaucoup moins.
Prise au sens large, l’épargne salariale (participation, intéressement et plans d’épargne entreprise) représentait en France, au 30 juin 2000, un encours de 374 milliards de francs (57,02 milliards d’euros). Le phénomène prend de l’essor en France comme il en a pris dans le reste de l’Europe, où la communauté financière se montre très favorable à la présence des salariés dans le capital des entreprises.
Un phénomène observé dans toute l’Europe
Certes, le phénomène n’est pas observable de façon égale dans les entreprises françaises. Seul un tiers des salariés du secteur privé, soit 6 millions de personnes, sont concernées. Et ce sont les personnels des grandes entreprises qui en profitent en priorité puisque 97% des petites et moyennes entreprises n’ont pas encore de dispositif.
Mais le décalage observé entre grandes et petites entreprises de notre pays n’est rien, si on compare notre pays - toutes tailles d’entreprises confondues - avec les autres pays industrialisés.
Au Royaume-Uni, plus de 63% des salariés ont accès à l’épargne salariale et près de 85% aux Etats-Unis. Le système britannique concerne ainsi 22 millions de personnes, pour 900 milliards de dollars d’actifs. Aux Etats-Unis, 53 millions de salariés portent 1555 milliards de dollars d’actifs.
Il est clair que la France ne restera pas durablement dans une telle position de retrait. Cette évolution aura des conséquences sur la structure du patrimoine de nos concitoyens, aujourd’hui fortement placé dans des produits bancaires de type sicav monétaires, livret ou épargne logement. Ce type de placement représente en France 49% du patrimoine, contre 31% au Royaume-Uni ou même 24% en Italie. Quant aux actions cotées, elles restent encore un instrument peu privilégié, représentant 10% du total, contre 30% au Royaume-Uni, proportion expliquée par la place importante des fonds de pension.
Les mécanismes issus de la loi Fabius du 20 février 2001 sur l’épargne salariale vont contribuer à accélérer le mouvement, avec deux nouveaux dispositifs : les plans d’épargne inter-entreprises (PEI) et les plans partenariaux d’épargne salariale volontaire (PPESV).
Des avantages multiples
Les différentes enquêtes et mesures d’opinion convergent : si le mouvement est appelé à s’amplifier, c’est qu’il présente, tant aux yeux des chefs d’entreprise que des personnels, de nombreux attraits. L’enquête menée en 2000 par le Centre de recherche sur la participation financière à Bruxelles (sous la direction du professeur Francine Van den Bulcke) auprès de 575 grandes sociétés européennes rejoint, dans ses conclusions, le sondage réalisé en mai 2000 auprès de 201 sociétés cotées et non cotées par Altédia pour l’Observatoire de l’actionnariat salarié en Europe.
Pour la très grande majorité des sociétés interrogées, l’actionnariat salarié va prendre de l’importance. Les raisons sont multiples :
- l’actionnariat salarié est apprécié comme un outil efficace de management en renforçant chez le salarié son sens de l’implication, de l’identification avec l’entreprise et de la compréhension de ses objectifs ;
- l’actionnariat salarié constitue un moyen efficace de valoriser l’image de l’entreprise. En période de retournement du marché du travail - c’est le cas en France en ce moment - et de raréfaction de certaines compétences, l’actionnariat salarié permet de valoriser l’entreprise aux yeux des salariés et de fidéliser ces derniers. Le développement des stock-options à un nombre plus large de cadres pourrait s’en trouver encouragé ;
- l’actionnariat salarié apporte une rémunération exonérée de charges, situation appréciable tant pour les entreprises que pour les salariés. C’est un moyen de redistribution de la richesse créée, en complément de la politique salariale ;
- l’actionnariat salarié contribue à la stabilité du capital social des entreprises. L’étude du cabinet Altédia indique que la part du capital des entreprises détenu par leurs salariés se situe en moyenne à 7%. Selon les sociétés interrogées, cette part devrait être plus importante (jusqu’à 30%) pour que l’actionnariat salarié ait un sens solide. Il n’empêche que certaines secousses boursières ont récemment montré l’efficacité, pour la défense d’un titre, d’un actionnariat salarié attaché à son entreprise et décidé à jouer un rôle " anti-OPA ".
Des gouvernements à l’écoute du phénomène
À ces raisons propres au fonctionnement des entreprises, s’ajoute, pour des considérations macro-économiques, l’attitude des gouvernements de notre pays qui, tant de droite que de gauche, cherchent désormais à organiser et à utiliser le mouvement.
C’est ainsi que le 7 octobre 2000, à la convention du Parti socialiste sur les entreprises (quelques semaines avant le congrès du Parti socialiste), François Hollande, premier secrétaire, ne cachait pas son intérêt pour les formules de participation, se plaçant ainsi, sans grand complexe, dans la trace du gaullisme social.
C’est ainsi encore que l’opposition parlementaire, notamment celle qui s’inscrit dans la tradition gaulliste de la participation, n’a pas développé de critiques de fond sur les orientations générales du rapport Balligand-de Foucauld commandé par le premier ministre Lionel Jospin. Les propositions formulées par le député RPR Jacques Godfrain ou par le sénateur RPR Jean Chérioux (pour ce dernier, on lira utilement son rapport rédigé en octobre 1999 sur le développement de l’actionnariat salarié) ne sont pas en rupture avec les mesures prises ces derniers temps par le gouvernement socialiste. Lancés par le ministre de l’économie et des finances, Dominique Strauss-Kahn, les projets de réforme de l’épargne salariale ont été consciencieusement repris et menés à leur terme par l’actuel ministre de l’économie, Laurent Fabius.
Et il ne fait guère de doute que les dispositifs mis en place par la loi du 20 février 2001 (PEI et PPESV) ne seront pas sans effet sur les recherches actuellement menées pour trouver des réponses satisfaisantes à l’évolution de notre système de retraites.
Pour l’heure, le débat n’est pas officiellement ouvert. Les inquiétudes développées par les organisations syndicales laissent encore penser qu’épargne salariale et retraites sont et resteront déconnectées. Mais pour combien de temps ? Les résultats d’un sondage mené début 2001 par Hewitt, J-P. Morgan, Fleming et Interépargne auprès de 1300 entreprises françaises soulignent l’intérêt des entreprises pour les nouvelles formules gouvernementales. Lesquelles pourraient prochainement être utilisées pour introduire en France les fonds de pension et les dispositifs de retraite complémentaire par répartition.
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