Les syndicats sont légitimes à s'exprimer sur les questions sociales, nombreuses dans le débat politique de l'élection présidentielle. Mais la distinction entre action syndicale et action politique n'est pas chose facile. La CGT s'engage ouvertement contre le candidat Sarkozy. La CFDT est beaucoup plus prudente et tient à ne pas prendre parti. Mais elle n'en est pas moins critique.
Coût du travail, compétitivité-emploi, TVA sociale, bas salaires, hauts revenus, logement, désindustrialisation, formation des chômeurs : cette liste - non exhaustive - des nombreux sujets sociaux nourrissent les débats électoraux actuels.
Les candidats à l’élection présidentielle et, après eux, ceux engagés dans les élections législatives mesurent déjà l’importance des questions sociales dans les choix politiques du printemps tout proche.
Jamais les ténors politiques n’ont autant sillonné les usines en difficulté et jamais les partis n’ont été aussi attentifs au vote des « classes moyennes », ne sachant guère, au demeurant, si de son côté, l’inquiétude des classes ouvrières se traduira par un vote plutôt à gauche, à l’extrême gauche ou à l’extrême droite de l’échiquier politique.
Les syndicats, pour leur part, ne restent pas muets. Certains expriment même un discours plus que critique à l’encontre du bilan du président de la République, c’est-à-dire un discours qui devient hostile au candidat Sarkozy.
- CGT : vent debout contre Sarkozy -
Sur le registre de l’anti-sarkozysme, c’est la CGT qui est la plus active. Le 31 janvier dernier au Zénith de Paris, Bernard Thibault, son secrétaire général lançait : « La CGT sait faire la distinction dans l’attitude des partis politiques : il y a ceux qui font preuve de compréhension, voire de soutien à nos combats syndicaux et ceux qui les ignorent ou sont responsables de nos colères ».
Vent debout contre les récentes intentions gouvernementales (TVA sociale, accords compétitivité-emploi), Bernard Thibault faisait, à dix reprises, se dresser la salle à l’évocation du nom du président de la République. Et il ajoutait : « Je voudrais dire aussi aux députés que nous saurons rafraichir la mémoire des salariés électeurs » lors des élections législatives, en juin prochain.
Au premier rang, quatre candidats à la présidentielle ne boudaient pas leur satisfaction : Eva Joly (EELV), Philippe Poutou (NPA), Nathalie Arthaud (LO) et Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche). Les applaudissements dont ce dernier a bénéficié s’expliquent aisément. Par la personnalité du candidat, tout d’abord, vrai tribun et homme de contact avec les militants de terrain. Par la présence massive aussi de nombreux militants communistes qui, privés d’un candidat PCF à la présidentielle, entendent donner à leur parti une place centrale au sein du Front de gauche. A la CGT, ces mêmes militants sont toujours très actifs.
Les évolutions, certaines depuis plus de dix ans, de la CGT dans son positionnement et ses pratiques peuvent, non sans raison, être interprétées comme un passage progressif du syndicalisme de contestation à un syndicalisme considérant davantage la négociation. Cette conjugaison de la contestation et de la négociation s’explique par la nécessité de ne pas rester enfermé dans une logique militante qui a fait faillite en politique (1,9 % pour le PCF au premier tour de l’élection présidentielle en 2007) et qui n’est plus pratiquée dans le reste de l’Europe syndicale.
Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de gauche
Mais cela ne peut se faire que dans le temps. On ne peut pas faire évoluer en quelques années seulement une organisation passée en 1947 sous le contrôle étroit du Parti communiste, lui-même inféodé à une puissance étrangère. Les tenants de l’ordre communiste occupent toujours des positions-clé au sein de la CGT.
Au moment où Bernard Thibault annonce qu’au congrès de mars 2013 (au plus tard), il passera le relais, la question n’en prend que plus de signification.
Nous sommes loin, désormais, de l’année 2007 où les relations entre Bernard Thibault et Nicolas Sarkozy avaient permis d’installer une sorte de « rapport de forces constructif », permettant à l’un de conduire la réforme des retraites et à l’autre d’éloigner les fonctionnaires et personnels à statut de l’essentiel de la réforme des retraites et, sur un autre plan, de tirer le meilleur parti des nouvelles règles de représentativité syndicale.
Ce durcissement CGT à l’encontre de Nicolas Sarkozy était perceptible dès 2010, au moment de l’achèvement de la réforme des retraites. Il est passé à une expression ouverte fin 2010 et entre aujourd’hui dans une phase plus dure. Le 12 janvier dernier, sortant d’une rencontre avec François Hollande, Bernard Thibault déclarait déjà : « La CGT regroupe des adhérents et sympathisants qui aspirent à un changement de président de la République ».
Cette posture CGT de durcissement du discours et de retrouvailles d’une expression syndicale qui se prolonge en une expression politique, surprend ses partenaires syndicaux.
- La tradition Force ouvrière : indépendance -
Force ouvrière, la CFTC et la CFE-CGC sont traditionnellement rétives à tout positionnement électoral. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, réaffirme une position fondamentale de son organisation, dont un des grands principes d’action est l’indépendance à l’égard de toute autre force, notamment politique. Dans un document énonçant les revendications syndicales - c’est-à-dire professionnelles - de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly indique : « Force ouvrière ne donnera aucune consigne de vote à l’occasion des élections présidentielles [de l’élection présidentielle, devrait-on lire, puisque un seul poste est à pourvoir] et des élections législatives qui suivront. (...). Cela ne signifie pas pour autant qu’une période électorale politique est une période d’abstinence revendicative. Il nous appartient donc d’affirmer ou de réaffirmer nos revendications et analyses ».
Les autres confédérations adoptent peu ou prou la même démarche : discours de neutralité dans les choix électoraux qui doivent distinguer le champ du social et le champ du politique ; contacts avec les candidats, à partir d’une lettre-argumentaire (comme à FO) ou d’un catalogue de questions, puis diffusion dans les rangs des adhérents des réponses reçues.
C’est aussi l’attitude de la CFDT, dont il faut pourtant analyser plus finement le positionnement.
- Prudence à la CFDT -
Ayant cessé depuis longtemps de conjuguer ses forces militantes aux forces politiques de gauche et de rêver d’une rupture radicale avec le capitalisme, la CFDT a adopté - pour la première fois en 1986 - une ligne réformiste : pas d’appel à voter pour la gauche ou pour tout autre camp politique. François Chérèque le rappelait le 24 janvier dernier : « Ni neutre, ni partisan ». Dans un questionnaire adressé aux candidats, la CFDT écrit : « Dans le respect du vote qui relève de la responsabilité individuelle de chaque citoyen, la CFDT, acteur de la démocratie sociale, s’engage dans le débat public en interpellant les politiques ».
De fait, la CFDT, hormis les rencontres de travail avec les candidats, se garde bien d’entrer dans la démarche CGT ouvertement hostile au candidat Sarkozy et ouvertement favorable aux candidats de gauche et d’extrême-gauche. Il s’agit, avec prudence, de ne pas couper les ponts avec un candidat dont les chances d’être réélu ne sont pas minces. Et, dans le cas de sa défaite, de ne pas apparaitre comme dépendant de son concurrent par les liens de la solidarité électorale.
En signant, le 9 février, une déclaration commune avec la CGT, la FSU, Solidaires et l’UNSA appelant à une « puissante journée d’actions » pour le 29 février (dans le cadre d’une initiative de la Confédération européenne des syndicats), la CFDT marquait dans le même temps ses distances avec la CGT. En clair : des actions de communication mais pas de manifestations ou de grèves ce jour-là, désirées par la CGT. Marcel Grignard, secrétaire national de la CFDT, souligne ainsi que « la CFDT est attachée à ne pas confondre cette action européenne sur un sujet vital et les enjeux électoraux nationaux ». La signature de cette déclaration commune souligne pourtant une adhérence encore marquée au passé des relations CFDT-CGT. Elle souligne aussi que, dans les rangs de la CFDT, de très nombreux militants n’ont pas la pudeur du « ni neutre ni partisan » et que leur désir d’une expression politique anti-Sarkozy est fort.
Les déclarations CFDT à l’encontre du président de la République se sont déployées ces dernières semaines, que l’on traduira aisément en déclarations de rejet du même homme devenu candidat à sa succession.
En critiquant « les trois contresens du Président » (2 février 2012) ou en dénonçant « des attaques dramatiques contre les corps intermédiaires » (23 février 2012), les éditoriaux de l’hebdomadaire confédéral Syndicalisme Hebdo CFDT donnent le ton. Dans ce dernier éditorial, François Chérèque voit dans les projets de référendum du candidat UMP « une façon de procéder [qui] fait écho aux formes les plus sordides de populisme et rappelle tristement les années 1930 ». Si l’analyse du secrétaire général de la CFDT, appelant à respecter les corps intermédiaires, est profonde et fondée, on peut noter que la virulence du propos donne à son auteur un positionnement assez... partisan.
Dans les rangs des militants, adhérents et sympathisants CFDT, l’expression politique en faveur de la gauche a regagné du terrain. L’accueil fait à François Hollande par les militants CFDT des entreprises visitées rappelle cette proximité électorale.
François Hollande, en déplacement devant l’usine d’ArcelorMittal à Florange, le 24 février 2012
Les instituts de sondage ont devant eux matière à enquêtes et décryptages, pour fournir des indications sur les sensibilités politiques des militants syndicaux et sur leurs choix électoraux.
Alors que, dans les années passées, les directions confédérales renforçaient - pour celles qui n’y étaient pas déjà installées - leur positionnement non partisan, la période actuelle indique un mouvement en sens contraire.
Les syndicats sont tous pleinement dans la campagne électorale ; la CGT est en campagne et la CFDT, par-delà son affichage réformiste non partisan, ne cache pas sa défiance à l’encontre d’un des candidats.
Aux élections régionales de 2010, la candidate PS de Poitou-Charentes avait choisi, dans ses documents de propagande électorale, de valoriser sa proximité avec la CFDT. Selon un sondage CSA réalisé au niveau national, les personnes proches de la CFDT ont voté cette année-là à 63 % pour une liste de gauche (au second tour des élections régionales) et à 29 % pour une liste de droite (8 % se dirigeant vers le Front national ou une autre liste).
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