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  • Photo du rédacteurDominique Andolfatto

Les syndicats français ont-ils besoin d'adhérents ?

D'un syndicalisme d'adhérents, notre pays est passé à un syndicalisme de militants, voire de professionnels de l'action collective. Les cotisations ne représentent plus qu'une part très réduite des revenus syndicaux.


Depuis une vingtaine d’années, on assiste au développement - ou à la survie - d’un syndicalisme qui ne compte plus qu’un très faible nombre d’adhérents.


Des années 1970 à aujourd’hui, le taux de syndicalisation a été réduit en effet par trois, passant de 23-25% à environ 8-9% du salariat (voir graphique). Jamais, depuis 1945, ce taux n’a été aussi faible. Cela signifie que toutes organisations confondues - les cinq représentatives (CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC) et les nouveaux venus (SUD, UNSA, FSU...) - comptabilisent moins de deux millions d’adhérents (sur plus de 22 millions de salariés). Ainsi, le salariat contemporain paraît devenu un immense désert syndical. Les syndicats ne sont plus présents que dans quelques îlots. Pour évoquer quelques cas précis - et extrêmes - le taux de syndicalisation à la CGT dans le commerce et les services - un secteur immense et en expansion - ne dépasse pas 0,5% ! Certes, les taux de syndicalisation sont un peu plus significatifs dans d’autres secteurs. Mais ils demeurent très bas dans le secteur privé, oscillant entre 3% dans les services - toutes organisations confondues - et 10% dans la chimie.


Par contre, les syndicats ont mieux résisté dans le secteur public et, surtout, dans quelques entreprises publiques. Le taux de syndicalisation avoisine encore 40% dans le secteur de l’énergie (celui d’EDF-GDF). Il approche 25-30% à la SNCF, à La Poste, à France-Télécom. Il oscille autour de 20% dans la fonction publique.


Un syndicalisme de « professionnels »


Ces chiffres permettent de brosser un état des lieux sommaire de la syndicalisation en France. Il reste à interpréter cette situation et à souligner un paradoxe. Aujourd’hui, les adhésions - et les cotisations des adhérents - ne constituent plus qu’une ressource assez marginale pour les syndicats. Les éléments budgétaires - très partiels - qu’ils fournissent montrent que ces cotisations ne représentent en moyenne qu’un tiers des ressources affichées au niveau des confédérations, voire moins car ces données ne prennent pas en compte le coût des « permanents ». Il s’agit généralement de personnels « mis à disposition » des syndicats par différents ministères ou établissements publics.


On peut estimer le nombre de ces mises à disposition au minimum à 20 000 personnes. Mais la réalité pourrait être deux fois supérieure faute de transparence sur le sujet. Ces personnels constituent l’ossature des organisations syndicales au sein des fédérations ou des unions interprofessionnelles, lesquelles peuvent, dès lors, très bien se passer d’adhérents. On devrait donc parler d’une « professionnalisation » du syndicalisme. Cela explique également la dualité syndicale actuelle. Là où existent des « droits syndicaux » importants - comme on dit dans le jargon -, les organisations syndicales sont relativement puissantes et vivent souvent en complète autonomie au sein de leur confédération respective. Tel est le cas, par exemple, de la fédération mines-énergie de la CGT, véritable « forteresse » dans la CGT. En revanche, là où les « droits syndicaux » sont faibles, voire inexistants, prédomine le désert syndical.


A ce propos, il faudrait s’interroger sur l’absence de stratégie - à tout le moins la faiblesse des stratégies - de la part des organisations syndicales pour tenter de se redéployer, pour mutualiser leurs moyens et leurs ressources, et assurer une véritable présence dans toutes les branches d’activité, ce qui constituerait la condition sine qua non d’un dialogue social effectif. Certes, la réforme que vient d’adopter la CGT concernant son système de cotisations - à l’occasion de son 48e congrès - devrait permettre de mieux répondre à ce défi. Mais la mise en œuvre de cette réforme s’annonce difficile. Pour le moment, le syndicat paraît beaucoup plus armé pour défendre les « insiders » du système - les salariés qui bénéficient de statut relativement protecteurs - et sans beaucoup d’efficacité face aux attentes des « outsiders ».


La désyndicalisation qui a caractérisé le salariat français depuis les années 1970 est en fait la conséquence de cette professionnalisation des activités syndicales, de ce repli sur des appareils qui peuvent fort bien s’accommoder de l’absence de troupes. On parle parfois de l’inadaptation des syndicats français. En fait, ils se sont parfaitement adaptés à cette nouvelle donne et ne cherchent pas véritablement à recruter des adhérents. Autrement dit, la question de l’enracinement social du syndicalisme ne semble plus que secondaire au contraire d’une vocation plus « entrepreneuriale ». Cette évolution - autre paradoxe - a rencontré un certain acquiescement de la part des dirigeants des ressources humaines ou managers : mieux vaut des « professionnels » que des « militants », des élites que des cohortes. Pourtant, en situation de crise, ces « élites » semblent souvent coupées de la « base » et sans prise sur elle. A l’automne 2005, la longueur et le « pourrissement » des conflits de la SNCM puis de la RTM ont illustré cette situation.


L’analyse de la désyndicalisation


Cette « professionnalisation » constitue aussi l’une des clés - sinon la clé - de la désyndicalisation au contraire d’autres interprétations qui semblent privilégier. Celles-ci mettent habituellement l’accent sur les transformations de l’appareil productif. Certes les fermetures d’entreprises, comme dans les mines, le textile, la sidérurgie ont entraîné la disparition de « bastions » du syndicalisme. Mais il faut souligner que, malgré tout, le nombre de salariés a continué de s’accroître. La population potentiellement syndicale s’est donc accrue. On a même observé parfois que des organisations pouvaient gagner des adhérents dans des secteurs en crise. L’équation crise économique-désyndicalisation ne fonctionne donc pas. Tout dépend en fait des équipes syndicales sur le terrain, de leur dynamisme et volontarisme. Cette équation fonctionne d’autant moins que les syndicats ont perdu aussi nombre d’adhérents dans la fonction publique qui, pourtant, n’a pas été touchée par la crise de l’emploi. Les transformations économiques semblent donc une explication trop globalisante de la désyndicalisation.


Il en va de même pour ce qui concerne l’individualisme, facteur explicatif qu’il importe tout autant de revisiter. L’individualisme, qui aurait gagné la société dans son ensemble et le monde du travail en particulier, est souvent invoqué comme cause de désyndicalisation. En fait, cette notion soulève probablement plus de questions qu’elle n’en résout, en raison de son caractère hétérogène et de ses usages multiples. Il convient de souligner aussi que l’individu ne constitue pas nécessairement un être a-social. Son affirmation ne fait pas obligatoirement voler en éclats les cadres sociaux. Son affirmation n’exclut pas non plus celle de la solidarité. Des nouveaux syndicats - de type SUD - ont d’ailleurs su privilégier certains individualismes professionnels pour se développer.


En contrepoint de ces interprétations trop globalisantes, c’est sur les particularités du « modèle » syndical français qu’il faut revenir. Le syndicalisme n’est pas en crise. Un nouveau modèle s’est imposé, caractérisé par la faiblesse de ses adhérents, la place de ses « professionnels » et il est loin d’être certain que celui-ci souhaite se transformer.



Graphique : Evolution du taux de syndicalisation en France (1949-2004). En % du salariat (source : D. Andolfatto, D. Labbé, Histoire des syndicats 1906-2006, Paris, Seuil, 2006)

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