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Lu pour vous : « La CFDT ou la volonté de signer »

Comment expliquer la crise qui a secoué la CFDT à partir de mai 2003 (réforme des retraites) et qui a provoqué, depuis cette date, des départs de militants et des interrogations sur l'avenir ? De quels atouts dispose François Chérèque pour redresser son organisation ? Au lendemain du 46ème congrès confédéral, le livre de Aurore Gorius et Michaël Moreau établit un regard utile à la compréhension de la CFDT.


Manifestement, le livre de Aurore Gorius et Michaël Moreau a été rédigé dans la perspective du congrès confédéral de juin 2006. Sorti en librairie deux mois avant le congrès, il a permis de mieux comprendre les débats qui s’y sont déroulés, les enjeux et les acteurs. Mais il n’est pas seulement un livre d’actualité.


Ce qui se passe à la CFDT depuis trois ans demandait une enquête en profondeur, avec un regard sur le passé, sur les raisons et les circonstances des fortes turbulences traversées par la CFDT ainsi que sur la stratégie et les moyens de François Chérèque pour redresser le tir dans les temps à venir.


L’enquête menée par les deux journalistes aide grandement à comprendre la CFDT.


Bien évidemment, comme pour tout livre d’enquête, on pourra regretter telle ou telle approche rapide, telle ou telle erreur factuelle ou d’orthographe d’un nom propre, tel regard trop sévère (sur Michel Jalmain, par exemple) ou trop incomplet (sur Nicole Notat, notamment).


Mais ce livre en deux parties et deux auteurs effectue un « plongeon » sur deux questions :

pourquoi la crise de la CFDT ? quelle est la « carte » Chérèque ?



- La crise de mai 2003 -


La première partie de l’ouvrage est saisissante. Elle met en lumière les péripéties de l’accord apporté en mai 2003 par la CFDT à la réforme Raffarin - Fillon sur les retraites. Les relations entre le gouvernement et la CFDT ont t-elles été, sur ce dossier et à cette époque, des relations de connivence ? Les deux auteurs ne l’écrivent pas ainsi mais leurs observations sont claires : rencontres bilatérales discrètes, indications au gouvernement sur la capacité, démentie par les faits, à faire de la CGC et de la CFTC ses satellites, travail « secret » pour la mise en place du Haut Conseil pour l’assurance maladie. Il ne fait aucun doute, même si d’autres enquêtes et témoignages venaient corriger ce livre, que la CFDT a joué un rôle-clé dans la réforme des retraites.


Mais cela ne s’est pas fait sans heurts. La première partie du livre s’intitule « la crise ». Car l’accord donné le 15 mai 2003 par François Chérèque au gouvernement a précipité l’organisation syndicale dans la plus grave crise interne de son histoire. En trois ans, 30 000 adhérents l’ont quittée (100 000 selon ses opposants internes). L’ambition affichée en 2002 de dépasser le million d’adhérents en 2007 ne sera pas atteint. La confédération plafonne à 800 000 membres. Sans être confrontée à une scission ouverte, la perte d’effectifs est considérable. En rejoignant les syndicats SUD, l’UNSA et - phénomène nouveau - la CGT ou encore en quittant tout engagement syndical, les déçus de la CFDT ont alimenté chez les militants demeurés fidèles doute et interrogations.


A la tribune du 46ème congrès, le 12 juin dernier dans son discours d’ouverture, François Chérèque devait revenir sur ses positions d’alors, pour les légitimer, au nom « du réalisme, de la responsabilité, de la réforme ».


En octobre 2004, un an et demi après mai 2003, le Conseil National de la CFDT adoptait un rapport destiné à relancer la confiance interne. En juin 2006, les effets de cette relance ne se sont pas encore tous manifestés.


L’épisode du « Contrat Première Embauche » au printemps 2006 n’est pas étudié (le livre étant « bouclé » à ce moment là). Il aurait certainement permis, comme le suggère l’hebdomadaire CFDT « Syndicalisme hebdo » (18 mai 2006) qui rend compte de l’ouvrage« d’ajouter un chapitre essentiel de la compréhension de la CFDT qui ne signe pas tout le temps ». Sur le fond, l’impression générale demeure : la politique réformiste de la CFDT continue à lui coûter des adhérents.


- La carte Chérèque -


La deuxième partie de l’ouvrage consiste donc à comprendre « la carte Chérèque ». Par delà le portrait du secrétaire général, de ses proches, de ses opposants, de ses interlocuteurs (les liens avec le Parti socialiste sont rappelés et les efforts en direction de l’UMP sont soulignés), c’est la stratégie confédérale qui est ici décrite. Toujours très vivante et riche en anecdotes éclairantes, l’enquête souligne le caractère audacieux et risqué de la mutation de la CFDT.


En installant la CFDT dans le réformisme, Nicole Notat puis François Chérèque ont fait perdre à l’organisation la dimension mythique de son projet, celui d’une « transformation autonome de la société ». Ce projet fut naguère enflammé, voire utopique : planification démocratique, nationalisations, appropriation sociale des moyens de protection et d’échanges, autogestion. Mais il fut mobilisateur.


La resyndicalisation des décennies 1980 et 1990 et la revendication d’un syndicalisme réformiste dans années 2000 ont fait perdre à la CFDT son image d’organisation dynamique, turbulente, créatrice de générosité et d’utopie.




- Un syndicalisme impatient -


En signant en mars 2005 un ouvrage intitulé « Réformiste et impatient » (Le Seuil), François Chérèque souligne lui-même, dans le choix du titre, le caractère délicat de la stratégie confédérale. Un syndicalisme réformiste est tout sauf impatient. Précisément parce qu’il s’efforce, jour après jour, de dégager les compromis positifs d’une négociation définie comme la recherche des équilibres durables, le réformisme se situe aux antipodes du projet révolutionnaire, de la rupture, de la transformation brutale, de l’impatience.


Le réformisme des militants syndicaux est essentiellement un pragmatisme. Il ne dédaigne pas le rôle des partis politiques, porteurs d’un projet de gouvernement mais il se refuse à être leur agent d’exécution (cas de la CGT par rapport au PCF) ou encore à se substituer à eux (cas de la CFDT dans les années 1970 et 1980).


Dans le chapitre « En quête d’un projet », Aurore Gorius et Michaël Moreau écrivent :« L’urgence est aussi à redéfinir la place de la CFDT dans le paysage social, et sa fonction. La CFDT est-elle capable de produire et de porter un projet ambitieux ? Si elle veut compter et rester un syndicat de référence, elle doit nourrir une réflexion en panne depuis plusieurs années et clarifier sa ligne, retrouver confiance dans ses valeurs. ».


Pour cela, la CFDT dispose de grandes capacités d’anticipation et de veille sociale, de réseaux et de contacts (milieux politiques, intellectuels, européens), de remise en cause personnelle, de renouvellement de ses équipes dirigeantes, d’adaptation aux événements. Elle demeure, dans l’ensemble du paysage syndical français, l’organisation la plus réactive et la plus ouverte aux évolutions de l’économie et de la société.


Mais elle manque aussi cruellement de ligne directrice, de stratégie durable, de doctrine. En haute mer et par grosses vagues de tempête, un bateau bien équipé et de belle allure doit aussi être bien équilibré. Une bonne quille est alors utile, qui manque à ce jour à la CFDT.


Le discours de clôture de François Chérèque au 46ème congrès confédéral est un rendez-vous lancé à lui-même :« Vous m’avez demandé de rester réformiste, de parfois calmer mon impatience, mais je suis tenace et nos objectifs de développement, j’en suis sûr nous les atteindrons ! ».


Le rendez-vous est lancé pour le prochain congrès, en 2010.


« La CFDT ou la volonté de signer » par Aurore Gorius et Michel Moreau, Hachette Littératures, 2006, 214 pages, 17,- €.

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