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Photo du rédacteurVincent BERNARD

Lu pour vous : « Le chômage, fatalité ou nécessité ? »

Chaque jour, en France, 10 000 emplois sont détruits...et 10 000 emplois sont créés. Cela signifie-t-il que le chômage est indispensable à la croissance ? Les auteurs, tous deux professeurs d'économie, s'expliquent.


Chaque jour, en France, 10 000 emplois détruits en France !...Mais aussi environ 10 000 emplois créés. Ouf ! on respire. Quoiqu’on préfèrerait un solde plus positif.


Certains ouvrages d’économie sont à recommander pour qui veut aller au delà des quelques formules superficielles qui servent de prêt à penser économique. L’ouvrage de Pierre Cahuc et René Zylberberg, au titre provocateur "Le chômage, fatalité ou nécessité", est indiscutablement de ceux là.



Les auteurs n’ont pas cherché à promouvoir des thèses innovantes mais à synthétiser tout ce que l’expérience et les données statistiques disponibles permettaient de tirer comme lois générales de l’économie valides dans nos pays, et par la même d’analyser les erreurs commises en France depuis quelques décennies dans les choix de politiques supposées résoudre le problème du chômage. C’est la grande force de l’ouvrage, ses constats sont basés sur des données, des données, encore des données, que les moyens de traitement modernes et les progrès effectués par les méthodologies d’évaluation des politiques publiques ont permis de collecter du monde entier et d’analyser.


Le premier constat qui s’impose clairement est que Josef Schumpeter, bien qu’il ne disposât que de données très fragmentaires lorsqu’il élabora au milieu du XXème siècle sa théorie de le destruction créatrice de valeur, a tapé en plein dans le mille, et sans doute n’avait il pas lui même estimé l’ampleur du processus dans une économie en forte croissance. Pour la seule France, les recherches disponibles montrent qu’il se détruit chaque jour environ 10.000 emplois par jour ouvré, soit environ... 2.400.000 emplois par an. Mais ce chiffre doit être pondéré par les créations qui sont à peu près au même niveau.


Ce mouvement permanent de réallocation des emplois est le mécanisme qui explique l’augmentation continue de richesse des individus depuis le XIXème siècle dans tous les pays occidentaux. Vouloir stopper ce mouvement, c’est empêcher l’amélioration du niveau de vie pour l’essentiel de la population. Il en résulte que le chômage, loin de devoir être considéré comme une maladie honteuse, doit être traité par la société comme un événement normal voire même souhaitable ( !) de la vie professionnelle. Simplement, il convient de faire en sorte que ces périodes soient aussi courtes que possible et que le gisement d’emplois disponibles permette de transformer ces épisodes aujourd’hui souvent douloureux en opportunités de rebond professionnel et de progression pour le plus grand nombre.


Et c’est là que le bât blesse en France. Le solde annuel entre créations et destructions d’emplois est trop faible pour absorber les augmentations continues de population active que nous avons connues dans un passé récent. Aussi le chômage qui reste purement « frictionnel » dans les économies dynamiques, devient structurel et de plus en plus de longue durée en France.


Le livre va beaucoup plus loin et établit ou rétablit, chiffres nationaux ou internationaux à l’appui, bon nombre de vérités connues des économistes pas uniquement libéraux, et trop souvent ignorées des politiques, et dont voici une liste non exhaustive :


- L’immigration n’est pas en soi l’ennemie de l’emploi.

- Un salaire minimum faible n’a quasiment aucune répercussion négative sur l’emploi. En revanche, s’il est élevé, il constitue un frein majeur à l’embauche des moins qualifiés. Or le SMIC français rentre clairement dans la seconde catégorie de salaires minimaux. Son drame est d’être élevé pour l’employeur et faible pour le salarié, à cause du poids excessif des prélèvements sur les salaires en France.

- Ceux qui croient que la baisse de population active liée à l’arrivée en retraite des générations du Baby boom va baisser mécaniquement les chiffres du chômage se mettent le doigt dans l’œil. Une population active rétrécie, c’est autant de capacité de création de valeur en moins.

- Moins de 2% des destructions d’emploi se produisent dans le cadre de plans sociaux. Plus de 70% sont le fait de fins de CDD, de démissions volontaires ou de départs en retraite. Or le code du travail français a été conçu pour lutter contre la destruction des emplois essentiellement dans le cadre de plans sociaux et contre le mouvement de destruction créatrice. Les pays qui réussissent à endiguer le chômage ont choisi de ne pas s’opposer à ce mouvement, voire de le favoriser. Les données disponibles prouvent indiscutablement que la protection de l’emploi par des entraves légales au licenciement ne protège pas l’emploi efficacement. Ajoutons, hors conclusions du livre, qu’elle génère de la part de certains employeurs des comportements tout à fait abjects vis à vis des salariés dont ils veulent se séparer pour les acculer à la démission ou les pousser à la faute professionnelle provoquée, ce qui est naturellement présenté par nos critiques comme une faillite de l’ultra libéralisme...

- Une majorité des reprises d’emploi se font dans le même secteur que l’emploi quitté. Même des secteurs comme le textile, qui sont présentés comme étant en fort déclin, suscitent des créations de nouveaux emplois dans des niches comme les fibres à haute valeur ajoutée technique.

- Vaincre le chômage n’est pas qu’une question arithmétique. Ainsi, certains secteurs tels que par exemple la boucherie offrent beaucoup plus d’emplois vacants que de personnes qualifiées pour les occuper. Pourtant, il y a toujours un chômage important dans cette branche, aussi bien parce que certains employés potentiels préfèrent les revenus d’assistance, parce qu’il y a parfois non concordance géographique entre offre et demande d’emploi, mais aussi et surtout parce que au moment de l’entretien d’embauche, beaucoup de facteurs autres que la qualification peuvent entrer en ligne de compte pour inciter une des deux parties prenantes à ne pas donner suite à une relation de travail, à commencer par « le courant qui passe ou ne passe pas » entre un recruteur et un candidat...

- En France, pour un couple avec ou sans enfants, les revenus totaux de l’assistance (dispositifs nationaux et locaux) sont supérieurs à un emploi au SMIC à temps complet diminué des coûts de reprise d’un emploi. Il ne faut donc pas s’étonner si un certain nombre de foyers privilégient des comportements d’assistanat pur et simple, qui les enferme dans une « trappe à la pauvreté ». Toutefois, il n’est pas rare que des personnes choisissent tout de même le réemploi, car le travail confère un statut social, et certains emplois peu rémunérés peuvent être vus comme des tremplins pour rebondir par ceux qui les occupent.

- Les politiques publiques en faveur de l’emploi ou de l’éducation, en France, sont trop mal focalisées (effet de saupoudrage), et ne sont jamais évaluées selon des critères scientifiques. On s’en tient à des évaluations superficielles qui font la part belle aux effets d’annonce et à la démagogie. La France est de ce point de vue l’indiscutable bonnet d’âne des pays développés.

- Aussi peut il être aisément démontré que la majeure partie des interventions publiques en France en matière d’emploi comme d’éducation sont au mieux mal dirigées, au pire inutiles.


Certes, le livre n’est pas sans reproche. Lorsque l’on aborde les solutions, les auteurs restent assez superficiels, et sur une logique interventionniste, certes réduite, certes mieux ciblée, mais on sent qu’ils n’osent pas évoquer trop fortement les alternatives issues de la philosophie du « laissez-faire ». Certes, ils évoquent en fin d’ouvrage les effets d’éviction propres à toute politique publique (« ce qu’on ne voit pas » dans le langage de Frédéric Bastiat), mais sans les approfondir. Ils n’analysent pas assez les politiques les plus volontaristes en terme de baisse de prélèvements telles que celles menées en Irlande ou dans certains anciens pays du pacte de Varsovie. Quant à la critique des théories d’Arthur Laffer se reposant sur les seuls travaux de... Thomas Piketty, elle est fort légère, alors que les exemples d’augmentations de rentrées fiscales suite à des baisses drastiques de taux d’imposition abondent dans le monde.


Ces quelques réserves ne sauraient dissuader de recommander la lecture de cet ouvrage, ne serait-ce que par la somme de données pertinentes sur l’économie moderne qu’il délivre dans un langage clair et accessible au plus grand nombre. Pour terminer, voici la conclusion des auteurs :


"En rejetant sans discernement l’analyse économique "bourgeoise" et "libérale" de l’économie de marché, (nos élites) se sont privé(e)s des outils qui leur auraient permis de réfléchir objectivement aux mécanismes qui gouvernent la production et la distribution des richesses dans le monde réel. Cet aveuglement fait qu’aujourd’hui la France vit dans une forme de pensée économique qui relève plus des croyances fantasmagoriques que du rationalisme. On y attend le retour de la croissance comme les anciens attendaient le retour de la pluie. Certes, au lieu de danser les soirs de pleine lune, on invoque d’autres dieux consensuels mais en réalité on se dit qu’il finira bien par pleuvoir, pourvu que les gouttes bénites arrivent avant les prochaines échéances électorales."


L’auteur de cet article peut être lu sur le sitehttp://www.u-blog.net.


- Le chômage, fatalité ou nécessité ?de Pierre Cahuc, André Zylberberg - Editions Flammarion, 202 pages, 2004, 18 €.

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