Journaliste à Liaisons sociales puis aux Echos, Leila de Comarmond fréquente le monde syndical depuis une vingtaine d'années. Son livre sur la CGT est un bel exercice d'enquête et d'analyse.
Il y a vingt ans, le numéro un de la CGT était obligatoirement membre de la direction du Parti communiste français. C’est fini.
Il y a vingt ans, négocier et signer un compromis avec le patronat voulait dire, dans la novlangue cégétiste, se compromettre. Désormais, le stylo n’est plus tabou.
Il y vingt ans, la CGT regardait de haut les autres organisations syndicales françaises, y compris la CFDT. La page est tournée, elle est aujourd’hui au désir d’un « syndicalisme rassemblée ».
Il y a vingt ans, enfin, l’hémorragie des adhérents d’une CGT que d’aucuns estimaient en danger de mort paraissait sans fin. Ses effectifs remontent désormais. Leila de Comarmond dans un style de « livre réalité » qui rassemblerait les différentes émissions de télé réalité que l’on connaît, de « Top Chef » au « Loft » en passant par « Secret story », décortique la CGT et explique comment la plus puissante confédération française s’est transformée ces vingt dernières années. Elle dit aussi le chemin qui reste encore à parcourir.
Sur la base d’entretiens nombreux, de documents bien trouvés, de correspondances échangées, d’une biographie fournie, l’auteure retrace le long chemin parcouru par la CGT.
- Couper le cordon avec le PCF -
L’ouvrage commence par le sujet le plus délicat : son attachement historique au parti communiste « Quand la CGT coupe le cordon ». Avec de croustillants détails, l’auteure nous présente un numéro de jonglerie politique. En effet, même si la charte d’Amiens de 1906, où est affirmé le principe de l’indépendance du syndicat vis à vis des partis politiques, est dans tous les esprits, elle n’en demeure pas moins un sujet sensible. Tous les prédécesseurs de Bernard Thibault ont eu un siège au Bureau national du Parti communiste. Lui-même siège au comité national mais le quitta deux ans après son élection à la tête de la CGT, ce qui valut, nous dit-elle une belle bourde de Nicolas Sarkozy le 6 avril 2012.
Louis Viannet
L’auteure nous plonge dans les espoirs et les désillusions de la fin de la célèbre « courroie de transmission » qui fonctionnait si bien à l’âge d’or de Benoit Frachon, de Georges Séguy, d’Henri Krasucki mais qui devenait handicapant dès l’avènement de la chute du mur de Berlin. Entre dépolitisation et repolitisation, l’auteure nous explique que la nature a horreur du vide et qu’à choisir son camp entre une CGT historique avec des syndicalistes « rouges vifs » et une CGT confédérée avec des militants opposés aux conservateurs et soutenus par Montreuil depuis 1992 avec Louis Viannet et depuis 1999 avec Bernard Thibault, le risque d’une politisation à l’extrême gauche de l’action protestataire de la CGT relève d’une des conséquences de l’effacement du parti communiste et de l’expression d’un sentiment d’impuissance militante face à un rouleau compresseur économique.
De Georges Séguy en 1978 à Bernard Thibault jusqu’au 22 mars prochain, jour où Thierry Lepaon lui succèdera, l’auteure établit une analyse de la personnalité de ces cinq figures emblématiques de la CGT. Et, aujourd’hui, du besoin de lancer un changement devenu indispensable depuis l’effondrement du communisme. Louis Viannet s’est attelé pendant dix ans à faire entrer la CGT à la Confédération européenne des syndicats ce qui s’est réalisé début 1999. Bernard Thibault a récolté les fruits de ce travail et a réussi à voir proposé, par Nicole Notat, le nom de Joel Décaillon pour entrer au secrétariat de la CGT, et le 1ier décembre 2009, quelques jours avant que démarre le 49ème congrès de la CGT, le voir prendre le poste de secrétaire adjoint de la Confédération européenne des syndicats. Vient ensuite une description des jeux d’équilibriste de la CGT en matière de négociation. Impensable jusqu’aux années 1990, la place de la négociation dans la culture cégétiste est au cœur de tous les congrès depuis la fin des années 1990. La CGT ne veut pas (ou plus) jouer la politique de la chaise vide. L’auteure, ici « le stylo à la main », retrace avec précision les débats, les escarmouches, les rendez-vous manqués, les tractations et l’idée que, même pour la CGT, un compromis est possible à l’issue d’une négociation.
- Depuis 2000 -
Depuis 2000, la CGT peine à opérer son aggiornamento et l’image d’une CGT rénovée où l’heure n’est plus au mythe hégémonique mais à un syndicalisme international, européen, rassemblé et modernisé. Au sein de l’ouvrage, les exemples sont légion de la profondeur de la mue de la CGT qui a démarré en 1992.
Bernard Thibault
Enfin, Leïla de Comarmond aborde aussi l’épisode délicat de la succession de Bernard Thibault qui a plongé la CGT dans un psychodrame pendant plusieurs mois en 2012. Mis en minorité à plusieurs reprises par sa direction, notamment lors de la présentation de la candidature de Nadine Prigent devant les membres de la Commission exécutive (par un vote de 20 « pour », 21 « contre » et 14 absentéismes), Bernard Thibault se révèle, avec son entourage, en décalage avec l’appareil de la coupés de l’organisation. Le 31 mai 2012, un second camouflet lui est infligé, par la Commission exécutive, qui rejete une nouvelle fois la candidature de Nadine Prigent. Le nom de Thierry Lepaon commence à circuler début juin 2012. En novembre 2012, le Comité confédéral national décide de le nommer (au prochain congrès) secrétaire général, à l’unanimité moins deux abstentions. Il prendra la tête de la confédération le 22 mars 2013 lors du 50ème congrès de la CGT à Toulouse.
En inscrivant ces différents changements dans une perspective historique longue, nécessaire pour comprendre les enjeux de cette évolution radicale, l’auteure traduit les codes de la CGT, l’univers du syndicalisme et de ses acteurs. De leurs rapports aux politiques, de leur tentative de reconquête des salariés et enfin de leur fonctionnement et crises internes pour aboutir à l’idée, qu’au sein de la CGT, nombreuses sont les avancées, précieuses sont les tentatives et réguliers sont les obstacles sur le chemin de la mutation.
Thierry Lepaon
"Les vingt ans qui ont changé la CGT", par Leila de Comarmond, Denoël, 2013, 460 pages, 24,50 euros.
Comments