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Photo du rédacteurBernard Vivier

Métier : un mot toujours actuel

Un mot ancien et actuel à la fois : le mot {métier}. Par-delà la reconnaissance d'un savoir-faire professionnel, le métier est aussi signe d'identité collective.


Le métier, nous dit le Dictionnaire de la langue française Paul Robert, est « le genre d’occupation manuelle ou mécanique qui trouve son utilité dans la société ». Il est aussi « tout genre de travail déterminé, reconnu ou toléré par la société et dont on peut tirer ses moyens d’existence ».


Dans son sens actuel, le mot métier se trouve donc étroitement lié à l’emploi qu’on occupe, au revenu qu’on en tire et à l’utilité que l’on développe dans la société. Exercer un métier démontre une capacité à s’insérer dans le monde des actifs, à ne pas être chômeur, sans travail, à rendre service. L’étymologie du mot l’indique : métier vient de menestier, mistier, service.


A la fois garantie matérielle et moyen d’insertion sociale, le métier a toujours occupé une place centrale dans le monde du travail.


S’intéressant à la révolution de 1848, l’historien Yves Lequin observe que « en 1848, le métier est déjà le lieu de la mémoire des travailleurs ». Il maintient le constat pour les 150 ans suivants : « Le plus étonnant est que, jusqu’à aujourd’hui, il ne cesse de l’être alors que toute une historiographie - et plus récemment une sociologie - lit dans le développement industriel la chronologie de sa disparition » (Le métier, in Les lieux de mémoire, tome III. Les France, traditions, sous la direction de Pierre Nora, Gallimard, 1992).


Sous l’Ancien Régime, les "gens de métier" étaient des artisans qualifiés, qu’un apprentissage et une solide expérience professionnelle distinguaient des simples "gens de bras".


Au XIXème siècle, le métier souligne la qualification professionnelle. Yves Lequin observe encore : « le métallurgiste sera longtemps un mot d’économiste ; les ouvriers, eux, seront mécaniciens, puddleurs, forgerons ou ajusteurs ; par opposition à ces gens "sans état", journaliers, hommes de peine ou manœuvres, voués à une tâche anonyme, indifférenciée et interchangeable ; ceux à qui on peut tout faire faire, parce qu’ils ne savent rien faire ».

Sécurité et fierté

Avoir un métier, maîtriser un savoir faire est source de fierté personnelle autant que de sécurité professionnelle et d’appartenance collective.


En 1858, Pierre-Joseph Proudhon décrit ainsi le sentiment de liberté que lui procurait la maîtrise d’un composteur , dans le temps où il travaillait en imprimerie à Besançon : « Non, vous n’avez pas l’idée de cette volupté immense où nage le cœur d’un homme de vingt ans qui se dit à lui-même :« J’ai un état ! Je puis aller partout ; je n’ai besoin de personne ! » (De la Justice dans la Révolution et dans l’Eglise, Editions Marcel Rivière, 1932, tome III, chapitre Le travail, page 103).


Au XXème siècle, la valeur du mot n’a pas faibli. L’auteur de ces lignes se souvient du regard porté par un militant syndical sur ses jeunes années dans la sidérurgie lorraine au milieu des années 1950. « J’avais un métier », me disait-il en mettant ses mains l’une contre l’autre dans un mouvement ample et sonore. « Avec çà, on pouvait quitter son patron en fin de matinée et retrouver l’embauche en début d’après-midi. Il faut dire que le chômage n’existait pratiquement pas ». La fierté du métier était visible, toute proche en somme de "la volupté immense" de Proudhon. Avoir un métier, c’est avoir, dans ses mains, la garantie solide d’être et de devenir.



Les transformations du monde productif, la diffusion accélérée des nouvelles technologies, la place grandissante des activités de service et, par voie de conséquence, les bousculements que vivent les activités industrielles opèrent aujourd’hui une redistribution des métiers. Certains disparaissent, d’autres naissent et beaucoup évoluent.


Les entreprises et les branches professionnelles sont attentives à ces évolutions. La gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC), la prospective sur l’évolution des métiers et des qualifications requièrent l’attention et les efforts des partenaires sociaux.


La valeur du métier demeure, qui distingue toujours ceux qui le possèdent - « posséder » : notons la force du mot - de ceux qui n’en ont pas et qui sont sans qualification (c’est-à-dire les héritiers des "gens de bras" de l’Ancien Régime ou des gens "sans état" de la première Révolution industrielle).


Face à la montée de la précarité et de l’instabilité du marché du travail, le métier continue d’être une notion refuge et sécurisante.


La sociologue Françoise Piotet l’affirme : « Avoir un métier, c’est être détenteur d’un patrimoine dont on pense, à tort ou à raison, qu’il a une valeur sur un marché du travail qui transcende celui de l’entreprise. Le métier est ici synonyme d’une qualification décontextualisée de l’entreprise » (La révolution des métiers, PUF, 2002).



Au terme d’une étude conduite à la même époque, la sociologue Florence Osty conclut dans le même sens : « Loin d’être marginal, ce phénomène social d’affirmation des métiers pourrait bien s’amplifier, sous le coup des nouveaux enjeux de production, réhabilitant alors le métier comme une configuration sociale et organisationnelle de la modernité » (Le désir de métier. Engagement, identité et reconnaissance au travail. PUR, 2002).

Métier, ministère, mystère

Mais revenons à l’étymologie du mot. C’est probablement en elle que réside la raison profonde de cette permanence du métier et de l’attachement qui lui est porté à travers les générations.


Le mot métier vient de menestier (vers 881), mistier (vers 980) et mestier (vers 1135), comme nous l’apprend le Dictionnaire historique de la langue française Le Robert. Il est issu du latin ministerium qui renvoie (tout comme le dérivé minister, qui a donné ministre) à la notion de serviteur, de fonction, de service. L’auteur du Dictionnaire, Alain Rey, estime qu’un croisement a dû s’opérer entre ministerium (ministère) et mysterium (mystère) pour aboutir à la forme misterium, favorisée par la proximité sémantique des deux mots en latin chrétien.


Tout comme le travail est création et pas seulement peine, le métier est service et pas seulement technique. C’est un peu là le mystère de la langue du travail, qui nous demande, avec Charles Péguy, à « respecter au dessus de tout ce beau nom de métier ».

Ils ont dit Que chacun fasse donc le métier qu’il sait faire Aristophane, Les Guèpes (Paris) ... Où cent mille artisans, en cent mille façons, Exercent leurs métiers ; l’un aux lettres s’adonne, Et l’autre, Conseiller, tes saintes lois ordonne ; L’un est peintre, imagier, armurier, tailleur, Orfèvre, lapidaire, graveur, émailleur ; Les autres nuit et jour fondent artillerie. Ronsard, Premier livre des hymnes La chose la plus importante à toute la vie est le choix du métier ; le hasard en dispose. Pascal, Pensées Métier. On donne ce nom à toute profession qui exige l’emploi des bras, et qui se borne à un certain nombre d’opérations mécaniques, qui ont pour but un même ouvrage, que l’ouvrier répète sans cesse. Je ne sais pourquoi on a attaché une idée vile à ce mot ; c’est des métiers que nous tenons toutes les choses nécessaires à la vie... Le poète, le philosophe, l’orateur, le ministre, le guerrier, le héros seraient tout nus et manqueraient de pain sans cet artisan objet de son mépris cruel. Encyclopédie, Diderot et d’Alembert J’avais plus de quinze ans. Il y avait maintenant trois ans que je faisais n’importe quoi comme manœuvre, j’avais hâte d’apprendre un métier. Georges Navel, Travaux Pour avoir la liberté, ni richesse capitaliste, ni richesse d’état collectif ne vous est nécessaire. Il vous suffit d’avoir un métier que vous aimiez et que vous sachiez faire tout entier, du commencement jusqu’à la fin. (...) Les plus grands objets d’art qui font notre admiration sont de simples œuvres d’artisans amoureux. Voilà pour la liberté de votre individu. Jean Giono, Ecrits pacifistes

Frontispice de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et métiers, dirigé par Diderot et d’Alembert. Ce travail collectif (près de 200 collaborateurs) fut réalisé entre 1751 et 1780 : 15 000 pages, 60 660 articles et 12 volumes de planches.

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