La succession d'Ernest-Antoine SEILLIERE à la présidence du MEDEF voit s'affronter plusieurs candidats. L'Assemblée générale tranchera le 5 juillet. Par delà le choix d'une personne, c'est le renouvellement du MEDEF lui-même qui est en jeu.
Jamais dans toute l’histoire du patronat français, on n’avait vu, s’agissant d’une question interne à l’organisation (la succession du président sortant), une telle envolée médiatique.
Certes, depuis la création de la CGPF en 1919 (cf « Les Etudes sociales et syndicales » du 20 mai 2005 :« Aux origines du MEDEF : la CGPF ») ou celle du MEDEF en 1998, la presse s’est toujours intéressée à la personnalité du ou des candidats à la présidence de l’organisation. C’est ainsi que la succession d’Yvon Gattaz en 1986 vit s’affronter François Périgot (qui l’emporta) et Yvon Chotard. Derrière les deux hommes, deux conceptions de l’action patronale s’étaient affirmées.
Des candidats en compétition, plus que des projets
Cette année, des candidats bien plus que des conceptions s’affrontent. Six candidats (dont deux formèrent un « ticket ») se sont déclarés au fil des derniers mois. Après un tour de piste, Charles Beigbeder s’est prudemment retiré le 28 mai. Plus récemment, le 15 juin, Francis Mer a quitté la compétition, après que le Conseil exécutif du MEDEF (qui est chargé de donner un avis sur les candidats) lui ait accordé une trop maigre confiance. Le « ticket » formé alors avec Guillaume Sarkozy et lancé à grand renfort de déclarations médiatiques, volait en éclats.
Les trois candidats restants, que départagera l’Assemblée générale du MEDEF le 5 juillet, se trouvaient à leur tour lancés dans une campagne hyper-médiatisée. Le 25 mai, l’hebdomadaire Gala consacrait même une page pleine à l’événement, en s’intéressant à « Laurence Parisot : elle veut être la patronne des patrons ». Un article coincé entre un reportage sur les sept vies de Daniel Ducruet, l’ex-mari de Stéphanie de Monaco et une série de photos sur la grossesse de Britney Spears !
En fait, Laurence Parisot (qui a tout récemment reçu le soutien public du président sortant), Yvon Jacob ou Hugues-Arnaud Meyer n’affirment pas en public de discours notablement différents.
Soucieux de ne pas apparaître en rupture avec le président sortant (le monde patronal français, tout comme le monde syndical, adopte sur ce point une attitude légitimiste qu’un prétendant à la succession ne saurait trop bousculer), les trois candidats n’auront pas, somme toute, affiché un programme ou un projet électoral les démarquant entre eux de façon manifeste.
Pourtant, et pour deux séries de raisons, le candidat qui sera élu devra gérer - en douceur - la transition vers le MEDEF des années prochaines. Ces deux raisons touchent au fonctionnement interne du mouvement patronal comme à son positionnement public.
Questions nouvelles sur le fonctionnement du MEDEF
Le fonctionnement même du MEDEF apparaît comme devant être adapté sur plusieurs points. Le plus important est probablement la place respective des différentes fédérations dans les instances dirigeantes du MEDEF. A l’Assemblée générale, les 43 sièges attribués à l’UIMM (sur 370 pour le collège des fédérations) font écho à la place essentielle qu’a toujours occupé cette Union dans la définition et la gestion des questions sociales. Au sein du MEDEF, la contribution de l’UIMM en moyens humains et financiers justifie cette place de leader. La fédération de la banque ne dispose que de 20 sièges, celle du bâtiment de 19 sièges et celle des services - SYNTEC - de 8 sièges seulement. Mais le paysage des entreprises et de l’emploi évolue. La place grandissante des activités tertiaires et de service dans notre économie donne aux fédérations correspondantes du MEDEF une perspective de développement. Elle les appelle à prendre une part plus grande dans les instances de décision du MEDEF, tout comme elle exige d’elles - contre partie inévitable - un engagement en hommes et en finances plus grand.
La succession du président Seillière aura vu, au grand jour ou presque pour la première fois, les fédérations soutenir tel ou tel candidat en fonction de leur positionnement - réel ou supposé - par rapport à l’UIMM.
Le successeur du président Seillière aura à gérer ces évolutions, en respectant l’apport toujours estimé de l’UIMM à la gestion des relations sociales.
Les effets de la décentralisation
Une autre transition pointe aussi à l’horizon : celle qui est susceptible de donner plus de poids aux structures géographiques du MEDEF. Un des candidats, Meyer, se sera fait, en partie, le représentant de cette demande. Comparés aux anciennes « unions patronales » du CNPF, les « MEDEF territoriaux » (31 % des voix seulement à l’assemblée générale du 5 juillet, contre 67 % aux fédérations et 2 % aux personnalités qualifiées) ont vocation à gérer davantage de sujets économiques et sociaux, dans le vaste processus de décentralisation du pays. La question est délicate et la relation entre les MEDEF territoriaux et les chambres syndicales locales des fédérations demande assez souvent diplomatie et compréhension réciproque.
Au siège du MEDEF national, l’équipe des permanents la plus nombreuse est celle de l’action territoriale. Avant celle des questions économiques ou celle des questions sociales. Cet investissement du MEDEF national illustre l’importance de l’action à conduire. Sur le plan local, les MEDEF territoriaux ont encore grand besoin de se structurer et exister.
Comment gérer les dossiers sociaux ?
Touchant aussi au fonctionnement interne du MEDEF, le nouveau président aura à redéfinir les structures ayant à gérer les questions sociales. Si, au niveau politique, la prééminence de l’UIMM reste incontestable, la question se pose d’une réorganisation de l’outil technique au sein du MEDEF. Les 9 groupes de propositions et d’action (GPA) créés avec le MEDEF en 1998 doivent-ils rester en l’état ? Doit-on regrouper les GPA à vocation sociale, à savoir relations du travail, formation, protection sociale ? Ou bien, de crainte de voir renaître l’ancienne commission sociale du CNPF, maintenir une gestion éclatée du social ? Derrière les considérations d’efficacité technique, les enjeux de pouvoir émergent vite et le nouveau président du MEDEF aura à se positionner sans tarder.
A ces raisons internes s’ajoutent d’autres exigences de changement et d’affirmation d’une ligne directrice pour la nouvelle présidence, qui relèvent du positionnement public du MEDEF.
Quelle place à la politique contractuelle ?
Né en réaction à l’autoritarisme gouvernemental de 1997 (l’affaire des 35 heures) et au besoin de renouveler le CNPF, le MEDEF a vécu ses premières années sous la présidence flamboyante d’Ernest-Antoine Seillière dont le premier mandat contribua à véritablement régénérer l’appareil patronal et à insuffler chez les dirigeants d’entreprise une fierté d’appartenance et une envie d’agir.
Le second mandat (2003 à aujourd’hui) du président Seillière présente un bilan plus modeste : moins d’audace collective, moindre capacité à gérer les relations avec le gouvernement et les syndicats.
Le nouveau président aura donc à développer des initiatives pour renouveler l’intuition inachevée de la refondation sociale et pour, dans le domaine des relations sociales, rééquilibrer le rôle respectif de l’Etat, du patronat et des syndicats. Les pratiques des autres pays européens nous invitent à cette évolution, sur le mode de la transition progressive plus que sur celui de la rupture.
Sur cette question, la tradition interventionniste de l’Etat habite autant les gouvernements de droite que les gouvernements de gauche. L’aspiration à plus de liberté contractuelle est bien présente dans les rangs du patronat. Saura-t-elle mieux s’exprimer et se concrétiser ? Les déclarations à l’emporte-pièce de tel ou tel candidat sur le code du travail (« la liberté de penser s’arrête là où commence le droit du travail » a pu lancer Laurence Parisot il n’y a guère) ne sont pas en soi inquiétantes (il faut bien faire vibrer ses électeurs !) si, dans les faits, elles se trouvent relayées par une conviction et une pratique de la démarche contractuelle. Car le meilleur moyen de ne pas recourir à la loi est bien, pour établir les règles du social, de développer la politique conventionnelle. Laquelle ne se réduit pas aux négociations d’entreprise. La négociation de branche, voire de façon ponctuelle au niveau national interprofessionnel, contribue toujours à la régulation sociale du pays.
Cette question du rôle respectif des acteurs sociaux et des niveaux de la négociation ne sont pas les seuls thèmes d’expression et de positionnement public du MEDEF et de son nouveau président.
Donner une réponse aux risques d’un capitalisme sans projet
Dans une société où grandit la suspicion à l’encontre des logiques de développement économique fondées sur les lois du marché (le mot « libéralisme » cesse progressivement dans l’opinion publique de signifier « liberté économique » pour devenir synonyme de « dérégulation » et de « désordre injuste »), le MEDEF voit surgir l’exigence d’affirmer à nouveau, sur les questions actuelles, la force et l’utilité d’une économie de liberté, fondement du progrès et de la justice sociale.
Il est vrai que les risques d’un capitalisme sans projet se manifestent à travers les questions quotidiennes de l’actualité :
- les dirigeants doivent-ils limiter leur rémunération ?
- une politique industrielle est-elle envisageable en France, dans le contexte mondial des délocalisations ?
- la quasi-faillite de nos systèmes de protection sociale (chômage, retraites, etc) n’ont-elles comme seule réponse que le recours à l’assurance individuelle ?
- la montée des exigences des actionnaires laisse-t-elle aux managers et aux dirigeants une capacité suffisante pour définir la stratégie des entreprises ?
- comment renforcer la confiance des salariés dans leur entreprise (cadres compris) alors que les choix de développement industriel se trouvent contraints par des stratégies financières à plus court terme ?
Sur ces questions et sur de nombreuses autres, le travail d’explication et d’affirmation du MEDEF est grand. Il demande une coordination renouvelée et une répartition des rôles entre le MEDEF et les autres systèmes de représentation des entreprises : CCI, UPA, CGPME, AFEP, etc.
Ainsi, la campagne électorale pour la présidence du MEDEF a permis d’observer que les profils des candidats ont occupé une grande partie de l’information diffusée dans la presse. Même si Gala, Femme actuelle et Paris-Match ont eu le mérite, à leur façon, de s’intéresser au sujet, la presse a surtout développé une approche « people » de la succession du président Seillière.
Pourtant, par delà cet aspect des choses, la succession à la tête du MEDEF fait apparaître le besoin d’une actualisation de l’appareil et du projet patronal.
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