Les comportements des salariés évoluent, qui obligent les organisations syndicales à reconsidérer leurs pratiques. Notre pays voit sa culture de relations sociales évoluer progressivement.
1- Les évolutions récentes chez les salariés
Les salariés français dans leur ensemble, les jeunes notamment, ont beaucoup changé ces dernières décennies et plus encore au cours des années 1990. Parmi ces évolutions, certaines exigent d’être sérieusement prises en compte par les directions d’entreprise et les partenaires sociaux pour la maîtrise du climat social et la gestion des relations sociales :
- du collectif à l’individuel : dans l’entreprise, le salarié qui privilégiait l’action collective jusqu’aux années soixante-dix en matière d’intérêts, de relations, d’augmentations de salaire, de représentation auprès de l’employeur ou de conflits, agit aujourd’hui de façon plus individuelle ;
- le rejet des grandes institutions, grandes institutions et grands projets : (de l’entreprise comme du syndicat) ; on n’adhère qu’à un objectif concret et de proximité, et qui ne s’inscrit pas forcément dans la durée ;
- l’engagement au service de l’entreprise est aujourd’hui très nettement mesuré, y compris chez les cadres : en fonction de ses centres d’intérêts ou de ses projets individuels et familiaux, on positionne finement le curseur qui mesure son temps et son investissement au service de l’entreprise,
- le détachement méfiant vis-à-vis de l’employeur : de la méfiance idéologique des années soixante-dix, puis de la confiance retrouvée dans les années quatre-vingt, les salariés sont peu à peu passés au cours de la décennie suivante à une méfiance prudente vis-à-vis des directions d’entreprise. Cette prise de distance s’appuie notamment sur le sentiment que l’entreprise n’est plus aujourd’hui dirigée par des gens de métier, mais par des financiers avec lesquels on ne peut même plus partager le métier et l’intérêt pour le produit fabriqué.
- fun et zapping chez les plus jeunes : l’intérêt immédiat pour ce que l’on est en train de faire est la condition de l’implication chez nombre de jeunes. La mobilisation cesse, voire l’appartenance à l’entreprise, dès que ce n’est plus " fun ". D’où le zapping : il faut changer très vite d’activité pour que ce soit plaisant en permanence. A quoi il faut ajouter pour un nombre non négligeable de jeunes embauchés " l’assistanat " revendiqué et la découverte pour la première fois dans l’entreprise de la contrainte sociale, de règles et d’horaires à respecter, d’une hiérarchie qui dirige, etc..
2- Les changements en cours chez les partenaires sociaux
Confrontés aux évolutions des mentalités constatées chez les salariés, les syndicats doivent relever de nouveaux défis et ont engagé d’importantes réformes pour y faire face.
Affronter les évolutions en cours représente pour les organisations syndicales quelque chose comme les 12 travaux d’Hercule :
1) exister auprès de salariés pour lesquels les relations individuelles tendent aujourd’hui à l’emporter sur le collectif,
2) se positionner par rapport à des préoccupations sociales qui privilégient maintenant soit des enjeux de stricte proximité (regain de revendications corporatistes) soit très lointains (problèmes liés à la mondialisation),
3) promouvoir son identité, sa doctrine et son organisation de centrale confédérée à des salariés devenus méfiants à l’égard des grandes institutions et des idéologies,
4) justifier les mandats syndicaux quand les professionnels de la représentation plaisent moins,
5) apprendre un nouveau style de communication syndicale à l’heure où le ton agressif et conflictuel obligé d’autrefois est moins apprécié,
6) intéresser aux tracts syndicaux quand les salariés surinformés sont devenus plus apathiques vis-à-vis de ce type de communication,
7) reprendre la main par rapport à de nouveaux acteurs du social ( nouveaux syndicats et associations plus radicaux) pour lesquels la médiatisation d’un événement devient plus importante que l’événement lui-même : négociation, conflit, réunion de CE, etc.,
8) mobiliser des bonnes volontés pour l’action syndicale à l’heure où le militantisme connaît une crise de l’engagement,
9) conquérir de nouveaux champs d’action pour se saisir de difficultés sociales mobilisatrices qui se sont déplacées de l’intérieur vers l’extérieur de l’entreprise (sans logement, chômeurs, " sans papier "...) ..et répondre aux exigences de salariés qui font moins la distinction entre insatisfactions professionnelles et non professionnelles (sociétales),
10) rester crédibles sur des thèmes de négociation qui se sont diversifiés (organisation du travail, hygiène et sécurité, qualité de l’environnement) et sont devenus très techniques (RTT),
11) conserver la confiance des salariés sans se renier alors que les préoccupations catégorielles tendent à l’emporter sur la solidarité interprofessionnelle,
12) garder la main alors que ce sont aujourd’hui les salariés qui se servent des syndicats pour leurs objectifs du moment plutôt que le contraire comme par le passé.
Face à cette nouvelle donne, les organisations syndicales commencent à mesurer les efforts d’adaptation à faire : organisation, nouveaux services aux adhérents, nouvelle ligne plus constructive, professionnalisation dans l’étude des dossiers, intégration des nouvelles techniques de communication, nouveaux champs d’action, etc..
Les circonstance paraissent d’ailleurs plus favorables pour répondre à ces défis : la chute des effectifs cotisant paraît enrayée pour presque toutes les grandes centrales et l’audience des syndicats aux élections professionnelles remonte au détriment des listes de candidats non-syndiqués.
Deux problèmes cependant ne semblent toujours pas abordés de façon satisfaisante par les organisations syndicales :
- la valorisation des adhérents par rapport aux salariés non syndiqués,
- le renouvellement de l’appareil militant.
En ce qui concerne les conceptions de l’action syndicale, le paysage syndical français, malgré l’apparition de nouveaux acteurs très radicaux comme SUD, connaît en ce moment une évolution globale vers un syndicalisme plus mesuré et pragmatique.
3- De nouvelles formes de conflits, conceptions nouvelles de la négociation et de l’action syndicale
Moins nombreux dans notre pays, les conflits sociaux dans les entreprises prennent fréquemment ces dernières années des formes inédites. Déclenchés assez souvent hors du contrôle des acteurs syndicaux classiques, ils dérapent plus aisément vers des actions extrêmes contre les infrastructures de l’entreprise ou l’environnement. Actions commandos plus que mobilisation de masse, ils visent davantage à nuire à l’image médiatique de l’entreprise qu’à bloquer sa production.
La négociation collective amorce également de profondes évolutions marquées par les éléments suivants :
- possibilité encore à confirmer d’un ralliement de la CGT à l’intérêt de la négociation,
- quasi accord des partenaires sociaux pour obtenir plus de place aux conventions et accords collectifs par rapport à la loi,
- importance reconnue de l’accord d’entreprise par les syndicats de salariés et accord entre organisations patronales sur la nécessité de maintenir la convention de branche professionnelle,
- participation plus effective des syndicats de salariés au contenu des accords et une négociation devenue davantage donnant-donnant,
- évolution amorcée en direction de l’accord majoritaire.
L’action syndicale à l’intérieur de l’entreprise tend à s’appuyer sur une action sociétale à l’extérieur de l’entreprise. Pour ce faire, les organisations syndicales se dotent actuellement de stratégies d’action sur trois fronts : commerce équitable, bourse éthique et notation sociale (" rating social ") des entreprises.
Comments