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Photo du rédacteurBernard Vivier

Que faisaient-ils en mai 1968 ?

Ils sont aujourd'hui sénateur ou député, directeur de journal, avocat, ministre ou universitaire. En mai 1968, ils étaient étudiants, agités, casseurs de flic.


Ils pensaient changer le monde ; et, quoique sincères, c'est le monde qui les a changés.


Il est une phrase attribuée à Marcel Jouhandeau au moment des événements de mai 1968, à l’adresse des étudiants en révolte : « Rentrez chez vous ; dans vingt ans, vous serez tous notaires ». Pour certains, ce fut plus rapide ; pour d’autres, l’ardeur révolutionnaire est restée.


Dans un entretien avec Maurice Grimaud, préfet de police de Paris en mai 1968, Daniel Cohn-Bendit observe (Le Point, 1er mai 2008) : « Quand on fait de la politique, c’est fondamental de savoir que les institutions marquent les hommes, mais les hommes aussi marquent les institutions ».


On trouvera ici l’itinéraire de quelques unes des figures de mai 1968 : ce qu’ils font aujourd’hui, ce qu’ils étaient il y a quarante ans.


Philippe Barret, né à Lyon le 15 novembre 1945. Il est aujourd’hui chevalier de la Légion d’honneur et officier des Palmes académiques.

Proche de Jean Pierre Chevènement dont il fut à plusieurs reprises conseiller technique dans différents ministères (Recherche-industrie en 1982-83, Education nationale en 1984-86, Défense en 1988-91, Intérieur en 1997-99), il accéda au titre prestigieux d’inspecteur général de l’Education nationale en 1986. Vingt ans avant, ce Normalien formé à l’UNEF et à l’Union des étudiants communistes rejoignit en 1966 l’Union des jeunesses communistes marxistes léninistes puis, en 1968, la Gauche prolétarienne, dont il fut le trésorier. Il est le mari de la journaliste Michèle Cotta.



Roland Castro, né à Limoges le 16 octobre 1940.

Architecte renommé à la tête d’un important cabinet, ses réalisations ont été activement soutenues dans les années 1980 par François Mitterand, président de la République. Cofondateur de Banlieues 89, organisme chargé de repenser et de rénover les quartiers périphériques des grandes villes, il dispose de moyens financiers conséquents pour conduire ses projets. En 1992, barre à droite : il devient consultant du département des Hauts de Seine présidé par Charles Pasqua. Il effectue ensuite un nouveau virage vers le PCF, sous Robert Hue. Il est chevalier de la Légion d’honneur.

Sa jeunesse fut moins bourgeoise. Militant pro FLN, membre du PSU, il rejoint le Parti communiste en 1961 avant d’évoluer en 1967 vers les maoïstes de l’Union de la jeunesse communiste marxiste-léniniste. En mai 1968, il en est le représentant à l’école des Beaux-Arts.

En 1969, il co-fonde le mouvement « Vive la révolution », auto-dissous en 1971. Son rapprochement avec François Mitterand date de 1976.


Christian Charret, né à Marseille le 1er janvier 1948. Enarque, président de GTV-Gétévé (Gaumont télévision), ancien président de l’Union syndicale des producteurs audio-visuels, il a été conseiller technique de plusieurs ministres entre 1981 et 1985 : Michel Jobert, Edith Cresson et Jack Lang. En mai 1968, étudiant en 2ème année à Sciences-Po, il y prit la tête du comité d’action révolutionnaire et partagea les espoirs et les désillusions du mouvement étudiant. Il est aujourd’hui chevalier du Mérite et officier des Arts et Lettres.


Daniel Cohn-Bendit, né à Montauban le 4 avril 1945. Parlementaire européen depuis 1994, il est un militant actif des Verts allemands (depuis 1984) et des Verts français (depuis 1998) et rédige une chronique dans le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung. Il fut surtout la figure la plus connue des événements de mai 1968, quand il avait 23 ans et étudiait en 2ème année de sociologie à Nanterre. Surnommé « Dany le Rouge », il finit par être expulsé de France vers l’Allemagne, pays de ses parents. Il ne s’engagea pas aussitôt dans une nouvelle action politique. De 1968 à 1973, il devint éducateur dans des jardins d’enfants à Francfort puis travailla à la librairie Karl Marx de cette même ville jusqu’en 1980. Il co-fonda en 1970 le magazine Pflasterstrand (sous les pavés, la plage) et en dirigea la rédaction jusqu’en 1984. Il a été maire-adjoint de Francfort de 1989 à 1997.



Gérard Filoche, né à Rouen le 22 décembre 1945. Il est un des rares soixante-huitards à être resté un agité permanent. Inspecteur du travail attaché à pratiquer une lutte des classes des plus virulentes, il est un des leaders de la tendance la plus à gauche du Parti socialiste. Hostile en 2005 au Traité constitutionnel européen, il poursuit un engagement commencé au Parti communiste en 1963 puis au comité Vietnam. Exclu du PCF en 1966, il adhéra aux Jeunesses communistes révolutionnaires d’Alain Krivine en 1966 et participa à mai 1968. Il fut alors un des principaux animateurs du comité de grève des étudiants de Rouen. Dirigeant de la Ligue communiste révolutionnaire depuis sa fondation, il en anima la minorité opposée à Alain Krivine. Il rejoint le Parti socialiste en 1995. Il est le père de Léa Filoche, présidente (1996-1998) de la FIDL, un mouvement lycéen très à gauche. Elle a été élue en 2008 conseiller de Paris sur les listes du Parti socialiste. Un autre de ses enfants, Germain, est membre de l’UNEF depuis 1983 ; il soutient et poursuit l’action de son père. Gérard Filoche a écrit en 2007 : « Mai 68 : Histoire sans fin » (Jean-Claude Gawsewitch éditeur).


Alain Geismar, né à Paris en juillet 1939. Inspecteur général de l’Education nationale depuis 1990 (fonction, comme son nom l’indique, de contrôle de l’enseignement du monde enseignant), chargé de mission ou conseiller technique de plusieurs ministres de l’Education nationale (Jospin, Glavany, Lang, Allègre, Royal) il est depuis 2001 conseiller du maire de Paris, chargé de l’éducation. En mai 1968, maître assistant à la faculté des sciences de Paris, il fut secrétaire général du SNE-Sup où il représenta le courant gauchiste. Il fut, avec Cohn-Bendit et Sauvageot, une des figures de la révolte. En 1970, condamné pour reconstitution de mouvement dissous (La Gauche prolétarienne), il passa 18 mois à Fresnes. Il prononça alors une phrase très engagée : « L’été sera chaud et nous allons poursuivre les bourgeois jusque dans leurs porcheries ». C’était il y a quarante ans ; il n’était pas encore inspecteur général de l’Education nationale.


Tiennot Grumbach, né en 1939. Neveu de Pierre Mendès France, avocat, il fut président du Syndicat des avocats de France (SAF) et devint en 1986-1987 bâtonnier à Versailles. Il a été directeur de l’Institut des sciences sociales du travail (ISST) de Sceaux. Il fut membre de l’Union des étudiants communistes et de l’Union des Jeunesses communistes marxistes léninistes (fondé par les disciples de Louis Althusser, exclus de l’UEC. Il fonda avec Roland Castro le mouvement maoïste « Vive la Révolution ».



Christian Harbulot, né à Verdun le 19 décembre 1952. Nommé le 12 mars 2008 lieutenant-colonel de réserve par le ministre de la défense, chargé de cours en intelligence économique au profit de l’état-major de l’armée de terre, il a participé dès 1992 à la rédaction du rapport du Commissariat général au plan sur l’intelligence économique. Il a fondé en 1997 l’Ecole de guerre économique. Ce spécialiste de la défense utilise son passé de clandestin maoïste pour adapter à la guerre économique les concepts de la guerre révolutionnaire. Etudiant en sciences politiques, il était après mai 1968 militant de la Gauche prolétarienne, rallié aux NAPAP (Noyaux Armés pour l’Autonomie Populaire). Il fut arrêté en décembre 1977 après l’assassinat de Jean-Antoine Tramoni, ancien vigile de Renault Billancourt qui avait lui-même tué le militant maoïste Pierre Overney. Le 17 novembre 1986, le PDG de Renault Georges Besse fut assassiné par le commando « Pierre Overney » du groupe terroriste Action Directe.


Serge July, né à Paris le 27 décembre 1942. Fondateur en 1973 et très longtemps directeur (jusqu’en 2006) du quotidien Libération, il fut militant de l’Union des étudiants communistes, rédacteur à Clarté. Vice-président de l’UNEF (1965), il rejoignit le Mouvement du 22 mars et fut très proche d’Alain Geismar au sein de la Gauche Prolétarienne (maoïste). En 1969, il écrivit avec ce dernier et Erlyn Morane « Vers la guerre civile », ouvrage légitimant la violence. On y lit notamment : « Disons le clairement, ouvertement : la haine est le visage le plus clair de la conscience révolutionnaire ». (Editions et Publications premières). Cet ouvrage ne figure pas dans la liste de ses œuvres citées dans le Who’s who.



Bernard Kouchner, né en Avignon le 1er novembre 1939. Militant de l’Union des étudiants communistes, rédacteur à Clarté, il anima en mai 1968 le comité de grève de la faculté de médecine de Paris. En 1969, il partit pour le Biafra et jugea alors que le Mai parisien, « c’était une comedia dell’arte ». Dirigeant de Médecins sans frontières en 1971, il entama une carrière politique qui le conduisit plusieurs fois au gouvernement, tantôt à droite, tantôt à gauche. Il est aujourd’hui, tantôt à droite, ministre des affaires étrangères du gouvernement Fillon. Il est le mari de la journaliste Christine Ockrent.


Marc Kravetz, né en octobre 1942. Militant des Jeunesses communistes, secrétaire général de l’UNEF, il effectua en 1967 un séjour à Cuba. Il fut en 1968 rédacteur à Action et animateur des comités d’action. Vingt ans plus tard, il était chef du service étranger à Libération.


Blandine Kriegel, née à Neuilly sur Seine le 1er décembre 1943. Universitaire de renom, spécialiste de philosophie politique, cette agrégée de philosophie et docteur d’Etat es lettres a été chargée de mission à l’Elysée, appelée en 2002 par le président de la République Jacques Chirac. Avec son mari Alexandre Adler, chroniqueur politique et directeur de Courrier international, elle était proche de Philippe Séguin, président de l’Assemblée nationale de 1993 à 1997. Elle appela à voter Jacques Chirac à l’élection présidentielle de 1995, parce que dit-elle, « la gauche m’a déçue ». Elle est officier de la Légion d’honneur et commandeur de l’ordre national du Mérite. Son itinéraire politique a débuté au PCF. Fille du militant communiste Maurice Kriegel (Kriegel-Valrimont, de son nom de résistant), elle milite à l’Union des étudiants communistes avant de rejoindre l’Union de la jeunesse communiste marxiste-léniniste (maoïste). C’est là qu’elle rencontre son premier mari, Philippe Barret (voir ce nom). Elle collabore alors à l’Ecole de mai et se montre très active en 1968 dans l’agitation maoïste à l’Ecole normale supérieure de Fontenay aux Roses.


Alain Krivine, né à Paris le 10 juillet 1941. Celui qui précéda Olivier Besancenot à la tête de la Ligue communiste révolutionnaire est un des rares animateurs de la révolte de mai 1968 à avoir conservé la même ligne politique et le même engagement. Dirigeant du secteur Sorbonne-Lettres de l’Union des étudiants communistes en 1964, il fonda en 1966 les Jeunesses communistes révolutionnaires (ligue dissoute par le gouvernement en juin 1968). En 1968, il se montra partisan de l’escalade et du harcèlement continu des forces de l’ordre. Fondateur en 1969 de la Ligue communiste (dissoute en 1973) puis de la Ligue communiste révolutionnaire en 1974, il se présenta pour la première fois à la présidence de la République aux élections de 1969. Sur 12 candidats, il arriva 9ème, avec 239 106 suffrages. Il est l’auteur en 2006 chez Flammarion d’un ouvrage joliment intitulé « Ça te passera avec l’âge ».



Benny Lévy, né le 28 août 1945, mort le 15 octobre 2003. Elève de Louis Althusser à l’Ecole normale supérieure, il s’engagea dans l’Union des étudiants communistes, puis fut un des dirigeants de l’Union des jeunesses communistes marxistes léninistes avec Robert Linhart. Il fonda après mai 1968 la Gauche Prolétarienne dont le journal La Cause du Peuple reçut le soutien de Jean Paul Sartre. Entré dans la clandestinité en 1973 lors de l’interdiction de la Gauche prolétarienne, il devint le secrétaire de Jean Paul Sartre jusqu’en 1980 et enseigna la philosophie à la Sorbonne. C’est lui qui nomma Serge July en 1973 comme responsable politique de Libération. Il émigra en Israël en 1997 et devint rabbin, avant de mourir en 2003.


Edwy Plenel, né à Nantes le 31 août 1952. Journaliste entré au Monde en 1980, il y effectua une belle carrière, jusqu’au poste de directeur de la rédaction, avant de quitter le journal et de créer en 2008 une publication en ligne, Mediapart. La fin de sa carrière au monde fut précipitée par les accusations d’abus de pouvoir relatées par Pierre Péan et Philippe Cohen dans le livre « La Face cachée du Monde » (2003). Fils d’un inspecteur d’académie, Edwy PLENEL s’engagea jeune dans les rangs de la Ligue communiste révolutionnaire où il milita activement pendant 10 ans. En mai 1968, il avait 15 ans et étudiait à Alger. Journaliste à Rouge (journal de la LCR) dans les années 1976 à 1978, puis au Matin de Paris, il fit entrer comme journalistes au Monde une vingtaine d’anciens de la LCR. Nombre d’entre eux y sont toujours.


Jacques Sauvageot, né en 1943. Vice-président de l’UNEF en 1968, il fut un organisateur de premier plan de la révolte de mai 1968, croyant à la contestation permanente. Il se retira assez vite de l’engagement militant pour devenir enseignant à l’école des Beaux-Arts de Rennes, dont il est le directeur.


Henri Vacquin, né à Bezons (Val d’Oise) le 7 janvier 1939. Consultant en management depuis 1972, directeur depuis 1977 de la lettre mensuelle « Stratégies du management », il dirige un cabinet apprécié des directeurs de ressources humaines de grandes entreprises. Il est chevalier de la Légion d’honneur. En 1995, il a analysé avec une compréhension tournant au soutien les manifestations hostiles aux réformes du premier ministre Alain Juppé. Il a écrit l’année suivante avec Yvon Minvielle « Sens d’une colère : novembre - décembre 1995 » (Editions Stock).


Engagé très jeune dans les rangs des Jeunesses communistes, il devint directeur de Clarté, le mensuel de l’Union des étudiants communistes. Ayant quitté le PC au milieu des années 1960, il participa activement aux événements de mai 1968. Il se trouve abondamment cité dans le livre « Génération », rédigé en 1988 sur les acteurs de mai 1968. Les deux auteurs, Hervé Hamon et Patrick Rotman, dirigeaient la collection « L’épreuve des faits » au Seuil quand ils éditèrent en 1986 « Paroles d’entreprises » de Henri Vacquin. Sa femme, Monette Vacquin est une psychanalyste estimée qui commença à s’intéresser aux représentations de l’expérience humaine et aux questions de la filiation quand, jeune mère de famille à 23 ans, au lendemain de mai 1968, elle constata dans les milieux gauchistes qu’elle fréquentait alors un certain refus d’être parent, « comme si ces jeunes voulaient rester dans leurs idéaux de toute-puissance ».


Henri Weber, né à Leninabad en Union Soviétique le 23 juin 1944. Sénateur socialiste de Seine maritime de 1995 à 2004, parlementaire européen depuis 2004, il est un proche de Laurent Fabius qu’il rejoignit en 1988 comme conseiller technique à son cabinet, lorsque ce dernier était président de l’Assemblée nationale. Peu avant, il avait rédigé, avec l’appui du CNPF, un livre intitulé « Le parti des patrons : le CNPF 1946-1986 ». Il était alors chercheur au Centre de recherches sur les mutations des sociétés industrielles (CRMSI). En 1968, il joua un rôle très important dans l’animation des révoltes étudiantes. Cofondateur de la Ligue communiste révolutionnaire en 1968, il fut directeur de son hebdomadaire Rouge jusqu’en 1976. Il a effectué une carrière universitaire, jusqu’à son entrée au cabinet de Laurent Fabius, comme enseignant en sciences politiques. Une matière sur laquelle il a lui-même réalisé de nombreux.... travaux pratiques.


Bernard Thibault (CGT), né le 2 janvier 1959,

Jean Claude Mailly (FO), né le 12 mars 1953,

François Chérèque (CFDT), né le 1er juin 1956,

Bernard Van Craeynest (CGC), né le 9 février 1957,

Jacques Voisin (CFTC), né le 12 décembre 1950,

Alain Olive (UNSA) né le 30 janvier 1950,

Laurence Parisot (MEDEF), née le 31 août 1959 et Jean-François Roubaud (CGPME), né le 3 octobre 1944 n’ont pas participé ou étaient trop jeunes pour le faire aux événements de mai 1968.

Les dirigeants syndicaux et patronaux de l’époque étaient Georges Séguy (CGT), André Bergeron (FO), Eugène Descamps (CFDT), André Malterre (CGC), Joseph Sauty (CFTC), James Marangé (FEN), Paul Huvelin (CNPF) et Gustave Deleau (CGPME).

Ces dirigeants syndicaux et patronaux, dans la force de l’âge en 1968, étaient trop jeunes pour avoir joué un rôle de premier plan en 1936, au moment du Front populaire. Tous sauf un. Dans la délégation CGT aux négociations de Grenelle en 1968, Benoît Frachon, le plus âgé des participants, avait déjà participé à la conférence qui déboucha sur les « accords Matignon », en juin 1936.



Prochain article : La classe politique 2008, version mai 1968.

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